L’affirmation indienne

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par Dov ZERAH

Un événement est largement passé inaperçu dans une Europe travaillée par ses vieux démons nationalistes et xénophobes, l’exceptionnelle victoire aux dernières législatives indiennes du premier ministre Narendra Modi et de son parti nationaliste hindou du Bharatiya Janata (BJP). Sa première victoire de 2014 s’appuyait sur deux ressorts :

– Casser la domination du Parti du Congrès et des dynasties Nehru et Gandhi, en pointant du doigt le népotisme et la corruption du système politique mis en place depuis l’indépendance de 1947.

– Défendre l’idéologie nationaliste religieuse du hindutva, avec le mot d’ordre simpliste «l’Inde aux Hindous». Narendra Modi a ouvert la boîte de Pandore des oppositions communautaires, ce qui a entraîné des attaques contre les musulmans.

Au-delà de ces orientations politiques, le programme économique de Narendra Modi vise à libéraliser l’économie indienne. Il a relancé la croissance indienne en engageant une politique de réformes pour s’attaquer aux goulots d’étranglement : nombreuses et excessives réglementationsmédiocrité du climat des affaires, insuffisance et mauvaise qualité des infrastructuresformation insuffisante de la main d’œuvrefaiblebancarisation de la populationfiscalité complexe…

Malgré l’énorme potentiel du marché indien, l’Inde est insuffisamment attractive pour les investisseurs, et plus particulièrement pour les investisseurs étrangers. Le mouvement de croissance que connaît le pays depuis le milieu des années quatre-vingt-dix s’est accentué, et marque un rythme supérieur à 6,5/7%, et même à 8,5% en 2016. Depuis plusieurs années, la croissance indienne est supérieure à celle de la Chine.

Dans le même temps, les perspectives démographiques indiennes sont devenues plus positives que celles de l’Empire du milieu, qui a enregistré en 2018, une baisse de sa population totale. Entre la démographie débridée de l’Inde et la tentative chinoise de contrôle des naissances, notamment avec la politique de l’enfant unique, les habitants des 3.287.263 km² du sous-continent indien sont aujourd’hui près de 1,4 milliard presque autant pour le pays le plus peuplé au monde.

La combinaison des croissances économique et démographique laisse présager que l’Inde est en mesure de dépasser la Chine, et d’être le grand acteur mondial ; selon le FMI, l’Inde contribue déjà à la croissance mondiale à concurrence de 15%. Elle est la 7ème puissance économique mondiale, en passe de devenir, d’ici 2030, la 3ème puissance économique mondiale, étant entendu qu’elle l’est déjà en termes de parité de pouvoir d’achat derrière la Chine et les Etats-Unis.

Mais cette belle perspective s’est momentanément enrayée à la suite de deux décisions :

– Pour limiter le marché noir et contenir les paiements en liquide, les autorités ont engagé, en novembre 2016, une opération monétaire qui va entraîner un manque de liquidités. Le FMI n’a pas hésité à assimiler cette situation à celle «d’une personne qui se tire une balle dans le pied». Cette démonétisation aurait coûté deux points de croissance au pays.

– Pour unifier le marché intérieur et supprimer une multitude de petites taxes, le gouvernement décide, en juillet 2017, d’introduire la TVA. Cela va voir un effet négatif sur la situation économique.

Avec une croissance de 6,6% en 2017, «la vague Modi» a paru se heurter sur cette situation. Le parti du Premier ministre a subi trois revers électoraux aux élections régionales, et beaucoup lui prédisaient une défaite aux législatives de 2019. Il n’en est rien ! Bien au contraire !

Le Premier ministre a remporté la majorité absolue, probablement grâce à une croissance de plus de 8% en 2018, et à la fierté qu’il a alimentée chez ses compatriotes avec cette affirmation nationaliste de devenir un grand, voire le grand mondial.

Une nouvelle fois, l’Inde a démontré qu’elle est la plus grande démocratie au monde. Pour en faire une puissance mondiale de premier ordre, Narendra Modi a cinq ans supplémentaires pour réduire, voire éliminer les fractures qui fragilisent le pays : la pauvreté, notamment en milieu rural, les inégalités, les violences, y compris les violences intercommunautaires, les tracasseries administratives, la corruption…

Comme a coutume de dire Narendra Modi «l’éléphant endormi s’est mis à courir». L’Europe devra en tenir compte, à un moment où elle est profondément divisée.

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