Par David E. Avraham
Procès du soldat Elor Azaria : la juge condamne le soldat Elor Azaria qui a tué le 24 mars 2016 un terroriste palestinien neutralisé. 10 mois après les faits, la cour martiale qui jugeait le soldat Elor Azaria le reconnait coupable d’homicide. C’est là un verdict lourd de conséquences tant sur le plan politique que sur le plan social et militaire. Jusqu’alors l’opinion publique israélienne ainsi que la classe politique étaient fortement divisées sur ce procès. C’est ainsi qu’au lendemain de l’incident, Moche Ya’alon (alors ministre de la Défense) le déclara « contraire aux impératifs moraux de Tsahal et aux instructions de tir ». Alors qu’à en croire un sondage réalisé quelques jours après l’incident, 57 % du public israélien estiment qu’Azaria n’aurait pas dû être placé en détention et 68 % jugent que l’Etat-major a eu tort de condamner publiquement son geste. Bien que l’on puisse discuter l’authenticité d’un tel sondage, force est de constater qu’une vaste portion de l’opinion publique soutient le soldat Elor Azaria. Du côté de la classe politique, Miri Regev, la ministre de la Culture, s’est exprimée en ces termes : « On ne se comporte pas ainsi avec un soldat qui est l’un des nôtres». Le Premier ministre Benyamin Netanyahou, quant à lui, s’est dit favorable à ce que le soldat Elor Azaria soit gracié.
En substance : la justice militaire a-t-elle « trahi » ses soldats et le peuple israélien ? Ou a-t-elle, au contraire, montré son impartialité ?
Mais surtout, le soldat Azaria est-il un héros national ou un meurtrier ?
Est-ce que le fait d’abattre un terroriste se justifie, même lorsque celui-ci a été mis hors d’état de nuire ?
Comme à notre habitude, c’est d’après le prisme de la Tora et du Judaïsme que nous tenterons d’apporter des éléments de réponse à ces interrogations.
La légitime défense
Tout d’abord, il paraît pertinent (pour ne pas dire indispensable) de définir la notion de légitime défense, tant du point de vue de la justice séculière que « lehavdil » de la Halakha.
Selon la justice laïque
En France – selon le Ministère de la Justice française, la légitime défense se définit comme suit : la légitime défense s’applique lorsqu’une personne se défend en cas d’agression parce qu’elle n’a pas le choix. La personne agissant en état de légitime défense ne peut pas être sanctionnée.
La légitime défense, qui reste exceptionnelle, est reconnue si toutes les conditions suivantes sont réunies :
– La personne a agi face à une attaque injustifiée à son encontre ou à l’encontre d’une autre personne, ou pour interrompre un crime ou délit.
– L’acte de défense était nécessaire. Par exemple, la victime ne pouvait pas fuir parce l’auteur des coups la tenait.
– Les moyens de défense employés étaient proportionnés. Ce qui exclut l’emploi d’une arme à feu face à une personne non violente par exemple.
– La riposte est intervenue au moment de l’agression et non après. Ce qui exclut une tentative d’arrêter le voleur dans sa fuite ou une volonté d’éviter une agression incertaine.
Cas présumés de légitime défense
Ces actes peuvent être considérés comme de la légitime défense :
– Repousser, de nuit, l’entrée d’une personne dans son domicile par effraction, violence ou ruse.
– Ou se défendre contre les auteurs de vols ou de pillages exécutés avec violence.
De tels actes de défense doivent cependant être proportionnés à l’agression. La justice est libre de ne pas les considérer comme des actes de légitime défense.
(Direction de l’information légale et administrative (Premier ministre), Ministère en charge de la justice)
Aux Etats Unis – la définition du droit de légitime défense varie suivant les États et s’étend parfois aux biens. Par exemple, dans l’État de New York, la légitime défense est entendue de manière stricte. En revanche, dans d’autres États, comme en Floride, la définition législative de la légitime défense (ou loi Stand Your Ground) est extrêmement large, puisqu’elle autorise une personne à utiliser une arme dès lors qu’elle se sent menacée de mort ou craint d’être grièvement blessée. Le simple fait de se croire menacé permet donc de justifier l’utilisation d’une arme à feu. C’est justement ce qui s’est passé dans l’affaire Trayvon Martin, qui a abouti, en juillet 2013, à l’acquittement de George Zimmerman, qui avait abattu dans la rue Trayvon Martin, un adolescent noir qui rentrait chez lui et n’était pas armé. G. Zimmerman a pu échapper à une condamnation pour meurtre en invoquant le fait qu’il s’était cru menacé par le jeune homme et qu’il avait donc agi en état de légitime défense.
En Israël – selon la loi civile –, la légitime défense est reconnue comme moyen de défense contre les voies de fait en vertu du Code pénal israélien et de l’ordonnance sur les torts, lorsqu’il est prouvé qu’elle a respecté les dispositions de la loi et exempte l’auteur présumé de la responsabilité pénale et civile, du contact avec le plaignant. La loi en droit pénal et en droit civil exige que la « légitime défense » soit immédiatement nécessaire pour repousser une attaque illégale. Le droit à l’autodéfense n’est pas absolu. La nature et l’étendue de la réponse d’autodéfense de l’auteur présumé doivent être raisonnables compte tenu de l’attaque factuelle ou éventuelle du prétendu assaillant. L’étendue de la légitime défense sera, toutefois, examinée selon les circonstances en vue de déterminer le caractère raisonnable ou non de l’acte d’auto-défense.
Voilà pour ce qui est du droit séculier. Selon la Halakha :
« Si un voleur est pris sur le fait d’effraction, si on le frappe et qu’il meure, son sang ne sera pas vengé » (Chemoth/Exode 22,2).
« Attaquez les Midianites et taillez-les en pièces. Car ils vous ont attaqués eux-mêmes par les ruses qu’ils ont machinées contre vous au moyen de Pé’or » (Bamidbar/Nombres 25,17-18).
On trouve dans la Tora ainsi que dans la Halakha deux cas de légitime défense : le cas du rodef et le cas de makhtérèth – le vol par effraction.
Le vol par effraction – celui qui entre par effraction (dans l’intention de voler), son sang ne sera pas vengé. C’est-à-dire que si le propriétaire, ou tout autre homme, le tue, ils sont innocentés. Chacun est autorisé à le tuer, même Chabbath, et de n’importe quelle façon, ainsi qu’il est dit : « Si un voleur est pris sur le fait d’effraction, si on le frappe et qu’il meure, son sang ne sera pas vengé » (id.).
Comment explique-t-on une telle latitude ? Selon la tradition orale, cette loi repose sur le principe de « celui qui vient te tuer, tue-le ». Nous partons de la présomption que le voleur est prêt à tuer celui qui voudrait l’empêcher de commettre son vol. Celui qui pénètre ainsi dans la maison de son prochain, pour voler, est considéré comme rodef, menaçant la vie de son prochain, car en cas de rencontre inopportune avec le propriétaire des lieux, le voleur n’hésitera pas à faire usage de la violence. Il peut donc être tué immédiatement (Sanhédrin 72a, Méïri ad loc., Rambam, Guenéva 9,7-9, Rema ‘Hochen Michpat 425,3).
Le rodèf – Le sujet de l’agresseur, le rodèf, est abordé dans la suite du traité Sanhédrin (73a). La Guemara rapporte trois versets nous enjoignant d’intervenir en cas d’agression :
– « Que si ton frère n’est pas à ta portée, ou si tu ne connais pas le propriétaire, tu recueilleras l’animal dans ta maison, et il restera chez toi jusqu’à ce que ton frère le réclame ; et tu le lui ramèneras à lui » (Devarim/Deutéronome 22,2). L’insistance du verset, répétant le mot ‘à lui’, nous enseigne que, de même qu’il y a un commandement de la Tora de ramener l’objet perdu à son propriétaire, de même il y a un commandement de ramener la personne à elle-même si elle est en danger. Tu le ramèneras lui (Tossefoth 73a).
– « Ne reste pas immobile face au sang de ton frère » (Vayikra/Lévitique 19,16). Cette redondance vient nous apprendre qu’il faut tout faire pour sauver notre prochain, chercher des sauveteurs, les employer et les payer.
– La Tora parle dans Ki Tavo du statut du viol (Devarim/Deutéronome 25 à 27). Une jeune femme fiancée qui aurait été forcée n’est pas condamnable, quand bien même y aurait-il eu adultère, ‘car elle a crié et personne n’était là pour la sauver’.
Le Talmud explique ce verset en disant : ‘Mais s’il y avait quelqu’un pour la sauver, il aurait dû la sauver avec tout ce qui lui était possible’, ce qui signifie même en prenant la vie de l’agresseur.
A partir du cas de viol, la tradition orale élargit le concept d’agression au meurtre. C’est en cela que cette troisième source est nécessaire, car nous n’aurions nullement appris des deux premières la possibilité, voire l’obligation, de tuer l’agresseur pour sauver l’agressé.
La différence majeure entre le cas de l’agresseur, le rodef, et le cas du voleur par effraction, « Ba baMakhtérèth » est exposé par les Tossaphistes (סנהדרין ע »ג ע »א דה »מ אף רוצח) qui demandent : pourquoi a-t-on besoin de cette troisième source, n’avions-nous pas déjà le cas du voleur par effraction pour lequel la Tora annonce que quiconque peut le tuer ? Ils répondent que le cas du voleur par effraction est fondamentalement différent : le verset nous donne le droit de le tuer ; mais dans le cas de l’agresseur, il s’agit d’un devoir.
C’est-à-dire que la Tora donne la possibilité, le droit, de tuer le voleur par effraction, mais qu’il n’y a aucune obligation de le faire, tandis que dans le cas classique de rodef, d’agresseur, c’est une obligation juridique (Michné Tora, Rotséa’h I,6).
Voilà globalement les critères de la légitime défense d’après la Tora.
Le cas du terroriste neutralisé
Maintenant quel est le Din/la loi dans le cas d’un terroriste neutralisé ?
Il apparaît de façon relativement évidente que lorsqu’un terroriste s’apprête à commettre un assassinat, il est un rodef. Il incombe alors à tout témoin de l’attaque le devoir d’intervenir afin de le neutraliser (même si cela suppose de le tuer).
Qu’en est-il lorsque celui-ci a été mis hors d’état de nuire ?
La majorité des autorités rabbiniques s’accordent sur le fait qu’une fois le rodef (dans notre cas, le terroriste) totalement neutralisé (s’il est encore en vie), il n’y a plus de devoir ni même d’autorisation de le tuer.
Néanmoins, les décisionnaires débattent sur le statut de rodef lorsque subsiste le moindre doute d’agression ou sur l’obligation de porter secours lorsque le rodef s’est blessé lors de son attaque. D’autant plus qu’il est avéré que les terroristes continuent de représenter un danger malgré leurs blessures. De même, beaucoup de ces terroristes n’hésitent pas à repasser à l’action une fois rétablis.
En ce qui concerne la dangerosité supposée de l’assaillant, il faut distinguer la victime directe de l’attaque – « le poursuivi », d’une personne lui portant secours.
Selon rabbi Abraham Hiyya de Boton (1560 – 1605), l’auteur du Lé’ḥem Michné, la victime n’a pas l’obligation de mesurer sa réponse ou d’évaluer le danger avec exactitude, du fait de la panique qui la saisit alors (Lé’ḥem Michné, Rotséa’h I,13, responsa Rivach 238). Pour ce qui est de l’obligation de sauver le terroriste, le ‘Hafets ‘Haim écrit dans son Michna Beroura, que dans la mesure où il était permis de le tuer, il n’y a pas d’obligation de le sauver (329,9).
Il faut ajouter à la question initiale la notion de tréfa (quand c’est d’un homme qu’il s’agit, personne dont les organes vitaux sont mortellement touchés de sorte qu’il est médicalement impossible de la maintenir en vie). Bien qu’il soit interdit de tuer un homme dans un tel état, une personne qui commettrait un tel crime, à D’ ne plaise, n’est pas condamnable (Michné Tora, Rotséa’h II,8). Il en va de même d’une personne agonisante lorsque celle-ci doit son agonie à une attaque perpétrée par un homme (ibid 7).
En conclusion
La combinaison des diverses lois précitées nous amène à conclure d’une part que l’exécution d’un terroriste en phase de commettre un assassinat est un devoir. D’autre part, dès lors que celui-ci est neutralisé, il est interdit (d’après la majorité des décisionnaires) de le tuer. Néanmoins, si dans la panique et la peur, la victime de l’attaque l’exécute, il ne sera pas condamnable. De même, si le terroriste est très grièvement blessé (qu’il soit tréfa ou agonisant), bien qu’il soit interdit de l’achever, le cas échéant, il y a fort lieu de penser que la personne l’ayant exécuté ne soit pas condamnable.
Puisse Hachem mettre fin à l’ensemble de nos souffrances et qu’Il nous apporte la Gueoula complète. Amen. ●
Extrait de Kountrass numéro 202
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La force du mensonge, c’est d’être sans arrêt répété, même s’il a été établi que c’est un mensonge. Le légiste aux explications duquel le tribunal est resté sourd a soutenu au cours du procès que ce n’est pas la balle du soldat qui a tué le terroriste. Comment dès lors peut-on présenter la possibilité qu’il l’ait quand même tué comme une évidence ?
De plus, le terroriste, contrairement aux affirmations ci-dessus, n’avait pas été neutralisé, puisqu’il n’avait pas subi de fouille ni été soit menotté soit tué avec constat en bonne et due forme.
Tiens, le tribunal n’a-t-il pas condamné ce pauvre jeune à quelques temps en prison ? C’est donc que quelque chose lui a été reproché…
Pardon : présenter