« L’affaire »

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Par Robert Asséo – Desinfos

L’affaire Sarah Halimi et ses développements actuels posent ou reposent des questions restées jusqu’alors sans réponse satisfaisante. Quelques points : l’antisémitisme, l’expertise, la loi, le cas Traoré lui-même.

En ce qui concerne l‘antisémitisme, on ne peut qu’être frappé de la durée qui a été nécessaire à la qualification de l’antisémitisme dans cette affaire. Il y a une étrange concordance entre l’intervention proprement dite de la police, son attente (qui s’est révélée catastrophique pour la victime, Mme le Dr. Sarah Halimi), l’hésitation à intervenir

__ Le cri de « Allah ou Akbar » ayant été entendu, la crainte d’une attaque terroriste avec risque d’explosifs avait retenu les policiers présents __ et d’autre part le « j’ai tué le Sheitan » victorieux de Kobili Traoré après avoir précipité sa victime du haut du balcon. Concordance donc entre cette attente, explicitée lors de l’instruction, et la durée qui s’est révélée nécessaire à la qualification d’acte antisémite pour l’agression meurtrière dont S. Halimi a été victime. Si l’antisémitisme d’Etat n’est pas à l’ordre du jour en France, il n’en reste pas moins qu’un antisémitisme plus ou moins larvé continue d’exister dans certains milieux (islamisme radical certes mais le débordant souvent largement, au point qu’on ne peut citer qu’un seul imam, celui de Drancy, qui s’y oppose clairement au risque de sa vie), mais aussi dans la société française loin d’en être indemne. Il n’est donc pas illégitime de se demander si les conflits plus ou moins larvés existant entre une partie de la magistrature et le pouvoir (quelles qu’en soient les raisons et la légitimité) ne trouvent pas une issue commode dans un certain laxisme, oubli envers l’antisémitisme __ on le qualifie pour être quitte de l’incidence de cette qualification. Il a été suffisamment relevé que le refus de reconstitution, en dépit de l’accord de toutes les parties __ y compris donc de l’accusé et des psychiatres (sous condition de présence de soignants) __ à l’exception du juge d’instruction, ne manque pas d’interroger sur les motivations réelles voire même inconscientes. Après tout, personne n’est indemne de son propre inconscient.

Pour ce qui en est de l’expertise psychiatrique dans cette affaire criminelle, il convient, à mon sens de peser certains aspects. Tout d’abord, l’idée d’un collège de trois psychiatres pose la question d’un consensus alors qu’on attend une position personnelle argumentée de chaque expert. Le consensus, lui, suppose une relative abrasion de l’argumentation de chacun. Par ailleurs, et quelle que soit la qualification de chacun des experts, ce n’est pas le nombre qui fait la contre-expertise mais les choix distincts faits par les parties qui permettent de mieux interroger l’expertise elle-même. De plus les défauts de la loi sont ici particulièrement évidents. La question posée par la justice résume ce que doit être la réponse juridique : l’accusé était-il en possession de ses moyens psychiques et de sa conscience lors des faits ou bien cette conscience était-elle abolie ou altérée, toujours au moment des faits ? Pourtant l’évaluation de la personnalité n’est pas complètement absente lors de la prise en compte par le tribunal. Or, on ne peut juger quelqu’un dont la conscience était abolie ou altérée sans tenir compte du fait qu’un sujet, une personne, ne se résume pas à un moment. Il est d’ailleurs public que M. K. Traoré reconnaissait les faits et était disposé à être jugé, sa conscience lui étant clairement revenue. La question du diagnostic de « bouffée délirante aigue » elle-même interroge également. Le terme de bouffée délirante aigüe retenu par les experts souligne certes le caractère soudain de l’épisode délirant, mais n’explore pas suffisamment le contexte de survenue. Le plus souvent, la bouffée délirante n’est pas isolée, elle survient alors dans un contexte d’altération plus ou moins sévère et ancien de la personnalité. Or, les experts n’ont pas relevé dans son passé de manifestations pouvant expliquer cette bouffée aigue. Comme le dit ma consoeur le Dr. Francesca Biaggi, n’aurait-il pas convenu qu’on fasse plus cas dans l’appréhension du délire de l’exploration de la période précédente et des facteurs personnels susceptibles de participer de cette décompensation, facteurs familiaux (conflits ?) ou sociaux (quelle mosquée et quel imam fréquentait-il dans les semaines précédentes ?). La prise de toxiques n’explique pas tout, loin de là. Toujours est-il que le magistrat instructeur s’est appuyé sur le nombre d’experts déclarant l’abolition de la conscience plutôt que sur l’analyse de celui qui estimait l’altération plus proche de la pertinence et de la vérité du sujet.

Je disais que la loi était défaillante, et pas seulement la justice. En effet, à mon sens, l’absence de jugement s’il profite sur le plan judiciaire à l’accusé, le met psychiquement dans une position impossible lorsqu’il s’agit d’un malade mental. Il est devenu commode de dire que l’ « on n’est plus au Moyen Age et que l’on ne juge pas les fous », mais les conséquences de cette position méritent d’être interrogées. De l’avis de nombre de confrères, il est nettement plus difficile de travailler en psychothérapie avec un malade meurtrier qui n’a pas été jugé parce qu’ « irresponsable » que s’il l’avait été. En effet, le déni de l’acte meurtrier (« ça n’est pas moi, c’est quelqu’un d’autre »), est puissamment renforcé par l’absence de jugement par le socius. A l’opposé du déni, le cas de Louis Althusser le rappelle cruellement, la conscience du crime, sans jugement, sans sanction sociale, favorise une accentuation de la mélancolisation. Celle-ci peut d’ailleurs déboucher sur le suicide. Paradoxalement, je souligne que la reconstitution du meurtre de Sarah Halimi par Kobili Traoré avait été refusée par le magistrat instructeur parce qu’à son dire même, il craignait un suicide ! L’absence de jugement tend à entretenir la pathologie mentale, voire à l’aggraver. On peut donc se demander si la question de l’aptitude à être jugé ne devrait pas se substituer ou pour le moins, venir en complément de celle de l’abolition ou de l’altération de la conscience au moment des faits. La prise en compte d’une dynamique psychique reste indispensable et complète ce que nous avons souligné précédemment, la prise compte dans la durée (avant comme après) et des facteurs externes (milieu et circonstances). Il ne s’agit donc pas de condamner la folie mais de tenter d’être au plus près possible de l’équité pour la victime et ses proches, pour l’accusé et pour la société elle-même.

Dans le cas présent, la réticence judiciaire à qualifier, à ordonner une reconstitution puis à juger constitue un ensemble particulièrement troublant. Chaque étape de la procédure aurait pu permettre à la justice de montrer son équité, cela n’aurait pas été contre la loi, mais ça n’a pas été le cas. On ne peut donc que constater qu’en appliquant la loi, la justice s’est montrée défaillante à être équitable. Au total, cette « affaire », ne rend justice à personne, ni à la victime, ni à ses proches, ni même à l’auteur des faits, pas non plus à la société. Voilà donc une justice dont la justice manque à l’équité. Quel étrange paradoxe et quel aval donné aux antisémites de tout bord !

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