Nos maîtres nous révèlent dans la Guemara (Sota 42b) que certains groupes d’individus ne pourront jamais « recevoir » la Présence divine. Ils n’auront pas droit, après leur disparition, à une réelle proximité avec le Créateur de l’univers. Parmi eux, nous comptons le groupe des médisants. Ils se retrouvent à côté des menteurs, des flatteurs et des moqueurs.
La médisance est un fléau qui, à l’ère des médias et autres moyens de communication, est monnaie courante. Essayons de réfléchir à la raison de ce désir de prononcer des mots qui peuvent tuer, des paroles de Lachon hara’.
A priori, il n’y a aucun intérêt à dire de la médisance, comme nos Maîtres nous l’enseignent dans le Talmud (‘Erkhin 15b). Les animaux posent au serpent, symbole de cette faute, la question suivante : « Quel bénéfice tires-tu de la médisance ? »
Mais à y réfléchir un peu plus, le Lachon hara’ a un bénéficiaire, car celui qui médit de l’autre va l’abaisser, et de cette manière il se fait automatiquement grandir lui-même ! En effet, si je rapporte les actes négatifs d’un tiers, c’est que ces éléments ne font pas partie de ma vie ! Quelque part, je me fais exister en rabaissant l’autre. Il semblerait donc que j’en tire un profit. Or, ce n’est pas l’avis de nos Maîtres !
Rav Dessler va, pour expliquer cela, faire un distinguo subtil entre le fait de proférer des paroles de Lachon hara’, et le plaisir qui vient de cette illusion que je suis mieux que l’autre puisque j’évoque ses défauts et ses échecs.
Ce désir provient, comme le dit le rav Friedlandler (Sifté ‘Haim), de l’incapacité qu’a l’homme d’accepter de se voir tel qu’il est réellement. C’est l’individu qui se pose sans arrêt la question sur la manière dont il est vécu, perçu et analysé par les autres, qui pense qu’en dévalorisant le tiers, il sera perçu différemment par ceux auxquels il parle. Cet individu vit dans un univers imaginaire et se retrouve être constamment dépendant de la perception qu’aura de lui la société dans laquelle il se trouve.
Comment éviter de tomber dans ce piège et éduquer nos enfants à faire de même ?
Le point de départ serait peut-être d’apprendre à s’accepter et à s’aimer tel qu’on est. Non point dans une forme d’acceptation résignée, mais en vivant d’une belle manière la découverte de tous les éléments positifs et moins positifs qui nous constituent. Les positifs seraient nos lieux d’évolution, et les négatifs nos lieux de transformation. Nous savons tous qu’avant d’arriver à ce qui peut s’apparenter à la perfection, un long chemin s’impose. Cela revient à dire que la quasi-totalité des personnes que nous rencontrons dans notre vie possèdent des parties « sombres » sur lesquelles elles se doivent d’évoluer.
Je voudrais rappeler à ce propos la fameuse lettre adressée par le rav Yits’haq Hutner zatsal à un de ses élèves qui se plaignait justement de son imperfection (Igueroth oumikhtavim 128). Dans cette lettre, il fustige les biographies des Grands de notre peuple qui nous laissent croire que ceux-ci n’ont jamais eu de combat à mener contre leur yétser hara’ et qu’ils n’ont jamais eu, suivant ses termes, « des erreurs et des échecs ».
Le rav Hutner écrit à cet élève la phrase suivante :
« Mon très cher, si tu m’avais rapporté, dans ta lettre, les bonnes actions que tu accomplies, j’aurais considéré que c’est une belle lettre ; mais maintenant que tu me rapportes tes erreurs et tes échecs, alors je la vois comme une TRES belle lettre. » Il poursuit : « C’est là où tu as l’impression d’être en échec que se trouve justement ta possibilité d’être véritablement grand. » La conclusion se passe de commentaire : « Associé à ta difficulté, en ayant confiance dans ta victoire, et en priant pour ta réussite »…
En ayant une belle image de nous-mêmes sans occulter les défauts sur lesquels nous devons travailler, nous avons de moins en moins besoin d’une valorisation extérieure pour nous sentir exister, car nous avons appris à nous faire exister. En-dehors de cela, c’est le lien intime avec le Créateur de l’univers que nous allons devoir travailler. Prendre conscience de l’immense amour que Hachem nous porte, et qui n’est pas en permanence potentiellement remis en cause. Se rappeler tout ce que nous avons réussi à faire et tout ce que nous voulions faire, même si parfois l’échec a été au rendez-vous. Ne pas oublier aussi que pas tout le monde n’aura le mérite de nous aimer.
Cela passe également par des éléments aussi simples que d’apprendre à se faire des compliments et à se congratuler soi-même. Cela se retrouve aussi dans nos choix vestimentaires qui ne devraient pas être conditionnés par le regard que le public portera sur nous. Cela se met en place enfin à travers le choix d’amis qui sauront nous aimer pour ce que nous sommes, sans pour autant porter un regard complaisant et sclérosant sur ce que nous sommes. Ce combat, car c’en est un, doit être mené le plus tôt possible afin de ne pas tomber dans un système où c’est l’autre qui deviendra un élément déterminant de mes choix de vie, voire même mes choix du quotidien. En regagnant cette indépendance sans pour autant mettre de côté notre soumission à la parole de Hachem, nous nous donnerons aussi les moyens, en étant plus authentiques et vrais, de ne pas faire partie des catégories de ceux qui se déconnectent de Hachem.
La recherche de la vérité deviendra alors le centre même de notre existence.
Par rav Lemmel
Kountrass numéro 179