L’un des objectifs principaux des rebelles syriens en avançant vers Damas était de prendre le contrôle de la prison tristement célèbre de Saydnaya, située sur la route menant à la capitale. Des dizaines de milliers de personnes ont perdu la vie derrière ses murs, leur seul « crime » étant souvent leur appartenance à l’opposition syrienne, voire moins encore. Quelques heures après la libération de la prison et les révélations horrifiques sur ce qu’elle abritait, nous avons enquêté sur cet « abattoir » notoire.
Kikar haChabbath
Une prison conçue pour réprimer
Depuis 1987, le régime syrien utilisait la prison de Saydnaya pour « traiter » de manière brutale les dissidents, notamment les membres de l’opposition. Jusqu’à sa chute dans la nuit de Chabbath, des dizaines de milliers de citoyens y avaient été emprisonnés, beaucoup d’entre eux y trouvant la mort.
Les images diffusées après la prise de contrôle par les rebelles montrent des scènes horrifiantes : des enfants emprisonnés, des cordes utilisées pour des pendaisons, et d’autres instruments de torture insoutenables.
La prison, à la conception unique, reflétait la volonté du régime d’en faire une forteresse empêchant toute tentative de rébellion. Composée de trois bâtiments principaux en forme de logo « Mercedes », ces structures convergent vers une zone centrale appelée « l’hexagone », la plus sécurisée, où se trouvent des cellules individuelles sous surveillance constante. L’objectif était d’empêcher les détenus de comprendre l’organisation de la prison ou même de voir le visage des gardiens.
Chaque bâtiment compte trois étages, avec deux ailes par étage, comprenant chacune vingt dortoirs collectifs de huit mètres sur six. Ces dortoirs sont dépourvus de fenêtres, et chaque groupe de quatre dortoirs partage un unique point de ventilation. Au rez-de-chaussée, 100 cellules individuelles sont destinées aux prisonniers les plus isolés.
Selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme, environ 30 000 détenus y auraient trouvé la mort depuis le début de la révolution syrienne, victimes de tortures, de mauvais traitements et d’exécutions de masse.
« Un abattoir humain » selon Amnesty International
En février 2017, Amnesty International a publié un rapport sur la prison, surnommée « l’abattoir ». Selon ce rapport, entre 20 et 50 personnes étaient pendues chaque semaine entre 2011 et 2015 sur ordre de hauts responsables du régime syrien, dont des proches du président Assad. Les exécutions étaient mises en œuvre par la police militaire syrienne.
Le rapport décrit une « campagne calculée d’exécutions extrajudiciaires » et documente près de 35 méthodes différentes de torture utilisées en Syrie depuis la fin des années 1980. Selon Lynn Maalouf, directrice adjointe de la recherche à Amnesty Beyrouth, ces pratiques ont considérablement augmenté depuis 2011.
Une crémation pour effacer les traces
D’après le département d’État américain, une crémation a été construite dans la prison pour brûler les corps des exécutés et effacer les preuves des exécutions massives. En 2017, le département d’État a accusé le régime syrien d’avoir tué des milliers de détenus et d’avoir incinéré leurs corps dans une grande crémation située dans les faubourgs de Damas.
Stuart Jones, un diplomate américain spécialiste du Moyen-Orient, a déclaré lors d’un briefing que « 50 détenus opposés au régime sont pendus chaque jour dans la prison militaire de Saydnaya, à 45 minutes de Damas. »
Il a ajouté que « de nombreuses victimes ont été jetées dans des fosses communes. » Selon lui, la crémation a été construite pour dissimuler l’ampleur des atrocités.
« Nous pensons que le régime syrien a installé cette crémation pour se débarrasser des corps avec un minimum de preuves, » a-t-il conclu.