Depuis le 9 juin, une petite musique circule : en prononçant la dissolution de l’Assemblée nationale, Emmanuel Macron inscrirait ses pas dans ceux de de Gaulle. Le président jupitérien, l’apôtre de la verticalité renouerait avec la tradition gaullienne de l’appel au peuple, qui a conduit le père de la Vᵉ République à quitter le pouvoir à la suite du référendum perdu de 1969.
Démission dans la balance
Évidemment, c’était là méconnaître l’ADN de nos institutions. D’abord parce qu’à chaque retour aux urnes, de Gaulle mettait sa démission dans la balance. Ce qu’Emmanuel Macron s’est empressé de ne pas faire, annonçant qu’il resterait à l’Élysée en cas de défaite, quitte à cohabiter. Ensuite parce que ces législatives anticipées prenaient la forme d’une séance de rattrapage : puisque les Français ont « mal » voté aux européennes, plaçant le RN en tête, libre à eux de confirmer – ou plutôt d’infirmer – leur choix. Après une campagne éclair, placée sous l’égide des « heures les plus sombres de l’Histoire ». On imagine mal de Gaulle bricoler des élections pour mieux braquer son pistolet moral sur ses concitoyens.
Mais c’est encore dans les vieux pots qu’on fait les meilleures soupes. Et dès le soir du premier tour, l’air composé d’un certain 21 avril 2002 s’est intensifié. Sur tous les plateaux télé, même refrain : « Pas une voix au RN ! ». Leitmotiv d’une classe politique qui s’est donné le mot – tout en s’étonnant de la défiance croissante du peuple envers ses élites. Dans le registre des petites phrases, difficile de ne pas offrir la palme à Olivier Faure, le patron du PS affirmant qu’une victoire du RN entraînerait « le tri des enfants » dès leur plus jeune âge. On n’est pas loin des outrances de Silvio Berlusconi, disant des communistes qu’ils faisaient « bouillir des enfants afin de les utiliser comme engrais » du temps de Mao. Mais le pire dépasse ces sorties tapageuses et pas très constructives. Par le passé, le barrage anti-RN – le fameux front républicain – visait à enrayer la montée de l’extrême droite, à mettre sous l’éteignoir le parti de Marine Le Pen. Aujourd’hui, tel n’est pas l’enjeu. Le RN étant la seule formation susceptible d’avoir une majorité absolue à l’Assemblée, tout faire pour l’en priver signifie, de facto, favoriser un Parlement bloqué, tributaire de coalitions contre-nature et d’arrangements d’appareil. Les porte-paroles de la Macronie l’ont d’ailleurs esquissé, rêvant d’une « majorité responsable autour de l’arc central et républicain », pour reprendre les mots de Nicole Belloubet. En clair, un rassemblement hétéroclite de tous ceux – des Insoumis non-Mélenchoniens (si la chose existe) aux Républicains Macron-compatibles, en passant par les écologistes ou les communistes – qui aspirent au statu quo. Même si les Français n’en veulent plus. Et quitte à pactiser au mépris de la plus infime cohérence. À moins d’imaginer Aurélien Pradié s’attabler avec Sandrine Rousseau.
Bordélisation générale
Au fond, Emmanuel Macron a réussi un tour de force, énième déclinaison du « en même temps ». Lui le Jupitérien entraîne le pays vers un régime d’assemblée digne de la IVᵉ République, mise en pratique de la tactique de « bordélisation » prônée par LFI. Une France ingouvernable, soumise aux stratégies « politichiennes », comme disait de Gaulle.
Il y a sept ans, de nombreux citoyens pensaient qu’Emmanuel Macron incarnait le nouveau monde. Il restaure au contraire l’ancien, qui avait conduit la France vers le pire. Le gardien des institutions en est devenu le fossoyeur.