La Turquie et l’Iran poussent les Emirats dans les bras d’Israël

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Ill : Mohamed Bin Zayed (MbZ)

Par Jacques BENILLOUCHE – Temps et Contretemps

Depuis plusieurs années déjà, les Émirats arabes unis ont accepté de nouer des relations non officielles avec Israël dans le cadre d’un mariage de raison car l’objectif est de se prémunir contre un islam politique dont la capacité de nuisance est de plus en plus envahissante. Le projet israélien d’annexion d’une partie de la Cisjordanie n’a pas entamé la volonté des Émirats de se rapprocher d’Israël ni empêché l’ambassadeur des Émirats à Washington, Yussef al-Utiyeva, de publier pour le principe, un éditorial en hébreu dans Yediot Aharonoth afin de critiquer l’annexion : «Nous aimerions croire qu’Israël est une opportunité, pas un ennemi. Un énorme potentiel pour des liens plus étroits» mais il n’ira pas jusqu’à bloquer la normalisation des relations.

Les relations entre Abou Dhabi et Jérusalem n’ont pas qu’un but géostratégique et commercial mais elles se fondent sur des politiques idéologiques. Ce réchauffement est dû à l’influence grandissante des 3.000 Juifs vivant à Abou Dhabi et Dubaï, disposant de la double nationalité et expatriés des pays occidentaux. Cela est original dans la mesure où les Émirats n’ont aucun passé juif. Les Juifs sont généralement des travailleurs contractuels d’Amérique du Nord et d’Europe occidentale.

Les Émirats sont très sensibles aux bonnes relations avec toutes les religions. D’ailleurs, ils ont construit un projet appelé «projet de maison de famille abrahamique», afin de refléter l’histoire des trois religions du pays. Ce nouveau complexe fera fonction à la fois de mosquée, d’église et de synagogue. Des athlètes israéliens ont participé au tournoi du Grand Chelem de la Fédération internationale de judo à Abu Dhabi en octobre 2018. De plus en plus de Juifs s’y installent pour des raisons commerciales.

Circoncision à Abou-Dhabi

Depuis 2015, Israël a envoyé un diplomate à l’Agence internationale des énergies renouvelables basée aux Émirats arabes unis, une mesure qui montre comment les intérêts de sécurité israéliens commencent à converger avec les États du Golfe à la suite de l’accord nucléaire iranien. Un bureau diplomatique a ouvert son siège à Abu Dhabi mais on tient à préciser qu’il ne s’agit ni d’une ambassade officielle ni d’une présence consulaire.

L’entente entre les deux pays s’explique par la volonté, depuis 2009, de défier l’Iran et depuis peu la Turquie qui cherche à recréer l’Empire ottoman. Abou Dhabi craint les Frères musulmans qui avaient pris le pouvoir en Égypte tandis que la révolution islamique est devenue leur problème majeur de sécurité.

Ce rapprochement n’est pas nouveau. En 2012 déjà, Netanyahou et le ministre des Affaires étrangères des Émirats, Abdullah bin Zayed, s’étaient rencontrés dans un hôtel de New York lors de l’Assemblée générale des Nations Unies afin de prendre une position commune contre l’activité iranienne. L’attaque iranienne contre les infrastructures pétrolières saoudiennes a définitivement convaincu les Émirats qu’ils ne pouvaient plus compter sur le parapluie américain et qu’ils devaient dorénavant demander la protection israélienne face à l’ennemi commun.

La réponse ambiguë du président américain Donald Trump, aux récentes attaques de pétroliers et à la destruction d’un drone, préoccupe Abou Dhabi qui craint de devoir supporter seul le principal fardeau du conflit si les choses devaient s’intensifier. L’Iran n’est pas seul à inquiéter les Émirats. Les printemps arabes ont déstabilisé le monde musulman tandis que les islamistes sont devenus un problème majeur pour la sécurité arabe. Le prince héritier d’Abou Dabi, Mohamed bin Zayed (MbZ), a exprimé ouvertement de vives réserves quant aux élections libres au Moyen-Orient, affirmant qu’une plus grande démocratie dans la région donnera beaucoup de légitimité  aux Frères musulmans, au Hamas et au Hezbollah. Il a aussi exprimé de profondes inquiétudes concernant les ambitions nucléaires iraniennes.

De nombreux dirigeants et diplomates occidentaux sont convaincus que les Arabes doivent vivre sous un régime autoritaire pour une meilleure stabilité. Par ailleurs, Abu Dhabi qualifie le Qatar, l’Iran et la Turquie de «sponsors du terrorisme». Israël a également contribué à l’essor des Émirats en tant que puissance régionale de cyber et d’information tandis que les liens commerciaux avec Israël se développent dans le transport maritime avec Zim, la plus grande ligne de conteneurs en Israël, dans les investissements et à présent dans le combat contre le coronavirus. Zim a fait des investissements dans le port de Dubaï en achetant deux douzaines d’opérations de terminaux. De nombreuses entreprises israéliennes fournissent des capacités de cyber-espionnage pour pirater des téléphones, recueillir des renseignements et surveiller des islamistes, des dissidents arabes et des dirigeants du Golfe.

Des spécialistes militaires et de sécurité israéliens, ayant quitté leur service, ont été embauchés à titre privé pour travailler au sein des sociétés militaires et de sécurité privée émiraties.

De son côté MbZ veut faire échec à la menace islamiste. Observateur avisé, il assiste à l’effondrement des États-Unis en tant que puissance organisatrice au Moyen-Orient. Face à un Erdogan très actif, il pense être le nouveau dirigeant de la région. Avec ses forces armées et celles d’Israël, les plus compétentes de la région, face aux préoccupations communes concernant le terrorisme et l’agression, et une relation profonde et longue avec les États-Unis, les Émirats et Israël pourraient former une coopération en matière de sécurité plus étroite et plus efficace. Grâce à deux économies, les plus avancées et les plus diversifiées de la région, l’expansion des relations commerciales et financières pourrait accélérer la croissance et la stabilité à travers le Moyen-Orient. MbZ ne cache pas son ambition de transformer son petit État en un autre Israël.

Israël et les Émirats ont une portée militaire et économique qui s’étend bien au-delà de leurs frontières et au cœur de l’Afrique. Si Israël a montré qu’il a un bras long, les Émirats ont également montré leur bras long en Libye, en Turquie et en Syrie. Proches des intérêts occidentaux, ils ont des ennemis communs, l’islamisme, la Turquie et l’Iran. Ils ont une stratégie commune pour contrôler la région. Les deux plus grands défis régionaux pour les Émirats et Israël sont respectivement la Turquie et l’Iran.

Les Émiratis n’hésitent pas à affronter de front le président turc Recep Tayyip Erdogan. Certaines rumeurs prétendent qu’ils ont financé la tentative de coup d’État de 2016. Abdulkhaleq Abdullah, conseiller de la cour royale des Émirats, a révélé que les Émirats avaient attaqué des batteries de défense aérienne turques dans la base aérienne libyenne d’Al-Watiya pour «donner une leçon aux Turcs»

Pour avoir collaboré avec elle et fourni des armements de haute technologie, Israël considère l’armée turque comme sa principale menace. Yossi Cohen, le patron du Mossad, lors d’une réunion de diplomates de l’Arabie, des Émirats et de l’Égypte dans une capitale du Golfe, avait estimé que l’armée turque était plus capable et moins facile à contenir que celle de l’Iran.

Le problème fondamental est que la rue arabe est totalement opposée à la reconnaissance d’Israël jusqu’à la résolution du conflit israélo-palestinien. Cela donne l’impression que la mission de MbZ est impossible et que le projet avec Israël est difficile à appliquer dans la région. La Turquie a une politique étrangère interventionniste tandis que la portée militaire de l’Iran ne s’est jamais vraiment étendue au-delà des minorités chiites des États arabes sunnites, à savoir le soutien militaire au Yémen, au Hezbollah et le soutien financier au Hamas. Yossi Cohen est formel ; du point de vue du Mossad, l’Iran n’a jamais réellement menacé la domination militaire d’Israël. Mais une certitude, les Émirats et Israël sont contraints à un mariage de raison.

 

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