- Malheureusement, Hüseyin Nihal Atsız a encore de nombreux disciples en Turquie.
- « Pas plus que la boue ne se transforme en fer quand elle est mise au four, un Juif ne peut devenir turc quels que soient ses efforts. Être turc est un privilège qui n’est pas accordé à tout le monde, et surtout pas aux Juifs … Si la colère nous prend, nous n’exterminerons pas seulement les Juifs comme l’ont fait les Allemands, nous irons plus loin … » – Hüseyin Nihal Atsız, National Revolution (Milli Inkılap), 1934.
- Aujourd’hui, les théories racistes d’Atsız se lisent en filigrane derrière les politiques anti-arménienne, anti-grecque, anti-chypriote, anti-juive, anti-kurde, anti-occidentale et anti-israélienne de la Turquie. Des millions de Turcs ont été empoisonnés pendant des décennies par les opinions nazies d’Atsız.
En novembre, la municipalité du Grand Istambul, dirigée par le Parti républicain du peuple (CHP), principal parti d’opposition, a baptisé un parc du quartier de Maltepe du nom de Hüseyin Nihal Atsız, un antisémite et un raciste qui fut l’un des plus chaud partisan du nazisme en Turquie. La demande a été déposée devant le conseil municipal par des membres du « Parti du Bien » (Iyi), un autre parti d’opposition turc. Atsız (1905-1975) était célèbre pour sa capacité à différencier les « vrais turcs » des autres en « mesurant les crânes ».
La motion du Parti du Bien appelant le conseil municipal d’Istambul à baptiser un parc du quartier de Maltepe du nom d’Atsız a été déposée en mars. Ses auteurs ont déclaré qu’Atsız avait passé la majeure partie de sa vie à Köyiçi dans le quartier de Maltepe, et la proposition a été inscrite à l’ordre du jour du conseil municipal de novembre. Le vote ayant été positif, le parc du quartier de Yali a officiellement reçu le nom d’Atsız.
Le site officiel de la municipalité du Grand Istamboul affirme que la motion a été adoptée à l’unanimité. Dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux, la section du Parti du Bien de Maltepe a remercié Ekrem Imamoğlu, maire d’Istamboul (CHP) de son soutien.
Atsız a de nombreux disciples en Turquie. Ainsi, le 11 décembre, Meral Aksener, chef du Parti du Bien, a posté sur Twitter :
« En ce jour anniversaire de la mort d’Hüseyin Nihal Atsız, j’honore avec respect et grâce, la mémoire d’un des plus éminents défenseur du nationalisme turc qui a su si bien incarner nos sensibilités. »
Quelle vision du monde nous a donc légué Atsız ?
Atsız a été le promoteur du Pan-Turanisme, également connu sous le nom de Turanisme, Turkisme ou Pan-Turkisme, une idéologie nationaliste et expansionniste qui a émergé en Turquie ottomane sous les Jeunes Turcs (1908–1918). Le Turanisme postule qu’il existe une suprématie turque et vise à unifier au sein d’un même territoire les « peuples turcs » de la Hongrie au Pacifique. Le Comité ottoman d’Union et de Progrès (CUP), qui organisé en Turquie ottomane, la première phase du génocide chrétien entre 1914 et 1923, était également pan-turquiste-turaniste. L’agressivité de la Turquie envers l’Arménie, Israël, Chypre, la Grèce et d’autres pays de la région aujourd’hui est motivée par le turquisme, et quelques autres idéologies extrémistes.
Dans son livre Turkey, the Jews, and the Holocaust (La Turquie, les Juifs et l’Holocauste), l’historienne allemande Corry Guttstadt décrit Atsız comme un « apologiste turc du nazisme allemand » :
« Nihal Atsiz était un fervent sympathisant nazi. Il se disait « raciste, pan-turquiste et turaniste » et il affichait son antisémitisme A partir de 1934, Atsiz a lancé Orhun, un journal turaniste, dans lequel il préconisait la conquête d’un Grand Empire turc allant de la Méditerranée au Pacifique. Son turkisme était basé sur les liens de sang et de race ; il préconisait un retour aux croyances turques préislamiques. »
Le professeur Jacob M. Landau note :
« Atsiz vouait une grande admiration aux théories raciales nazies que l’on retrouve disséminées dans ses propres écrits au cours des années 1930 et 1940 (avec les Turcs étiquetés comme la « race des maîtres »). Ses articles insistaient encore et encore sur le fait que le pan-turquisme pourrait – et devrait – être réalisé par la guerre. Pendant des années, ses postures militaires et une coupe de cheveux adaptée l’ont aidé à cultiver sa ressemblance avec Hitler. »
Les écrits d’Atsız ont joué un rôle dans le déclenchement des violences contre les communautés juives. Atsız était professeur de littérature en Thrace orientale quand a éclaté le pogrom de 1934. Corry Guttstadt écrit :
« Juste avant les événements de 1934, le journal Orhun que dirigeait Atsiz a publié des articles de menaces contre les Juifs. »
Après un voyage dans la ville de Canakkale, Atsız a écrit :
« Le Juif ici est le même que celui que nous voyons partout. Sournois, insolent, malveillant, lâche, mais opportuniste ; le quartier juif explose de clameurs, de bruits et de saletés comme tous [les quartiers juifs] … Je refuse que cette nation perfide et bâtarde de l’histoire puisse être considérée comme faisant partie de mes compatriotes. »
Dans un autre article de la même période, Atsız a écrit :
« Cette créature que l’on appelle Juif n’est aimée nulle part au monde à l’exception des autres Juifs et des ignobles … Certaines expressions de notre langue : « comme un Juif », « ne fais pas ton juif », « pagaïe juive », « on dirait une synagogue » … sont un bon indice de la considération que notre race accorde à cette vile nation. Pas plus que la boue ne se transforme en fer quand elle est mise au four, un Juif ne peut devenir Turc quels que soient ses efforts. L’appartenance turque est un privilège ; elle n’est pas donnée à tout le monde, surtout pas aux Juifs … Si la colère nous prend, nous n’exterminerons pas seulement les Juifs comme l’ont fait les Allemands, nous irons plus loin … »
Echauffés par les écrits d’Atsız et d’autres auteurs antisémites, les Turcs ont fomenté des pogroms contre les Juifs de Thrace orientale du 21 juin au 4 juillet 1934. Les violences ont commencé par un boycott des entreprises juives et se sont poursuivies par des déprédations contre des biens juifs, des pillages, et des incendies. Des Juifs ont été battus et des Juives auraient été violées. Terrorisés, de nombreux Juifs ont fui la région. L’historien Rifat Bali affirme que de nombreux adeptes d’Atsız ont participé directement aux émeutes.
Atsız a joué un rôle clé dans l’expansion de l’antisémitisme en Turquie. Selon le livre du Dr Fatih Yash, Notre Haine est notre Religion : Etude sur le fascisme turc, Atsız a écrit :
« Un enfant de la nation turque qui a brandi l’épée et a bataillé des siècles durant peut-il être l’égal d’un enfant de la nation juive qui a toujours vécu dans la malhonnêteté et la fraude ? Un enfant turc et un enfant juif nés le même jour placés dans le même établissement scolaire et recevant une éducation identique en espéranto produiront toujours le même résultat : l’enfant turc sera courageux tandis que le Juif se comportera toujours comme un « lâche. »
Atsız a multiplié les déclarations déshumanisantes contre les non-Turcs. Ignorant superbement le génocide commis par les Turcs contre les Arméniens, les Assyriens et les Grecs, il écrit :
« Les Grecs peuvent-ils être considérés comme des êtres humains ? … Grec signifie scorpion, ce genre de scorpion qui pique le dos de la tortue après qu’elle l’a aidé à traverser la rivière et qui plaide ensuite « pouvais-je faire autrement ? Je ne sais que trahir ! ». Les Grecs ont à l’encontre des Turcs une inimitié de tradition. »
Atsız haïssait presque tous les peuples non turcs. Dans son testament, Atsız s’adresse à Yagmur, son fils alors âgé d’un an et demi, et écrit :
« Les Juifs sont le pire ennemi de toutes les nations. Les Russes, les Chinois, les Perses, les Grecs sont nos ennemis historiques.
« Les Bulgares, les Allemands, les Italiens, les Britanniques, les Français, les Arabes, les Serbes, les Croates, les Espagnols, les Portugais, les Roumains sont nos nouveaux ennemis.
« Les Japonais, les Afghans et les Américains sont nos futurs ennemis.
« Les Arméniens, les Kurdes, les Circassiens, les Abkhazes, les Bosniaques, les Albanais, les Pomaks, les Laz, les Lezgins, les Géorgiens, les Tchétchènes sont nos ennemis de l’intérieur ».
« Il faut être bien préparé pour combattre tant d’ennemis »
Yagmur ne s’est pas laissé influencer et en grandissant, a aiguisé un sens critique à l’égard des opinions de son père. Dans un livre écrit en 2005, Yagmur décrit comment son père déterminait le « degré de pureté turque » de ses visiteurs en mesurant leurs crânes.
« Nihal Atsız ne croyait qu’aux boites crâniennes. Il mesurait les crânes de personnes qu’il ne connaissait pas et les comparait aux crânes des personnes de son entourage immédiat et de ses voisins. Il procédait ensuite à des calculs complexes sur les crânes et cataloguait les gens en Turcs et non-Turcs. Il a affirmé à certains qu’ils n’étaient turcs qu’à 37%, qu’ils avaient neuf sur dix ou ne l’étaient qu’à 69,4%. Pour ceux qui ne pouvaient revendiquer qu’un faible taux d’appartenance ethnique turque, ils avait des mots de « consolation ». Il disait par exemple « vous pouvez éliminer partiellement votre déficit par la volonté et une conscience nationale de chaque instant ».
« Bien sûr, ceux dont le crane révélait un faible taux d’appartenance turque, quittaient [notre] maison dans un état d’extrême dépression ».
Yagmur Atsız se rappelle que « l’outil » avec lequel son père mesurait les crânes était une sorte de pied à coulisse, d’environ 45 centimètres de long, toujours présent sur son bureau.
Atsız a mesuré des crânes et pesé sur la vie politique turque des décennies durant. Guttstadt note :
« Après la Seconde Guerre mondiale, l’antisémitisme et le fascisme d’inspiration allemande sont devenus une constante du système politique turc. En 1962, Nihal Atsız et ses amis politiques ont fondé la Türkçülük Derneği [Association du turkisme], un précurseur du Parti d’action nationale fasciste (Milliyetçi Hareket Partisi, MHP), qui a assassiné un nombre incroyable d’étudiants, de syndicalistes et d’intellectuels de gauche dans les années 70. Le chef de ce mouvement était le camarade d’armes d’Atsız, Alparslan Türkeş. »
Le MHP inclut également le mouvement raciste d’extrême droite des Loups Gris (Bozkurtlar) récemment interdit en France après la profanation d’un mémorial dédié aux victimes du génocide arménien de 1914-1923. Officiellement connu sous le nom de Foyers Idéalistes (Ülkü Ocakları), le mouvement a été impliqué dans de nombreux actes de violence contre des civils et des personnalités politiques et religieuses. Le massacre des Alevi à Maras, dans le sud-est de la Turquie, en 1978 et la tentative d’assassinat du pape Jean-Paul II en 1981 sont à mettre à l’actif des Loups Gris.
De nombreuses personnes sont mortes victimes de la vision du monde raciste d’Atsız. Pourtant, à Ankara et Antalya trois parcs au moins portent son nom et à Amasya, Atsiz a donné son nom à une rue de la ville.
Qu’y a-t-il dans les pensées et les activités d’Atsız qui fascine les nombreux membres de l’opposition turque – y compris le maire d’Istambul – au point qu’ils en fassent la promotion ? Sont-ce ses « mesure du crâne », ou le nazisme, le racisme, le suprémacisme turc et la haine qui sert de plateforme à l’opposition ?
Aujourd’hui, les théories racistes d’Atsız se lisent filigrane derrière les politiques anti-arménienne, anti-grecque, anti-chypriote, anti-juive, anti-kurde, anti-occidentale et anti-israélienne de la Turquie. Des millions de Turcs ont été empoisonnés des décennies durant par les opinions nazies d’Atsız.
Les thèmes de mobilisation de l’opposition turque ne diffèrent en rien des visions violentes et suprémacistes du président turc Recep Tayyip Erdogan. Tant que les dirigeants de l’opposition et les politiciens turcs ne feront pas face honnêtement au passif de la Turquie en matière de crimes, de massacres et de racisme systémique, la démocratie ne sera qu’un rêve dans ce pays.
Uzay Bulut, journaliste turc, est Distinguished Senior Fellow de l’Institut Gatestone.