Le Cabinet jihadiste du HTS ou le nouveau gouvernement syrien – des « coupeurs de têtes modérés »
Le gouvernement de transition en Syrie revêt, pour paraphraser l’euphémisme du nouvel homme fort de Damas, Al-Joulani/Charaà, une vraie « cohérence » : les postes importants sont tous alloués à d’anciens jihadistes de l’État islamique, d’Al-Qaïda en Irak, d’Al-Qaïda/Al-Nosra en Syrie, ou d’Ahrar al-Sham. De quoi inquiéter les minorités…
Concernant Abou Mohammad al-Joulani, de son vrai nom Ahmed al-Charaà, les médias n’ont pas pu cacher son passé puisqu’il était très connu, recherché par la justice américaine avec une prime de 10 millions de dollars pour avoir commencé sa carrière jihadiste au sein d’Al-Qaïda contre les Américains en Irak en 2003 puis pour avoir fondé l’État islamique en Syrie avant de créer une scission affiliée à Al-Qaïda nommé Al-Nosra, noyau-dur de l’actuel HTS ou Hay’at Tahrir al-Sham, dont le nom même qui signifie organisation de la Libération du Levant, annonce en soi une conquête islamiste des 5 nations qui la composent….
La seconde figure, moins connue et dont Wikipédia et les médias occidentaux ont soigneusement gommé le passé jihadiste, Muhammad al-Bashir, l’actuel Premier Ministre, est tout de même un fidèle de Joulani, lui aussi connu pour sa cruauté dans l’Émirat d’Idlib dont il a déjà été le premier ministre et où se sont cachés notamment certains des soutiens ou inspirateurs jihadistes francophobes des assassinats de l’équipe de Charlie Hebdo et des de Samuel Paty.
Épisode passé sous silence dans les médias occidentaux, le premier vendredi après la prise du pouvoir par HTS, Al-Bachir, le soi-disant technocrate modéré, a pris la parole comme Joulani dans la mosquée des Omeyyades de Damas, symbole absolu des califalistes pour y prononcer le sermon du jour, signe d’une non-renonciation à la théocratie, et le drapeau jihadiste blanc coloré de sourates noires flotte toujours sur son bureau à côté de celui de la Syrie.
Une autre figure inquiète : l’ex-bourreau en chef de DAECH en Syrie (avant la scission avec Al-Qaïda/Al-Nosra), Shadi Al-Waisi, a été nommé « Ministre de la Justice ». Dans deux vidéos attestées et devenues virales début janvier 2025 sur X, on voit l’homme en train d’exécuter deux femmes jugées « immorales ».
Le nouveau ministre de la Défense, Murhaf Abou Kasra s’est affiché ces derniers jours avec le groupe djihadiste « Jaych al-Islam ».
Le profil du nouveau ministre des Affaires étrangères est très intéressant ; issu du célèbre clan des Bani Shaiban, Asaad Hassan al-Shaibani (nom de guerre « Zeid Attar »), est diplômé en langue et littérature anglaises à l’Université de Damas en 2009, en architecture à l’Université de Damas, puis d’un master en sciences politiques et relations étrangères de l’Université Sabahattin Zaim d’Istanbul, ainsi qu’un diplôme online d’une université américaine.
Lui aussi présenté comme un technocrate bon teint grâce à ces diplômes non vérifiés d’ailleurs, il est surtout, comme Joulani, l’homme de toutes les allégeances tactiques : il a combattu les Américains en 2008 en Irak ; puis est passé comme Joulani par Daech avant de rejoindre en 2012 Jabhat al-Nosra (Al-Qaïda en Syrie), et de devenir « l’Administrateur général » du HTS et le bras droit de Joulani, notamment en cocréant le gouvernement syrien du salut (GSS) en 2017, à Idlib.
Son ascension a été rapide au sein du HTS lui a permis d’entrer en contact avec des diplomates de tous pays : proche des pays financiers du Golfe, dont le Qatar, il est à la fois l’homme de liaison du HTS avec les services turcs du MIT (Milli İstihbarat Teşkilatı) et la CIA, qui aidé indirectement le HTS depuis sa création dans l’optique de renverser le régime de Bachar al-Assad.
Le nouveau ministre de la Défense, Murhaf Abou Kasra, dont les noms de guerre jihadiste sont Abou Hassan Al-Hamawi ou Abou Mota, s’est affiché ces derniers jours avec le groupe djihadiste « Jaych al-Islam » (Armée de l’Islam), n’a quant à lui jamais cessé de prôner la création d’un Émirat régi par la charià. Sa nomination a suscité la frayeur parmi les chrétiens et les minorités en Syrie, car il avait sévi contre eux durant la guerre civile. Il a déjà été « ministre de la Défense » dans le GSS à Idlib, jusqu’à 2024.
Avant la période HTS à Idlib, il s’était distingué au sein d’Al-Qaïda, faisant tuer par décapitation de nombreuses personnes sous ses ordres alors qu’il était l’un des chefs de HTS. Il a récemment annoncé qu’il refuserait comme Joulani, le fédéralisme et que son gouvernement exercera vite son autorité sur les zones kurdes du Nord-Est non-soumises qui se préparent à des attaques conjointes de HTS et des islamistes pro-turcs de l’Armée Nationale Syrienne (ANS).
20 assassinats au palmarès
La menace est à prendre au sérieux, connaissant son profil : il aurait à son palmarès 20 assassinats prémédités, 15 vols à main armée, une douzaine d’amputations, l’assassinat de 150 chiites, chrétiens et athées, 15 cas de lapidation et une dizaine de viols… Le Ministre de la Santé, Maher al-Charaà paraît plus fréquentable, en tant que médecin d’état diplômé de la faculté de Voronej.
Mais en tant que frère d’Al-Joulani/ Charaà, Maher al-Charaà est déjà comparé par certains à Maher al-Assad, le frère de Bachar al-Assad qui était l’homme fort de l’armée et un des piliers des trafics du régime syrien.
On peut également évoquer le Directeur du Service général du Renseignement syrien (Al-Mukhabarat al-Amma), Anas Khattab, alias Abu Ahmad Hudood, lui aussi vétéran du jihad. Cet ex-chef du service de sécurité d´HTS à Idlib a été membre d’Al-Qaida en Iraq (2004 – 2011), a été l’un des dirigeants de l’État islamique en Iraq en 2011, puis l’un des fondateurs du Front al-Nosra. Il a été également membre du groupe Jamaat al-Tawhid wal-Jihad.
Il a servi un temps de contact avec DAECH, jusqu’en 2013, concernant les transferts de matériels et d’argent. Il a soutenu Joulani dans tous ses revirements.
Au sein d’HTS, il a développé le système carcéral d’Idlib. Lui aussi collaborateur des services secrets turcs, Khattab a fait infiltrer Hurras ad-Din, une branche récente d’Al-Qaïda en Syrie, ce qui permis des assassinats de ses membres entre 2019 et 2024.
Bien qu’ayant été inscrit comme terroriste par les Etats-Unis, qui ont même tenté de l’éliminer en 2014, dans la région de Deir Ezzor, ancien bastion d’al-Nosra, ses tractations avec la CIA l’ont ensuite épargné et vont lui permettre d’être réhabilité et de se voir vite retirer de la liste des terroristes recherchés, comme Joulani et son équipe qui a troqué les treillis jihadistes pour les costumes cravates… Il reste cependant un tenant de ligne dure…
De Kaboul à la Libye en passant par la Syrie, la cinquantenaire « doctrine Brezinski » n’a pas pris une ride
Enfin, le ministre de l’Intérieur, Muhammad Abdel Rahman, jadis le commandant de la coalition islamiste Jaysh al-Fatah (« Armée de la conquête »), n’a pas un profil plus rassurant. Malgré ces passés plus que problématiques, les médias occidentaux continuent de relayer la propagande du HTS selon laquelle les « minorités seront respectées ». En réalité, ces « jihadistes » raisonnables n’ont pas renoncé à leur projet totalitaire.
Ils n’ont pas empêché les règlements de compte, pillages, viols, persécutions, assassinats de chrétiens, d’Alaouites et de Kurdes de l’Ouest. Ces derniers jours, des jihadistes de HTS sont entrés dans les quartiers chrétiens de Damas avec des drapeaux d’Al-Qaïda, ont fusillé des civils dans la rue, ont pendu des fonctionnaires et ont même tiré sur des membres des minorités dans un hôpital.
Leur double priorité est d’unir les forces combattantes rebelles pour attaquer les Kurdes du Rojava à l’Est, afin de pouvoir jouir des revenus du pétrole sous leur contrôle, puis de donner une bonne image afin d’obtenir la levée des sanctions occidentales et internationales sur la Syrie qui ont favorisé la chute d’Al-Assad.
Si les Occidentaux couvrent leurs crimes passés et présents, c’est parce que depuis la guerre d’Afghanistan et la création d’Al-Qaïda, les Etats-Unis et la Grande Bretagne ainsi que l’OTAN ont toujours eu comme devise, « mieux vaut des islamistes sunnites que des pro-Russes ou des pro-Iraniens chiites ». De Kaboul à la Libye en passant par la Syrie, la cinquantenaire « doctrine Brezinski » n’a pas pris une ride.
JForum – Alexandre del Valle