Dans ce contexte, la guerre en Ukraine est passée au second plan. Les États-Unis ont déclaré qu’ils apporteraient leur aide à Israël et à l’Ukraine. Mais combien de temps pourra-t-elle réellement être pleinement engagée dans deux conflits majeurs ? Les espoirs de Moscou que l’Occident finisse par se lasser de fournir un soutien illimité à Kiev n’ont jamais semblé aussi justifiés.
En outre, la position pro-israélienne de Washington sape la légitimité des raisons plus larges avancées par l’Occident pour soutenir l’Ukraine aux yeux de nombreuses personnes dans les pays du Sud. L’argument moral contre l’invasion de l’Ukraine par la Russie ressemble désormais à des mots vides de sens, en particulier dans les pays du Moyen-Orient.
Les photos des ruines de Gaza, les informations faisant état de milliers d’enfants morts et l’indignation des organisations humanitaires ont profondément marqué les populations des pays en développement. Les gens peuvent débattre sans fin sur les raisons de la guerre en Ukraine ou sur l’opération israélienne à Gaza, mais pour beaucoup la conclusion est évidente : les États-Unis ont critiqué la Russie lorsqu’elle a tué des civils innocents en Ukraine, et maintenant ils se taisent lorsque leur allié Israël fait une chose similaire, mais différente sur les fondements à Gaza.
Une vision du monde dans laquelle la morale et les idéologies n’ont aucune importance – et où seuls comptent les intérêts de l’État – a longtemps dominé le Kremlin. Et cette logique veut qu’il n’y ait pas de meilleure issue pour Moscou que la poursuite du conflit au Moyen-Orient, qui détruit en apparence la stratégie occidentale à l’égard de la Russie. Moscou n’a même pas besoin de lever le petit doigt : il est peu probable que l’opération terrestre israélienne à Gaza prenne fin de si tôt. Lorsque cela se produira, des problèmes insolubles demeureront.
Mais, l’axe Russie-Iran va en prendre un coup. La perte du Hamas est factuelle, le Hezbollah est paralysé, les Houthis risquent de faire les frais de leurs turpitudes, et l’Iran est remonté en tête de liste des ennemis à abattre. Les Européens finiront par comprendre que dans un monde violent, la diplomatie de la canonnière est la plus efficace avec certains ennemis. Les budgets militaires sont à la hausse partout, c’est le changement majeur qu’a provoqué le conflit en Ukraine. On ne s’arme pas pour le plaisir.
Certes, l’escalade à Gaza n’est pas sans risques pour la Russie, et si les forces pro-iraniennes se laissent entraîner, cela pourrait devenir un casse-tête majeur pour le Kremlin. Les liens de Moscou avec l’Iran signifient qu’elle dérive depuis quelques années vers une position pro-Téhéran au Moyen-Orient, mais cela ne signifie pas qu’elle est prête à soutenir l’Iran dans une guerre avec Israël. Une telle évolution obligerait la Russie à choisir son camp et aurait des conséquences sur son intervention en Syrie.
Pour l’instant, toutefois, une conflagration militaire plus large au Moyen-Orient semble peu probable. L’Iran et ses mandataires sont restés jusqu’à présent en dehors du conflit à Gaza, ce qui signifie qu’ils sont moins susceptibles d’intervenir à long terme.
La guerre entre Israël et le Hamas pose également des dilemmes internes au Kremlin. À en juger par les déclarations des responsables, le pogrom antisémite d’octobre au Daghestan a provoqué une onde de choc parmi les dirigeants russes. Le nationalisme et les républiques ethniques de Russie sont des questions qui préoccupaient auparavant le Kremlin. Désormais, la politique au Moyen-Orient devra être élaborée en tenant compte à moitié de l’opinion publique.
JForum.fr – Illustration : Moskva-city (Wikipedia)