Par Jacques BENILLOUCHE – Temps et Contretemps – Illustration : Shutterstock
La reine Elisabeth II a visité plus de 120 pays durant son règne mais elle n’a jamais mis les pieds en Israël. Certains veulent y voir un boycott non officiel de la reine car, parmi la famille royale, le prince William est venu en Israël en 2018 à l’occasion du 70ème anniversaire de l’Indépendance d’Israël et le prince Charles en 2020. Les raisons essentielles sont liées à l’Histoire et à la région et non pas spécifiquement à Israël.
Pour maintenir les relations commerciales avec la plupart des pays arabes, le Royaume Uni ne devait pas indisposer les riches Émirats arabes du Golfe et les potentats anachroniques du Moyen-Orient alors que de nombreux accords commerciaux étaient en permanence en cours de signature. Une autre raison plus politique est avancée, liée à l’insurrection juive contre le mandat britannique. Les groupes armés sionistes avaient fait beaucoup de victimes dans le camp anglais avent 1948 tandis que les représailles anglaises contre les Juifs avaient été sanglantes avec de nombreuses pendaisons.
C’était aussi sans compter sur les maladresses israéliennes qui ont été nombreuses, en particulier lors de la visite de la reine en Jordanie en 1984. Israël avait eu l’indélicatesse d’envoyer des avions de chasse militaires survoler le convoi royal en visite à la frontière avec la Cisjordanie. Ce pied de nez avait pour but de prouver ouvertement qu’Israël était maitre de la région. La reine avait réagi à la noria des avions en lançant «comme c’est effrayant» et «quelle carte déprimante» en se penchant sur une carte des implantations de Cisjordanie. Il s’agissait aussi pour Israël de marquer sa désapprobation d’avoir été ignoré durant cette visite à quelques encablures de Jérusalem.
Celui qui deviendra le roi Charles III, avait effectué une visite officielle en tant que prince de Galles en janvier 2020. Le prince Charles avait alors visité la tombe de sa grand-mère paternelle, la princesse Alice, enterrée dans l’église de Marie-Madeleine de Jérusalem. Elle avait été honorée par le peuple juif pour ses efforts humanitaires à Athènes occupée par les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale. La princesse Alice de Battenberg avait épousé le prince Andrew de Grèce et de Danemark, avec qui elle a eu un fils, le prince Philip, qui renoncera plus tard à son titre grec pour devenir duc d’Édimbourg après avoir épousé la reine Elisabeth. Pendant la Seconde Guerre mondiale, elle avait aidé à soustraire aux nazis des réfugiés juifs et donc avait été déclarée «Juste parmi les nations».
Dans son discours, Charles avait averti que les leçons de l’Holocauste étaient toujours «extrêmement pertinentes» et avait appelé les dirigeants mondiaux à être «intrépides face aux mensonges et à la violence». À Bethléem il avait prié pour «une paix juste et durable au Moyen-Orient» après avoir été «frappé par l’énergie, la chaleur et la remarquable générosité du peuple palestinien». Mais les Israéliens n’avaient pas oublié sa lettre de 1986 à un ami dans laquelle il écrivait : « L’afflux de Juifs européens étrangers en Israël était à blâmer pour la poursuite du conflit entre Israël et le monde arabe. Un président américain doit sûrement avoir le courage de se lever et de s’attaquer au lobby juif aux États-Unis». Certes, il avait depuis évolué mais Israël avait une faible capacité d’oubli.
Mais la reine avait été ferme en refusant à Israël la légitimation que sa visite aurait pu lui donner. Cependant elle n’avait pas hésité à recevoir officiellement au Royaume-Uni les présidents Ephraïm Katzir, Haïm Herzog et Ezer Weizman, et à conférer le titre de chevalier honoraire à l’ancien président israélien Shimon Peres. Mais cela se passait chez elle. En revanche elle avait une relation étroite avec la communauté juive de Grande-Bretagne, puisqu’elle avait attribué au Grand rabbin Immanuel Jakobovits et à son successeur, Jonathan Sacks, la pairie et conféré la chevalerie à de nombreux autres Juifs britanniques. Elle n’a jamais voulu faire un amalgame entre Israël et les Juifs britanniques.
Il n’est pas impossible que le roi Charles III interprète les relations avec Israël avec plus d’actualité et répare l’absence de la reine Elisabeth II dans l’État juif. Il est probable qu’il fera lui-même une visite officielle dans le pays pour devenir le premier chef d’État britannique à se rendre en Israël.