Israël déploie un vaste programme de reconnaissance faciale à Gaza. Cette arme nouvelle permet de reconnaitre les otages contraints à se déplacer sous escorte du Hamas. Elle permet aussi de reconnaitre les barbares du 7 octobre qui ont laissé leurs traces sur les vidéos où ils fêtaient leur carnage.
Cet effort expérimental, non divulgué, est utilisé pour mener une surveillance de masse des habitants de Gaza, en particulier des terroristes selon des responsables militaires et d’autres.
Quelques minutes après avoir franchi un poste de contrôle militaire israélien le long de l’autoroute centrale de Gaza, le 19 novembre, Mosab Abu Toha qui serait un poète palestinien a été invité à sortir de la foule. Il a déposé son fils de 3 ans qu’il portait et s’est assis devant une jeep militaire.
Abu Toha fait partie des centaines de Gazaouis qui ont été identifiés par un programme israélien de reconnaissance faciale, jusqu’ici non divulgué, lancé à Gaza à la fin de l’année dernière. Cet effort expansif et expérimental est utilisé pour y mener une surveillance de masse, collectant et cataloguant les visages des Palestiniens, selon des officiers des renseignements israéliens, des responsables militaires et des soldats.
Cette technologie a été initialement utilisée à Gaza pour rechercher les Israéliens pris en otage par le Hamas lors des massacres du 7 octobre, ont indiqué les responsables du renseignement. Après qu’Israël s’est lancé dans une offensive terrestre à Gaza, il s’est de plus en plus tourné vers ce programme visant à éliminer toute personne ayant des liens avec le Hamas ou d’autres groupes terroristes. Parfois, la technologie signalait à tort des civils comme des terroristes recherchés du Hamas, a déclaré un officier.
Un soldat israélien se tient sous une caméra de surveillance à un point de contrôle à Hébron, en Cisjordanie, en 2021.Crédit…Hazem Bader/Agence France-Presse — Getty Images
La technologie de reconnaissance faciale s’est répandue dans le monde entier ces dernières années, alimentée par des systèmes d’IA de plus en plus sophistiqués. Alors que certains pays utilisent cette technologie pour faciliter les voyages aériens, comme en France aux États-Unis et partout dans le monde, l’utilisation par Israël de la reconnaissance faciale à Gaza se présente comme une application de cette technologie dans une guerre, au même titre que la surveillance des frontières entre dans un système de sécurité nationale.
Israël a déjà utilisé la reconnaissance faciale en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, selon un rapport d’Amnesty l’année dernière, et l’effort à Gaza va plus loin à cause des otages retenus par les barbares qu’Amnesty soutient.
En Cisjordanie et à Jérusalem-Est, les Israéliens disposent d’un système de reconnaissance faciale local appelé Blue Wolf, selon le rapport d’Amnesty. Aux points de contrôle, des villes de Cisjordanie comme Hébron, les arabes, comme les Israéliens sont scannés par des caméras à haute résolution avant d’être autorisés à passer. Les soldats utilisent également des applications pour smartphone pour scanner les visages des Arabes et les ajouter à une base de données, indique le rapport.
À Gaza, dont Israël s’est retiré en 2005, aucune technologie de reconnaissance faciale n’était présente. La surveillance du Hamas à Gaza a plutôt été menée en mettant sur écoute les lignes téléphoniques, en interrogeant des prisonniers palestiniens, en récoltant des images de drones, en accédant à des comptes privés de réseaux sociaux et en piratant les systèmes de télécommunications, ont déclaré des agents des renseignements israéliens.
Après le 7 octobre, les agents des renseignements israéliens de l’unité 8200 se sont tournés vers cette surveillance pour obtenir des informations sur les terroristes armés du Hamas qui ont franchi les frontières d’Israël. L’unité a également passé au peigne fin les images des attaques provenant des caméras de sécurité, ainsi que les vidéos mises en ligne par le Hamas sur les réseaux sociaux, a déclaré un officier. Il a ajouté que l’unité avait été chargée de créer une « liste noire » des membres du Hamas ayant participé à l’attaque.
Corsight a ensuite été sollicité pour créer un programme de reconnaissance faciale à Gaza. La société, dont le siège est à Tel-Aviv, indique sur son site Internet que sa technologie nécessite que moins de 50 % d’un visage soit visible pour une reconnaissance précise. Robert Watts, président de Corsight, a publié ce mois-ci sur LinkedIn que la technologie de reconnaissance faciale pourrait fonctionner sous « des angles extrêmes (même depuis des drones), dans l’obscurité et avec une qualité médiocre ».
Le personnel de l’unité 8200 a vite découvert que la technologie de Corsight avait des difficultés si les images étaient granuleuses et si les visages étaient masqués. Lorsque l’armée a tenté d’identifier les corps des Israéliens tués le 7 octobre, la technologie n’a pas toujours fonctionné pour les personnes dont le visage avait été blessé et totalement déformé. Il y a également eu de faux positifs, ou des cas où une personne a été identifiée par erreur comme étant liée au Hamas.
Pour compléter la technologie de Corsight, les officiers israéliens ont utilisé Google Photos, le service gratuit de partage et de stockage de photos de Google. En téléchargeant une base de données de personnes connues sur Google Photos, les officiers israéliens pourraient utiliser la fonction de recherche de photos du service pour identifier des personnes.
La capacité de Google à faire correspondre les visages et à identifier les personnes même avec seulement une petite partie de leur visage visible était supérieure aux autres technologies. L’armée a continué à utiliser Corsight parce qu’il était personnalisable.
Un porte-parole de Google a déclaré que Google Photos était un produit grand public gratuit qui « ne fournit pas l’identité des personnes inconnues sur les photographies ».
Le programme de reconnaissance faciale à Gaza s’est développé à mesure qu’Israël y élargissait son offensive militaire. Les soldats israéliens entrant dans Gaza ont reçu des caméras équipées de cette technologie. Les soldats ont également installé des points de contrôle le long des routes principales que les Gazaouis utilisaient pour fuir les zones de combats, avec des caméras qui scannaient les visages.
Les objectifs du programme étaient de rechercher des otages israéliens, ainsi que des terroristes du Hamas qui pourraient être détenus pour être interrogés.
Les lignes directrices quant aux personnes à arrêter étaient intentionnellement larges, aurait déclaré un responsable. Il a été demandé aux prisonniers Gazaouis de nommer des personnes de leur communauté qui, selon eux, faisaient partie du Hamas. Israël rechercherait alors ces personnes, dans l’espoir qu’elles fourniraient davantage de renseignements.
Abu Toha, a été désigné comme membre du Hamas par quelqu’un dans la ville de Beit Lahia, au nord de Gaza, où il vivait avec sa famille, ont indiqué les agents des renseignements israéliens. Les officiers ont déclaré qu’aucun renseignement spécifique n’était joint à son dossier expliquant un lien avec le Hamas.
Mosab Abu Toha, et sa famille. Il a déclaré qu’il n’était au courant d’aucun programme de reconnaissance faciale à Gaza. Crédit…via Mosab Abou Toha.
Dans une interview, M. Abu Toha, qui a écrit « Les choses que vous pourriez trouver cachées dans mon oreille sont des poèmes de Gaza », et qu’il n’avait aucun lien avec le Hamas.
Lorsque lui et sa famille ont été arrêtés au poste de contrôle militaire le 19 novembre alors qu’ils tentaient de partir pour l’Égypte, il a déclaré qu’il n’avait présenté aucune pièce d’identité lorsqu’on lui a demandé de sortir de la foule. Après avoir été menotté et emmené sous une tente avec plusieurs dizaines d’hommes, il a entendu quelqu’un dire que l’armée israélienne avait utilisé une « nouvelle technologie » sur le groupe. En moins de 30 minutes, les soldats israéliens l’ont appelé par son nom complet.
Abu Toha a déclaré qu’il avait été interrogé dans un centre de détention israélien pendant deux jours avant d’être renvoyé à Gaza sans explication. Il a réconté son expérience dans le New Yorker, où il contribue. Il a attribué sa libération à une campagne menée par des journalistes du New Yorker et d’autres publications. Ce qui n’est pas prouvé. Un certain nombre de personnes comme lui ayant eux aussi été libérées.
À sa libération, les soldats israéliens lui ont dit que son arrestation avait été une « erreur », a-t-il déclaré.
Dans un communiqué de l’époque, l’armée israélienne avait déclaré que M. Abu Toha avait été interrogé en raison de « renseignements indiquant un certain nombre d’interactions entre plusieurs civils et organisations terroristes à l’intérieur de la bande de Gaza ».
Abu Toha, qui se trouve actuellement au Caire avec sa famille, a déclaré qu’il n’était au courant d’aucun programme de reconnaissance faciale à Gaza. « Je ne savais pas qu’Israël capturait ou enregistrait mon visage », a-t-il déclaré. Mais Israël « nous surveille depuis des années depuis le ciel avec ses drones. Ils nous regardent jardiner, aller à l’école » comme si le Hamas ne le surveillait pas. J’ai l’impression d’être surveillé depuis si longtemps. » Il est surtout très heureux d’avoir quitté le paradis du Hamas.
Sheera Frenkel est une journaliste basée dans la région de la baie de San Francisco, qui couvre l’impact de la technologie sur la vie quotidienne, en mettant l’accent sur les sociétés de médias sociaux, notamment Facebook, Instagram, Twitter, TikTok, YouTube, Telegram et WhatsApp.
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