La Pologne veut sortir de l’oubli un camp nazi d’Autriche

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Du camp nazi le plus meurtrier d’Autriche, il reste quelques bâtiments délabrés au milieu des herbes folles. Éclipsé par d’autres lieux de mémoire, le site de Gusen est largement méconnu, au grand dam de la Pologne dont étaient originaires la majeure partie des victimes.

La nouvelle a fait l’effet d’un électrochoc à Vienne: en décembre, l’ambassade de Pologne en Autriche annonçait la volonté de Varsovie de racheter l’ancien camp en partie situé sur des terrains privés, dans le nord du pays.

Le coup de pression a fait réagir le nouveau gouvernement autrichien, qui a rapidement annoncé vouloir réaménager Gusen. C’était reconnaître implicitement la singulière indifférence qui a prévalu depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale sur le sort de ce lieu.

Selon les historiens, 35.800 détenus sont morts sur le site qui dépendait du camp principal de Mauthausen, situé à 3 km de là. Aménagé depuis longtemps en musée, Mauthausen est le lieu de mémoire le plus visité d’Autriche, tandis que Gusen offre un visage d’abandon.

Il n’existe plus que deux baraquements de la SS, la maison du commandement et le crématoire, à proximité duquel un lotissement pavillonnaire a été construit dans les années 1950.

« Il est plus que temps d’offrir aux victimes de Gusen une vraie place dans l’histoire », déclare à l’AFP l’ambassadrice de Pologne en Autriche, Jolanta Roza Kozlowska, alors que l’Europe commémore cette année les 75 ans de la libération des camps de concentration et d’extermination nazis.

Avec sa quarantaine de satellites sur le territoire autrichien et jusqu’au sud de l’Allemagne, le complexe de Mauthausen formait l’un des camps de travail parmi les plus durs de l’Europe occupée. Sur plus de 90.000 victimes recensées dans ce système concentrationnaire, les détenus de Gusen ont payé le plus lourd tribut.

Dédié à l’exploitation du granit, puis à la construction d’avions de chasse, Gusen a bien vite dépassé en taille le centre dont il dépendait. Il a été classé « niveau III », ce qui signifie que les prisonniers, souvent déportés pour des raisons politiques, étaient exterminés par le travail.

Quelque 71.000 déportés de 27 pays y ont été internés. Les Polonais constituaient la nationalité la plus représentée. Ils étaient issus du monde de la culture, de l’Eglise, de l’enseignement ou de la politique.

A la libération de Mauthausen, en mai 1945, l’histoire de ses « sous-camps » a été occultée, selon Bernhard Mühleder, qui s’occupe des visites pédagogiques à Mauthausen.

Annexée en 1938 par l’Allemagne nazie, l’Autriche a ensuite été occupée par les alliés jusqu’en 1955. Gusen se trouvait dans le secteur des Soviétiques et ces derniers « n’ont pas obligé Vienne à conserver des traces » de ce site, explique M. Mühleder. L’Autriche a de son côté tardivement commencé son travail de mémoire.

C’est de leur propre initiative que les amicales de déportés ont fait installer sur les lieux un mémorial en 1965. Ce n’est qu’en 2004 qu’un modeste centre d’accueil des visiteurs a été mis en place par l’Etat autrichien.

– Quelle politique mémorielle? –

Mais c’est un véritable lieu de recueillement que réclament les familles et l’Etat polonais. Depuis l’arrivée au pouvoir des conservateurs nationalistes du PiS, Varsovie a multiplié les initiatives pour rappeler le statut de victime de la Pologne face aux exactions nazies. Près de six millions de Polonais sont morts durant le conflit.

Propriétaire de l’un des terrains sur lequel se situait Gusen, Anton Helbich-Poschacher, 66 ans, explique à l’AFP avoir « vu débarquer la moitié du gouvernement polonais l’année dernière » sur sa propriété. Cet entrepreneur dit être prêt à vendre ses terres.

Vienne affirme avoir entendu le message de Varsovie, et a annoncé une enveloppe de 2 millions d’euros pour devenir propriétaire de plusieurs parcelles afin d’aménager le site.

« Nous nous réjouissons que ce rachat soit enfin ancré dans le programme du nouveau gouvernement » autrichien, une coalition entre les conservateurs et les Verts, affirme l’ambassadrice de Pologne.

Mais au-delà de Gusen, de nombreux vestiges de sites nazis sont encore disséminés en Autriche. « Le credo +N’oublions jamais!+ brandi après la guerre est-il également valable pour les dizaines de lieux annexes? », s’interroge le quotidien national Kurier, invitant politiques et historiens à se pencher sur cette délicate question.

Source www.courrierinternational.com

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