Balak, roi de Moav, demande au prophète des nations Bila’am, de maudire le peuple d’Israël. Bila’am tente de le faire, mais chaque fois, au lieu d’une malédiction, c’est une bénédiction qu’il profère.
« Et Hachem ouvrit la bouche de l’ânesse, et elle dit à Bila’am : »Que t’ai-je fait pour que tu m’aies frappé ainsi à trois reprises (chaloch regalim) ? » »
Rachi explique que l’ânesse demande à Bila’am comment il pense anéantir une nation (Israël) qui célèbre les trois fêtes de pèlerinage (Pessa’h-Chavouot-Soukot) ? En effet, l’ânesse fait une allusion au mérite qu’Israël acquerra dans le futur en se rendant trois fois par an au Beth-Hamikdach pour célébrer les fêtes.
Bien qu’il soit évident que les paroles de l’ânesse ont été dictées par Hakadoch Baroukh Hou il y a lieu de se demander pourquoi l’ânesse emploie le terme « Regalim » [allusion aux trois fêtes] plutôt que « Pe’amim» [qui signifie fois ou reprises] ? Aussi, quel est le mérite particulier des trois fêtes ? Pourquoi ne pas mentionner une autre mitsva tel que le Chabbat, Tsitsit ou encore les Tefilines ?
La force de Bila’am de pouvoir maudire le peuple était sa connaissance de l’instant où Hachem se mettait « en colère ». Une colère qui fut à l’origine due, à la faute du veau d’or. Bila’am souhaitait invoquer la faute du veau d’or pour accuser Israël, afin que sa malédiction puisse prendre effet.
Comment est-ce que le mérite des trois fêtes a la capacité de réparer cette terrible faute?
La Guemara (Pessa’him 118a) nous enseigne que « Tout celui qui méprise les fêtes /mo’adim, c’est comme s’il servait des idoles [‘avoda zara]». La faute du veau d’or, faute d’idolâtrie, se prolongea pendant six heures.(voir Rachi Chemot 32,1). Notre calendrier compte 15 jours de fêtes dans l’année (7 de Pessa’h, 7 de Soukot, 1 de Chavou’ot). Nous savons que chaque jour possède 24 heures. Si nous multiplions ces 15 jours de fêtes par 24 heures on obtient un total de 360 heures… de fête.
Dans les règles de Cacherout il y a un principe que l’on nomme « batel be chichim/annulation par un soixantième ». Si un aliment interdit s’est mélangé à un aliment permis, pour permettre le mélange, il faut que la quantité de l’aliment permis dépasse d’au moins soixante fois celle du mets interdit. On utilisera ce même principe de « batel be chichim », pour pouvoir réparer, ou plutôt annuler la faute du veau d’or.
Pour noyer, oublier, annuler ces 6 heures, on devra les confondre dans une quantité de temps de 60 fois plus grande. Les 360 heures de fêtes, seront le temps d’annulation de cette faute, et on comprend mieux la raison pour laquelle, c’est par le mérite des trois fêtes qu’Israël ne pourra pas être anéanti.
Toutefois pour devoir annuler cette faute dans un mélange soixante fois plus important, ce mélange devra être de la même nature.
Il est écrit au sujet de la faute du veau d’or (Chemot 32,19) : « Ce fut quand il approcha du camp et vit le veau que la colère de Moché s’enflamma, il jeta les tables de ses mains et les brisa au pied de la montagne. » Le Sforno explique que ce qui a le plus perturbé Moché Rabbénou dans la faute du veau d’or, ce sont les réjouissances et l’allégresse du peuple lors de la faute du veau d’or. En effet Moché a brisé les tables qu’après avoir vu le peuple danser autour de l’idole.
Le pire dans cette faute, ce n’est pas la construction en soi du veau d’or mais la joie autour de cette idole. Il faudra donc soixante fois plus de joie, pour pouvoir annuler ces six heures de joie !
Donc c’est une mistva d’un même enthousiasme où les Bené Israël chantent et dansent, qui devra être utilisé pour annuler la faute. C’est l’enthousiasme de la Kedoucha/sainteté qui déracinera l’enthousiasme de la Touma/impureté. C’est cette force d’égale intensité et opposée qui « cachérisera » cette faute.
Fêter les Mo’adim/les fêtes, représente la réparation de cette faute. En effet c’est le « élé élohékha Israël/voici tes dieux Israël… » (Chemot 32,4) [écrit au sujet du veau d’or] qui sera annulé par le « élé hem moadaï/ce sont eux (les fêtes), Mes moments fixés » (Vayikra 23,2) [écrit au sujet des fêtes]
L’allusion de l’ânesse faite à Bila’am est la suivante : tu souhaites anéantir un peuple en invoquant la faute du veau d’or, mais tu ne te rends pas compte que ce même peuple célèbre Mes trois fêtes de pèlerinage qui constituent une réparation de celle-ci.
Le Chem mi-Chemouel nous rapporte au nom de son père le Avné Nézer que la célébration des trois fêtes symbolise et exprime mieux que toute autre mitsva la différence entre le service de D’ accompli par Israël et celui des autres nations.
Un goy qui souhaiterai une vraie proximité avec D’ ne sera pas prêt à sacrifier les plaisirs de ce monde pour obtenir ce bénéfice. Par contre un Juif, lui, sera prêt à laisser de côté toutes ses possessions et occupations pour monter à Yérouchalayim, trois fois par an, en quittant les aises de son foyer, ses biens, ses terres pour accomplir la mitsva de pèlerinage. Il peut gérer la difficile « logistique » qu’occasionnait cette montée en famille, avec tout le ravitaillement nécessaire et prendre une longue route. Toutes ces incommodités étaient complètement éclipsée par la seule joie d’accomplir la mitsva.
C’est ce qui caractérise la mitsva de la « aliya la réguel », la montée des pèlerins à Yerouchalyim, tous s’y rendaient dans la joie et l’allégresse, sans chercher à s’en faire dispenser, comme il est dit « Je me suis réjouie lorsqu’on me dit « allons vers la Maison de D’ ! » (Tehilim 122,1).
Bila’am le déclara plus tard dans ses « bénédictions », que la particularité d’Israël face aux nations, c’est son empressement à accomplir la volonté de D’, comme il est dit «Voici, le peuple se lèvera comme une lionne et comme un lion il se dressera … » (Bamidbar 23,24). Rachi explique ce verset, « lorsqu’ils se lèvent, le matin après avoir dormi, ils surmontent leur fatigue avec la force comme un lion pour se hâter « d’attraper » les Mitsvot de se vêtir du talith, réciter le Chema et mettre les tefilines. »
Cette joie et cet empressement à accomplir les Mitsvot protègent Israël de toutes malédictions et viennent réparer cette terrible faute de l’idolâtrie du veau d’or. Mais à contrario, ce manque de joie et d’empressement risque, à D’ ne plaise, de les exposer aux malédictions comme il est dit : « Parce que tu n’as pas servi l’Eternel. ton D’ avec joie et contentement de cœur » (Devarim 28,47).
En d’autre terme, la force de notre peuple, c’est sa sim’ha dans l’accomplissement des mitsvot, plus particulièrement dans celle de la joie des fêtes. Une joie qui met en évidence notre désir et notre engouement d’obéir à la volonté du Créateur.
Le Maguid de Douvno explique à travers la métaphore suivante le reflet de la tristesse dans l’accomplissement des Mitsvot : il y avait dans une ville deux commerces voisins, un de diamants et l’autre de matériaux de construction. Un jour, un livreur entra en peinant dans le magasin de diamants, tenant dans ses mains une boîte visiblement très lourde. Le propriétaire du magasin lui dit alors : « Tu t’es trompé d’adresse, ta livraison est destinée au magasin voisin. Ceux qui me livrent ne peinent pas, car le diamant est un matériel léger ». Le Maguid de Douvno nous enseigne par cette allégorie que celui pour qui la spiritualité est « lourde à porter », car il ne ressent aucune joie, ne sert pas Hachem représenté par le diamantaire dans l’allégorie. Le Service divin n’est pas censé nous attrister et il ne doit se réaliser que dans la joie.
Le manque de joie témoigne d’un manque de foi, celui qui sert D’ sans joie montre qu’il ne comprend pas le sens de ses actes et ne croit pas en leur utilité ! Alors qu’être en état de joie marque notre gratitude envers Hachem. La joie n’est pas seulement un besoin psychologique ou spirituel, c’est aussi un des principes fondamentaux du service divin, comme le Rambam (Hilkhot Souka 8,15) dit : « La Sim’ha que dégage un homme lors de l’accomplissement d’une Mitsva est un service important ; mais tout celui qui l’effectue (la mitsva) sans Sim’ha mérite un châtiment…»
La Sim’ha n’est donc pas un petit plus dans le service de Hachem, elle n’est pas non plus optionnelle, et son absence causera de terribles malédictions annoncées par la Tora. Une mitsva même accomplie minutieusement, mais sans Sim’ha, demeure incomplète. La Sim’ha ne vient pas embellir la mitsva, elle en constitue une partie intégrante. Elle est la condition sine qua non de la pratique religieuse ; sans elle, on en viendra probablement à abandonner la Tora (que D’ préserve).
La joie est un gage de fidélité. Pourquoi ? Parce que le Service dans la joie est le témoignage d’une adhésion intérieure, pleine et entière et vient éloigner toute supposition de veau d’or. On comprend ainsi les paroles prophétiques de l’ânesse « comment penses-tu anéantir une nation (Israël) qui fête dans la joie les trois fêtes de pèlerinage… »
Rav Mordékhai Bismuth
Extrait de la « Daf de Chabat » disponible sur le http://www.ovdhm.com