La France a-t-elle le « seum » ? Réflexions après le 1er tour

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Richard Prasquier – Desinfos

La France a-t-elle le seum ? se demandait avant les élections le magazine Foreign Policy qui, pour son public anglophone, s’encanaillait dans le vocabulaire des banlieues françaises. Pour ceux qui l’ignorent, avoir le seum (s-e-u-m), c’est avoir la rage. Le journal se référait aux grèves, aux gilets jaunes, au sentiment global de déclin… et aux consultations psychologiques remboursées dans la foulée du Covid…

Les journaux allemands s’étonnent que l’extrême droite soit à 33% en France et à 10% chez eux, les socio-démocrates à 2% au lieu de 26%, les écologistes à 4% au lieu de 16%.

Un ou une Le Pen participe pour la 8e fois à une élection présidentielle, avec des scores qui sont passés de 0,7% en 1974 à 23% dimanche dernier…

Je vais évidemment voter Macron le 24 avril, pour au moins quatre motifs.
Le premier est économique. Mon petit-fils de 5 ans qui s’initie aux subtilités de l’arithmétique, à l’ordre croissant ou décroissant, pourrait presque lui-même comprendre qu’augmenter les subventions, baisser les impôts et diminuer la dette en même temps forme une combinaison problématique.

Le second motif est géopolitique, l’agression de l’Ukraine par la Russie réclame un renforcement de notre stratégie de défense, impossible sans l’Europe et sans l’Otan, deux mots absents du discours de Mme Le Pen au soir du premier tour.

Le troisième est psychologique. Je ne supporterais pas de voir sur le perron de l’Elysée papa Le Pen se pavaner avec Frédéric Chatillon, le conseiller de toujours, ami de Dieudonné, Thierry Meyssan, Soral, Assad et du défunt Faurisson.

Enfin l’interdiction de l’abattage rituel signifierait que les Juifs n’ont qu’à partir du pays. Elle est inacceptable même pour le Juif religieusement approximatif que je suis.

Les résultats au 24 avril ne sont pas garantis et les leçons du premier tour sont à méditer.
Eric Zemmour a échoué. Il a été battu sur Poutine, j’aurais aimé qu’il soit battu sur Pétain. Son comportement provocatif quasi infantile l’a disqualifié plus que ses contorsions historiques. Il a servi de marchepied à Marine Le Pen qu’il fait passer pour une modérée, mais son discours excessif repose sur un constat indiscutable, celui du déni de la dangerosité de la propagande islamiste.

Une gauche en déconfiture aura du mal à échapper à l’emprise de Mélenchon, aux très importantes futures élections législatives. Une partie des écologistes louche vers lui. L’homme est un tribun exceptionnel et a habilement modéré son discours. Outre l’outre-mer, il domine en Seine Saint-Denis, chez les jeunes et chez les musulmans où ses scores ont doublé depuis 2017. Ce sont des électorats d’avenir. La gauche qu’il propose serait marquée par le communautarisme, l’anti-élitisme, l’islamismo-cécité, le wokisme, la fascination pour les régimes autocratiques, l’anti-américanisme et bien entendu une intense, très intense israélophobie.

Cette extrême gauche a des points de discorde apparemment majeurs avec l’extrême droite, mais elle a aussi des convergences qui peuvent être cultivées. Après tout, Poutine lui aussi est un adepte du « en même temps », nostalgique de l’URSS et de la Russie de Pierre le Grand.

Le risque est réel. La sympathie de Zemmour pour Tariq Ramadan, celle de certains conseillers de Marine Le Pen pour des extrémistes arabes ou des islamistes peut préjuger de paradoxales reconfigurations. L’histoire en a vu d’autres.

On dit qu’au premier tour on choisit et au second on élimine. Il y a vingt ans, ce principe a éliminé le candidat socialiste. Aujourd’hui les électeurs sont devenus stratèges. Pour éviter l’émiettement, ils ont balayé la droite historique au profit d’Emmanuel Macron, la social démocratie au profit de Jean Luc Mélenchon et ont choisi l’extrême droite populiste contre l’extrême droite maurrassienne.

L’histoire nous a enseigné que ni l’extrême droite, ni l’extrême gauche n’ont su ou pu garantir la liberté d’opinion, dont la guerre en Ukraine montre qu’il s’agit d’autre chose que d’un slogan pour antivax.

Aussi compréhensible et aussi inquiétante que soit la rage, la colère ou le « seum » d’une partie de la population, notamment de ces jeunes qui négligent de voter, seul un cadre démocratique strict et vigoureux permet des solutions compatibles avec les principes humanistes qui restent la boussole de notre république et de notre vie commune.

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