Par Francis MORITZ – Temps et Contretemps
Illustration : Fruits expédiés du Liban contenant des capsules de Captagon saisis par la police saoudienne
Le Hezbollah figure déjà sur la liste noire des organisations terroristes des États Unis ainsi que sur celle de certains autres pays. La France et l’UE font un subtil distinguo entre la branche armée, organisation terroriste, et la branche politique qui ne le serait pas et qui a pignon sur rue. Ce qui permet au Quai d’Orsay, dont on connaît les affinités, d’être tout naturellement en relation avec une organisation terroriste. Par ailleurs, la plupart des pays arabes la considère comme terroriste. Ce qu’on connaît moins c’est l’activité en cours de développement de l’organisation : le trafic de drogue. Le Liban devient la Colombie du Moyen Orient aux cotés de la Syrie. Tous deux y trouvent une source de financement considérable. Les Talibans n’avaient pas agi autrement.
Attardons-nous sur un épisode récent, peu relayé par les grands médias. Précisons ce qu’est le Captagon également surnommé «la drogue des djihadistes». Une sorte d’amphétamine par ses effets qui fait des ravages dans la jeunesse. La simplicité de sa fabrication, à partir de molécules détournées de l’industrie chimique, et ses effets particuliers en font un potentiel allié des djihadistes, qui doivent résister à la fatigue des combats et donner la mort ou se la donner. L’autopsie du jeune terroriste qui avait tué 39 personnes sur la plage tunisienne de Sousse en juin 2015 avait révélé qu’il en avait consommé avant d’accomplir ce massacre.
Le 6 avril, le tribunal de Beyrouth s’est réuni pour rendre un verdict dans l’affaire Hassan M. D, notoirement connu comme le «roi du Captagon» au Liban et pour ses liens étroits avec le Hezbollah et ses actions de contrebande vers la Grèce, la Malaisie et l’Arabie saoudite ; il avait été arrêté à Beyrouth en 2021. Pourtant, au lieu de rendre un verdict le mois dernier, le juge Sami Sidqi a suspendu la décision indéfiniment. Ce qui s’inscrit clairement dans la kleptocratie libanaise. Elle permettra au trafiquant et à ses associés de passer entre les mailles du filet et de retourner librement à leur activité illicite et mortifère. Le même et ses acolytes ont été arrêtés à plusieurs reprises et relâchés grâce à l’intervention du Hezbollah.
M.D. avait été arrêté pour la première fois après son arrivée au Liban en septembre 2015, à Baalbek, la capitale de facto du Hezbollah. Bien que les Forces armées officielles aient trouvé de la drogue chez lui, il a été libéré peu après, avec l’aide du Hezbollah et peut tranquillement poursuivre son commerce. Il a créé plusieurs sociétés écrans en Syrie, en Jordanie et au Liban pour faciliter l’importation des matières premières nécessaires à la production du Captagon sous couvert de production de médicaments. En 2018, il a obtenu la double nationalité. Au plus fort de la guerre en Syrie, Il a réussi à s’approprier une zone de 130 km² à 50 km de Damas, dans un secteur totalement sous contrôle du Hezbollah près de la ville de Tfail, hors du contrôle de l’État libanais, promettant la création d’emplois. Au lieu de tenir cet engagement, des cultures (dont quelque 450.000 arbres fruitiers) et de nombreuses maisons furent rasées. Les sous-traitants supervisant ces opérations étaient accompagnés d’affiliés armés du Hezbollah. De nombreux habitants furent contraints de choisir entre payer ou être expulsés de force.
Une plainte fut déposée contre ce projet, un juge a tranché et le gouverneur de Baalbek a ordonné l’arrêt de la construction. Pourtant, les démolitions se sont poursuivies. Après de multiples péripéties dont l’enlèvement du plaideur en juillet 2020, ce dernier a à nouveau porté plainte et a accusé M.D. et ses associés de l’avoir kidnappé dans le but d’intimider les habitants. Ce qui a entrainé son arrestation, mais une fois de plus, il a été libéré quelques jours plus tard grâce au Hezbollah et il a continué à superviser la construction de ses nouvelles usines.
Pour les Américains, compte tenu des preuves disponibles, l’objectif de ces installations semble clair : il s’agit de développer la production du Captagon. En coulisses, des responsables libanais l’ont aidé à forger cet empire. Alors qu’il était ministre de l’Intérieur, l’allié du Hezbollah, Mohammed Fahmi, lui a accordé la permission de construire cinq laboratoires, qui sont sous le contrôle et la surveillance étroite d’une milice armée. Sa page Facebook le représente posant avec le parlementaire du Hezbollah Ibrahim al-Moussawi.
Selon le site d’information panarabe indépendant Daraj, les terrains nouvellement acquis par M. D. contiennent des tunnels de contrebande qui atteignent la Syrie. On ne parle pas officiellement de tunnels ou de contrebande à destination d’Israël mais on a signalé plusieurs tentatives en vue du franchissement de la frontière nord. On évoque aussi la collaboration étroite avec la 4ème division de l’armée syrienne, dirigée par Maher el-Assad, le frère du président, qui s’est profondément impliqué dans le commerce du Captagon. Ce trio infernal inclut le Hezbollah, qui assure la sécurité des laboratoires et superviserait les «points de transit clés» pour assurer une distribution pérenne de la drogue et son acheminement clandestin vers les pays du golfe Persique et au-delà aussi vers Israël où le pouvoir d’achat est autrement supérieur à celui des voisins libanais ou syriens.
On s’étonnait que l’Arabie Saoudite suspende les importations de fruits et légumes du Liban, pourquoi ? En avril 2021, elle a déjoué une tentative de contrebande de 5,3 millions de pilules de Captagon dissimulées dans des fruits, incitant le royaume à interdire l’importation de fruits et légumes libanais. Un mois auparavant, avec l’aide du ministère saoudien de l’Intérieur, la Malaisie avait intercepté 800.000 tablettes de Captagon d’une valeur de 94 millions de dollars en provenance de Lattaquié. Une photo de la facture de cet envoi aurait été trouvée sur le téléphone de M.D., ce qui a conduit à une nouvelle arrestation. Le 6 avril 2021, les forces de sécurité libanaises l’ont arrêté avec quatre associés.
Un journaliste libanais «bien informé» a laissé filtrer diverses informations sur plusieurs tentatives de corruption pour faire annuler le verdict non prononcé à date. Selon des informations locales, le juge Sidqi a été «soumis à de fortes pressions» avant de suspendre le verdict.
Le département du Trésor américain a documenté la contrebande de drogues et d’armes sous la direction de Safa, Chef de la sécurité du Hezbollah à l’intérieur et à l’extérieur du pays. Cette collusion explique sans doute à la fois le succès de M.D. dans le trafic de stupéfiants et son association étroite avec le Hezbollah. Le gouvernement américain devrait manifester son intérêt à voir le procès du malfaiteur aboutir. Les responsables américains devraient enquêter sur les liens entre lui et Safa, qui a été désigné par le département du Trésor en 2019 pour son soutien au terrorisme. Ce qui pourrait contribuer à stopper les efforts actuellement entrepris tant par l’intéressé que par son entourage y compris le groupe terroriste, son associé et protecteur pour être libéré. Ce qui pourrait conduire à la condamnation du roi du Captagon lui-même, en raison de ses liens avec le trafic international de stupéfiants, le régime d’Assad et le Hezbollah, Si Jérusalem ne veut pas voir à terme sa jeunesse, arabe ou juive contaminée et le nombre de drogués augmenter substantiellement, Israël qui a su intervenir dans des situations autrement plus complexes et délicates, devrait pouvoir le faire avant que le mal ne soit trop profond. Une fois le ver installé dans le fruit, il est trop tard.