En février 2018, la chambre criminelle de la Cour suprême présentait la consommation de cannabis comme une circonstance « aggravante » sur une affaire de meurtre.
Souvent cour de cassation varie. Certains de ses revirements sont historiques voire fondateurs pour le droit. Ils prouvent sa souplesse d’interprétation et à dire le droit. En commentaire de son désormais célèbre arrêt Halimi, la haute juridiction ne cesse d’invoquer tout à la fois la carence de la loi, et l’interprétation stricte du droit pénal qui lui interdirait d’inventer du droit là où le législateur ne l’a pas fait. Que ce soit à dessein ou par oubli.
En matière d’irresponsabilité pénale, la Cour de cassation n’a pas toujours eu ce genre de pudeur. Ainsi dans un arrêt dit « inédit » du 13 février 2018, la cour suprême judiciaire a disposé bien différemment que dans l’affaire Halimi. Le cas est similaire puisqu’il s’agit d’un homme ayant poignardé sa compagne sous l’effet de produits stupéfiants et qui invoque son irresponsabilité pénale, soit l’article 122-1 du Code pénal, affirmant qu’à ce titre il n’aurait pas dû être renvoyé devant la cour d’assises des Hauts-de-Seine pour meurtre avec préméditation. L’affaire est d’autant plus complexe que par ailleurs l’individu est reconnu comme souffrant d’« une fragilité psychique dans le registre de la persécution ».
Pourtant, l’arrêt fort bref de la Chambre criminelle rejette son pourvoi, rappelant notamment « que les juges évoquent (…) la consommation importante de stupéfiants, qui ne doit pas s’analyser comme une cause d’abolition du discernement mais au contraire comme une circonstance aggravante ». Un argument qui figure déjà dans les conclusions du rapporteur de l’affaire qui affirme « que la consommation importante de stupéfiants, soulignée par tous les experts, ayant provoqué son état mental le 28 juin 2015 ne doit pas s’analyser comme une cause d’abolition du discernement mais au contraire comme une circonstance aggravante, la consommation de cannabis de N….C… ayant été volontaire ».
Est également reconnu le droit à la Cour d’Assises « d’apprécier la culpabilité éventuelle, requalifier les faits et poser le cas échéant la question spéciale de l’irresponsabilité pénale, nonobstant les qualifications retenues dans l’arrêt de renvoi, lequel est dépourvu de l’autorité de la chose jugée, la chambre de l’instruction se bornant à ordonner un renvoi devant la cour d’Assises ».
Pas de portée générale
Pourtant, lors de l’examen, cet arrêt est balayé d’un revers de main par l’avocat général Sandrine Zientara qui n’a pas ménagé sa peine puisque ses conclusions comptent 85 pages bien serrées. Le tout au motif que cet arrêt du 13 février 2018 ne serait qu’un arrêt d’espèce sans portée générale : «Le débat porte sur l’état dans lequel se trouvait l’intéressé au temps de l’action, ce qui constitue bien une question de fait, laissée à l’appréciation des juges du fond et non sur une question de principe relative à l’effet de la faute antérieure sur la responsabilité. Dès lors, il ne saurait s’évincer de cet arrêt, non publié, que la chambre aurait validé un principe de portée générale selon lequel une consommation volontaire de stupéfiant, même en cas d’abolition du discernement, constitue une cause d’irresponsabilité pénale.
Il s’en est fallu de peu que l’arrêt Halimi ne soit pas davantage qu’un arrêt d’espèce. Si ce n’est cette précision en fin d’arrêt rappelant qu’ « en effet, les dispositions de l’article 122-1, alinéa 1er, du Code pénal, ne distinguent pas selon l’origine du trouble psychique ayant conduit à l’abolition de ce discernement ». Cela montre d’une part combien la ligne est fine entre les motivations de la Cour de cassation et surtout d’autre part que la Cour suprême a bien plus de latitude qu’elle ne le prétend.
Quelles questions pose cet arrêt ?
Indépendamment de l’affaire par elle-même, la vraie question qui se pose réellement, tant cette décision outrepasse le bon sens du commun des mortels, quelle est la vraie raison de cette décision.
On ne peut pas imaginer une seconde que les juges, compte tenu de la médiatisation de l’affaire, ne savaient pas que leur décision allait être contestée avec vigueur. C’est donc avec vigueur, et contre vents et marées que sciemment ils ont pris cette décision, pour refuser justice à Sarah HALIMI, qui aurait pu s’appeler au demeurant Miryam COHEN, ou Judith LEVY peu importe, l’essentiel étant sa judaïcité.
Quant à l’expertise sur laquelle s’appuie cette cour voilà ce que déclare l’expert psychiatre Paul Bensussan (Marianne du 19-04-2021): « Tout comme nous (et comme les membres du troisième collège d’experts), le Docteur Zagury a conclu à une bouffée délirante aiguë. Mais à la différence de ses confrères, Daniel Zagury, considérant que la consommation de cannabis (notre photo) avait été délibérée et volontaire, estimait que le sujet avait contribué à l’apparition de son trouble mental et ne pouvait donc être exonéré de sa responsabilité. Il le considérait donc comme partiellement responsable de ses actes, retenant une altération (et non une abolition) du discernement et du contrôle de ses actes. ». Il n’y avait donc unanimité dans cette affaire.
Alors pourquoi cette cour a cherché avec force, à interdire le procès. Plus grave voilà qu’elle hausse le ton à l’encontre de ceux qui la critiquent, via le communiqué de presse du Conseil Supérieure de la Magistrature, et prétend au nom du droit, qui est pour elle à géométrie variable, faire taire toute critique. C’est oublier que c’est au nom du peuple que la cour rend justice, et non au nom des juges, dont aucune instance n’a jamais reconnu l’infaillibilité.
Maintenant, les questions posées par cet arrêt sont :
Quelle est la raison profonde de cette décision ?
Y-a-t-il eu dans une bouffée délirante aiguë, une volonté d’indiquer une forme de mépris à l’égard de la cause que sous-tend cette affaire ?
Quel doit être le contre-pouvoir, face au gouvernement des juges, alors que le peuple insupporte de telles décisions. ?
Il est certain que cet arrêt aura plus d’une conséquence, et l’histoire tranchera dans les jours, les mois ou les années qui viennent.
JForum – Le Figaro