Certaines œuvres cinématographiques ont la capacité de nourrir la réflexion politique.
Or ayant revu “Le Dictateur” de Chaplin il y a une vingtaine d’années, je m’étais posé la question suivante : sommes-nous à l’abri d’un tel scénario ? Car la peste brune est un virus ayant la capacité de muter et de changer d’aspect au cours de son évolution. Quels seraient les symptômes d’un retour de la Bête Immonde?
Il me semble qu’on peut en citer au moins six :
1) Le fascisme ne pouvant s’installer qu’avec le consentement tacite d’une large partie de la population, il faudrait qu’un endoctrinement massif ait préalablement été mis en place durant des décennies – à la manière de ce qui a existé outre-Rhin au dix-neuvième siècle et au début du vingtième. Non seulement l’Histoire serait réécrite et instrumentalisée avec le concours de l’État, mais des thèses racistes, antisémites et négationnistes seraient également enseignées dans les universités. La presse, les auteurs et les stars à la mode contribueraient à leur diffusion : la haine porterait ainsi le masque de la vertu.
2) “Quand j’entends le mot culture, je sors mon revolver”, aurait dit un dignitaire du 3eme Reich. La culture serait bien sûr de plus en plus ciblée : censure et appels au boycott d’intellectuels et d’artistes, livres brûlés ou réécrits etc…
3) “La perversion de la cité commence par la fraude des mots” (Platon)
Ainsi la novlangue, l’inversion des rôles et la négation du réel envahiraient tout le narratif politique et médiatique. Parallèlement, la censure et le contrôle de l’information (devenue pure propagande) s’intensifieraient constamment. Les atteintes à la liberté d’expression et d’information se multiplieraient.
4) Les luttes sociales feraient progressivement place à une “lutte des races” et l’on assisterait à une banalisation totale des discours racistes et antisémites : les appels à la haine voire l’apologie du meurtre, du viol et de crimes contre l’humanité feraient partie du décor _ d’autant que leurs auteurs ne seraient quasiment jamais sanctionnés. Naturellement, les Juifs seraient les cibles privilégiées. Inversement, ceux qui dénoncent les discours ou les crimes de haine subiraient censure et appels au boycott.
5) Les discours de haine aboutissent toujours à des actes. La multiplication des crimes, agressions et actes barbares en tous genres serait d’autant plus atroce qu’elle s’accompagnerait d’un déni de justice institutionnalisé : omerta et pas-de-vague, crimes racistes étouffés ou maquillés en simples faits divers. Dans cet État de non-droit raciste et antisémite, quiconque tenterait de briser le mur du silence serait ostracisé.
6) Le fascisme est par essence élitiste. A l’hyperviolence et au déni de justice s’ajouteraient donc une confiscation de la démocratie au profit d’une “élite” autoproclamée et un mépris de classe décomplexé. Les personnes handicapées ou âgées et démunies en feraient lourdement les frais. Car dans le cadre du fascisme, l’idéologie est tout et les personnes vulnérables ne sont rien.
Et à ces six critères pourrait éventuellement s’ajouter un septième :
Au cas où le nouveau pouvoir serait mis en difficulté, il se pourrait qu’il cherche à faire diversion en agitant l’épouvantail d’une menace extérieure. Peu importe si la menace en question est purement fictive : rien de tel qu’un bon embrigadement xénophobe et militariste pour mater la contestation. Les médias offriraient à la population leur quart d’heure de haine quotidien, et le bruit des bottes réduirait au silence les opposants. Ceux-ci seraient accusés de pactiser avec l’ennemi, et le pouvoir pourrait ainsi renforcer son étreinte sur la population.
Voilà à quoi ressemblerait le retour de la Bête Immonde, me disais-je il y a une vingtaine d’années. Mais un tel scénario me semblait alors trop pessimiste, invraisemblable ou lointain… Or est-il nécessaire de le préciser ? La société française correspond aujourd’hui à ces sept critères. La France post 2017 coche toutes les cases du retour aux heures sombres.
Excellente analyse. Seul point de désaccord : selon moi, le retour du nazisme en France a eu lieu dès 1981, avec l’arrivée des amis de Bousquet au pouvoir. Mais il s’est mis en place de manière très progressive et Macron n’a fait que placer la dernière pièce de l’édifice.