L’évolution dans le temps de la ’Alya, la «montée» en Israël
L’augmentation des actes antisémites en France poussent de nombreux Juifs Français à choisir l’option de l’Alya, le départ en Israël. Mais, comme on le voit dans les archives, les motivations du départ ont évolué au cours des dernières décennies.
LE CONTEXTE
Chaque année, plusieurs milliers de Français de confession juive font le choix de quitter le pays pour s’installer en Israël. C’est la ’Alya. Si ce phénomène est ancien, les motivations du départ, elles, ont changé au cours des dernières décennies, notamment avec l’augmentation des actes antisémites.
« Alya » est un mot hébreu qui signifie « la montée » ou « l’ascension ». C’est le fait, pour un Juif d’aller s’installer en Israël. La ’Alya fut fortement encouragée par l’État juif avec l’instauration de la « loi du retour » votée le 5 juillet 1950 par la Knesset, deux ans après la création de l’État hébreu (14 mai 1948) qui proclamait le principe d’un pays ouvert à tous les Juifs du monde. Dès lors, toute personne capable de prouver sa judéité, ou la présence de Juifs dans son ascendance, pouvait devenir citoyen d’Israël quelle que soit sa nationalité d’origine. Pour faciliter le retour sur la « terre promise », ce droit fut assorti de nombreuses aides matérielles à l’installation, mais aussi d’obligations, comme celle d’apprendre l’hébreu dans les mois suivant l’arrivée sur le sol. Cette loi devait permettre d’augmenter la population israélienne par l’immigration de masse.
L’État d’Israël est ainsi devenu la destination privilégiée des migrations juives internationales. Selon le Bureau central des statistiques, l’institut des études démographiques israélien, environ 2,4 millions de personnes se sont installées dans le pays entre 1950 et 1994. Si la ’Alya a été longtemps motivée par une quête spirituelle, religieuse ou philosophique, voire par une volonté de rejoindre un pays jeune et dynamique, la peur en est devenue aujourd’hui l’un des principaux moteurs. C’est ce que montrant en filigrane nos archives.
L’ARCHIVE
Dans ce reportage consacré à l’intégration des nouveaux arrivants en Israël, on découvrait Danièle, une jeune Française d’une trentaine d’années qui expliquait ses motivations de « retour en Israël ». « Pour moi, la ‘Alya, c’est un choix », affirmait-elle, avant de rappeler que « tout est fait dans le pays pour nous accueillir, il y a des structures d’accueil, l’intégration au niveau du travail, de l’habitat, à tous les niveaux. »
Sur place, l’Agence Juive permettait aux familles de vivre sans souci matériel durant les six premiers mois qui devaient être consacrés à l’apprentissage de la langue. Les nouveaux arrivants étaient accueillis dans des centres d’intégration, un Merkaz Klita. Le reportage se poursuivait dans l’un d’eux où environ 350 à 400 familles étaient accueillies dans des maisons indépendantes de manière gratuite.
Devant l’une des petites maisons blanches uniformes qui bordaient une longue allée, une autre jeune femme décrivait la journée type des candidats à la ’Alya qui débutait par un cours d’hébreux quotidien (pendant environ 5 mois). Tout était prévu pour faciliter la vie durant cette période de transition. Tandis que les parents apprenaient la langue, les enfants, eux, étaient gardés dans des jardins d’enfants.
L’aide était cependant ajustée en fonction des moyens financiers des familles. Les plus démunis étaient exemptés de remboursement, alors que les autres, par exemple les ressortissants de pays européens, devraient rembourser les frais, « ils sont considérés comme des pays riches ».
D’autres femmes passées par un Merkaz Klita prenaient la parole. D’abord Chantal, ancienne parisienne, qui avait séjourné dans le Merkaz Klita le plus ancien, celui de Katamon, situé dans un quartier de Jérusalem. Elle avait attendu dix ans avant de venir. Au journaliste qui lui demandait ce qui l’avait motivée, elle répondait : « Je pense que vous obtiendrez toujours la même réponse : parce que nous sommes juifs et que nous voulons vivre ici. »
Une autre jeune femme, arrivée trois ans plus tôt de Toulon, mais originaire d’Alger, donnait le même type de motivation, « Israël, c’était mon pays et j’y suis venue ».
Danièle, elle, avait retardé son arrivée à cause de plusieurs points : sa volonté d’asseoir sa position sociale, financière et professionnelle, mais surtout, son opposition à la politique d’Israël (la guerre de 67, les territoires occupés…). Elle reconnaissait ne pas être « totalement d’accord avec la politique menée et ça lui posait problème ». Le déclic était venu avec le départ d’amis proches, « ça a été le coup de fouet de notre ‘Alya. À partir de ce moment-là, on a vraiment décidé de le faire ».
2004 : une année charnière
La question de la ’Alya est revenue dans l’actualité en 2004, une époque ou de nombreux actes antisémites ont fait la une de l’actualité.
La France est-elle raciste ? Un sujet diffusé dans le 20 heures de TF1 du 8 juillet 2004 posait la question.
Cette année-là était particulière, car face à la montée de l’antisémitisme, il n’y avait jamais eu autant de Juifs français prêts à s’exiler depuis 20 ans. Près de 3000 personnes étaient attendues. Pour certains, immigrer en Israël devenait la seule solution pour fuir l’ambiance délétère qui régnait alors dans le pays. Le pouvoir israélien s’inquiétait ouvertement de la montée de l’antisémitisme en France, à la suite d’attentat contre des synagogues et des écoles juives et multipliait les appels à venir, le premier ministre israélien, Ariel Sharon, appelant publiquement les Juifs de France à faire la ’Alya.
Dans ce contexte inquiétant, de nombreuses familles décidaient de quitter la France. Le ton des candidats à l’exil n’était plus le même. D’innombrables sujets de JT furent consacrés au choix de certains Juifs de France de partir en Israël. C’est par exemple le thème de l’archive ci-dessous, également diffusée dans le 20 heures de TF1 du 8 juillet 2004.
C’est l’Agence Juive qui gérait l’immigration en Israël, officiellement, elle ne parlait pas d’antisémitisme comme raison de la ’Alya, mais de la transposition du conflit israélo-palestinien sur le territoire français. Elle se défendait cependant de vouloir précipiter le départ des Juifs français. On estimait alors de 15 à 30 000 le nombre des Français prêts à quitter le pays dans les 15 années suivantes.
Estelle Cohen, nouvelle émigrante française : « Je n’ai rien senti, mais j’ai pressenti. Il faut savoir décrypter certains signes de l’histoire et il y a des pays qui ont connu un certain départ des Juifs du pays et je pense que la France fait partie de la liste ».
Un départ médiatisé
Le 28 juillet 2004, tous les JT couvraient le départ – et l’arrivée en Israël – de 200 Français qui avaient répondu à l’appel lancé par le premier ministre israélien, Ariel Sharon, appelant tous les Juifs de France à immigrer en Israël. Son invitation avait provoqué un incident diplomatique. Dans ce contexte tendu avec la France, il tentait de rectifier les propos qu’il avait tenus deux semaines plus tôt. C’est en personne que le dirigeant israélien s’était déplacé pour accueillir les Français. Sur place, dans une allocution, il tentait de calmer les esprits et remerciait le président de la République Jacques Chirac pour son combat contre le racisme et l’antisémitisme.
L’archive ci-dessous diffusée dans le 13h00 de France 2 revient sur ce départ de masse très symbolique et l’accueil en grande pompe réservé aux familles françaises. Première étape, le ministère de l’intégration pour obtenir rapidement des papiers et une aide financière à l’installation.
Un petit garçon dans l’avion : « Israël, c’est notre pays, là-bas, on est plus à l’aise » ; Une mère de cinq enfants : « J’ai cinq enfants, j’ai fait ça pour eux. Je ne peux avoir aucun doute. »
Fuir l’insécurité
Dans les années qui suivirent, des Français de confession juive ont continué à quitter la France pour Israël.
Yoni était cadre informatique et venait de démissionner. Il était dans le même lycée qu’Ilan Halimi, victime d’un acte antisémite. Il avait été aussi marqué par les affaires Merah et Dieudonné et touché par le climat d’antisémitisme. Il ne sentait plus en sécurité en France. Émilie, elle, allait aussi partir en Israël, elle apprenait déjà l’hébreu, elle souhaitait que sa petite fille se sente en sécurité. Elle pensait que l’antisémitisme s’était « décomplexé ».
Ce sentiment d’insécurité allait atteindre son paroxysme avec les attentats de 2015. Plusieurs hauts responsables de l’État hébreu vont inviter les Français à faire leur ‘Alya. Pour ceux qui sautaient le pas, le déchirement était considérable, mais nécessaire. C’est ce que montre bien le reportage ci-dessous diffusé dans le 13 heures de TF1, il proposait le portrait d’un couple fraîchement installé en Israël.
David Meslati, nouveau juif français installé en Israël : « C’est un déchirement terrible. C’est 30 ans de vie construite. Ce sont les enfants qui quittent l’école. C’est un travail qui est abandonné. C’est une reconstruction ici. En même temps, il ne faut pas que mes larmes trompent les Juifs français qui ont envie de venir ici. C’est un pays extraordinaire où il fait bon vivre. C’est la meilleure décision que j’aie prise, car je vois mes enfants s’épanouir ».
Tzipora, sa femme : « Ça s’imposait pour mes enfants, pour les voir grandir en sécurité, qu’ils soient heureux. Que je n’ai pas à les cacher quand ils vont à l’école. J’étais inquiète en les déposant à l’école ».
Alors que depuis le début des années 2000, les chiffres annuels des arrivants français tournaient en moyenne autour de 2000, à partir de 2015-2016, les chiffres étaient éloquents : le nombre de Français de confession juive à faire la ’Alya avait bondi avec de 5 à 7000 départs. Certains parlait d’un phénomène de masse. En 2022, ils étaient autour de 2200 juifs de France à faire le grand saut. La ’alyah de France baisse de 60 % en 2023.
Le ministère et l’Agence souhaiteraient également attirer des étudiants français vers des programmes d’ingénierie et de pré-médecine en Israël.
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