« Tel-Aviv, 18 mai (par câble). ’’Allo, allo, Haïfa Tower? Allô, allô, Haïfa Tower?’’.
« Les six passagers du ’’Petrel’’, petit avion qu’ils avaient loué à Paris pour essayer d’atteindre la Palestine en ces jours difficiles, écoutaient anxieusement leur pilote appeler en plein ciel le poste de contrôle du terrain de ‘Haïfa. A l’horizon, dans la brume de chaleur, on devinait les neiges du mont ‘Hermon et les lignes de la côte.
« Le pilote serra davantage contre ses oreilles le casque d’écoute, puis tourna vers nous son profil d’oiseau.
« ’’Ordre de se poser à ‘Haïfa’’, dit-il.
« Je regardai mes compagnons de route et je les sentis tous liés par la même inquiétude. C’était à Tel-Aviv que nous voulions atterrir. Tel-Aviv appartenait entièrement aux juifs. Dans ‘Haïfa, zone d’embarquement pour les troupes britanniques, que ferait-on de nous, à qui le visa anglais avait été refusé?
« – Insistez pour Tel-Aviv, demandai-je au pilote.
« Il tourna la tête et dit:
– C’est formel: ‘Haïfa et pas ailleurs.
« Un homme brun, tout en nerfs, qui était assis derrière moi, gémit presque:
« – Avoir attendu cela pendant 2.000 ans et peut-être pour rien…
« Quand l’avion cessa de rouler sur la piste cimentée, trois garçons, en chemise et en short kaki, uniforme de tous les pays chauds, se dirigent vers nous.
« – D’où venez-vous?, demanda brièvement leur chef.
« Il parlait anglais, mais avec un accent.
Alors, l’homme brun tout en nerfs se mit à lui donner des explications, très vite, dans une langue aux syllabes singulières, et le visage de l’autre s’éclaira profondément. Et il répondit dans la même langue. Notre camarade de route, passant de l’hébreu au français, s’écria alors:
« – Ce sont des Juifs ! Les Anglais leur ont cédé ce matin le contrôle civil de l’aérodrome. Notre avion est le premier à toucher le sol de la Palestine libre, de l’Etat d’Israël, et nous sommes les premiers passagers…
« Les premiers: ces mots, qu’il prononçait avec un frémissement religieux, semblaient inscrits tout autour de nous, sur les visages, dans les yeux, dans l’attitude des gens. Le premier contrôle, la première police, la première douane de l’Etat d’Israël. En uniforme ou en civil, tous ces hommes portaient sur eux une joie grave, l’expression éblouie des grands commencements.
« Leur émotion passa un peu en moi lorsque le garçon, jeune, roux et rude, apposa sur mon passeport, en caractères hébraïques et avec un timide et tendre sourire, le visa d’entrée de l’Etat millénaire qui venait d’être ressuscité, et me dit:
« – Vous en avez de la chance ! C’est le visa numéro 1 de notre pays.
« Puis des voitures furent appelées de ‘Haïfa pour nous conduire à Tel-Aviv. (…) »
Source France-Soir
« Quand j’ai mis pied à terre, j’ai eu l’impression que je connaissais cette terre alors que je n’y avais jamais été. » Joseph Kessel