Survivant de la Shoah, Jiří Brady est mort samedi, à Toronto, à l’âge de 90 ans. Le récit de sa vie aurait pu rester oublié sans son inlassable travail de mémoire, incarné notamment dans un livre, La Valise d’Hana, qui retrace le destin de sa sœur, gazée dès son arrivée à Auschwitz. L’histoire de ces deux enfants juifs, Jiří Brady s’est attaché à la transmettre à la jeune génération.
« Quand nous sommes arrivés à Auschwitz, Terezín nous a paru digne d’un séjour dans une station thermale. A Terezín, personne ne nous tuait, il n’y avait pas de vrai danger. Alors qu’à Auschwitz, il était pratiquement impossible de survivre. »
C’est ce paradoxe de l’horreur que Jiří Brady, né en 1928, a maintes fois répété pour décrire ce que lui et sa sœur ont vécu, comme tant d’autres, pendant la Seconde Guerre mondiale. Issus d’une famille juive de commerçants de Nové Město na Moravě, les deux enfants sont déportés en 1942, un an après leurs parents. Au camp de Terezín, Jiří Brady fait partie de la bande de jeunes garçons, menée par Petr Ginz, qui participe en secret à la rédaction et à la diffusion du magazine littéraire Vedem.
Deux ans après son arrivée à Terezín, il est envoyé à son tour à Auschwitz, sans savoir ce qu’est devenue sa sœur Hana. Celle-ci, comme il l’apprendra à la Libération, a été dès son arrivée sélectionnée pour la chambre à gaz. Jiří Brady, lui, est envoyé travailler dans un camp de prisonniers de guerre. Et il ne devra qu’à la chance d’être le seul survivant de sa famille :
« Un tank russe ou quelque chose a tiré dans un mur et nous nous sommes enfuis par le trou. Nous nous sommes cachés dans la forêt avant d’essayer de rejoindre discrètement un village. Nous évitions les routes, où les soldats auraient pu nous repérer et nous attraper. »
Après la guerre, Jiří Brady fait des études de commerce, mais le coup de Prague et l’arrivée des communistes au pouvoir en 1948 sont pour lui le signe qu’il faut partir : le jeune homme a survécu à un totalitarisme, il ne veut pas vivre sous un autre régime autoritaire. En 1949, il émigre au Canada. A Toronto, il monte une affaire florissante de plomberie, se marie et a trois enfants.
Il n’oublie en rien ni son pays d’origine, ni ce qu’il a vécu pendant la guerre. Pendant toutes les années du communisme, le Canada a accueilli un nombre important d’émigrés tchécoslovaques et Jiří Brady leur vient en aide également.
« J’avais décidé que si je survivais à tout cela, je serais différent. Je voulais aider les gens. Et quand on aide autrui, on n’aide pas seulement quelqu’un d’autre mais on s’aide soi-même. »
Jiří Brady choisit de témoigner dès qu’il en a la possibilité des horreurs du nazisme. Notamment à travers l’histoire de sa sœur Hana, comme le rappelle son neveu, le politicien chrétien-démocrate Daniel Herman :
« Toute l’histoire qu’il a essayé de transmettre au monde s’appuie en grande partie sur le triste destin de sa sœur, Hana, qui est morte à l’âge de 13 ans à Auschwitz. Par le plus grand des hasards, sa valise s’est retrouvée dans le cadre d’une exposition organisée au Centre de recherche sur les victimes de l’Holocauste à Tokyo. La directrice du centre, Fumiko Ishioka, a lancé des recherches et a retrouvé mon oncle. Un livre a été écrit, des documentaires ont été réalisés… C’est une histoire importante grâce à laquelle les enfants apprennent la tolérance et l’amitié. C’était vraiment une personne avec un grand cœur. »
En 2016, Jiří Brady s’était retrouvé au cœur d’une polémique bien indigne au regard de sa vie : plusieurs fois proposé par les sénateurs et les députés tchèques pour être décoré de l’ordre Tomáš Garrigue Masaryk, l’ultime demande avait finalement été rejetée par le président tchèque, Miloš Zeman, en représailles suite à la rencontre de son neveu avec le dalaï-lama. Connu pour ses sympathies prochinoises, le chef de l’Etat n’avait pas, semble-t-il, apprécié la tenue de cette entrevue entre le leader tibétain et Daniel Herman, alors ministre de la Culture.
Interrogé sur cette affaire, Jiří Brady avait répondu avec un recul caractéristique et un soupçon d’ironie : ne pas recevoir cette distinction d’Etat avait finalement été un soulagement, puisqu’il n’avait pas été obligé de la recevoir des mains d’une personne qu’il ne respectait pas…
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