C’est l’homme qui a dirigé il y a trois ans l’assaut contre l’Hyper Cacher. Aujourd’hui député, Jean-Michel Fauvergue revient sur cette mission, à l’occasion de la sortie d’un livre d’entretiens avec Caroline de Juglart, Patron du RAID. Face aux attentats terroristes (Mareuil Editions, 272 pages,19 euros).
Actualité Juive : Dans votre livre, vous rappelez que le RAID et le GIGN sont intervenus « simultanément mais pas ensemble » lors du double assaut à l’Hyper Cacher et à l’imprimerie de Dammartin-en-Goële en janvier 2015. Pour quelles raisons ?
Jean-Michel Fauvergue : Ces deux forces ne sont pas intervenues ensemble sur le même lieu parce que les frères Kouachi étaient retranchés dans l’imprimerie dans le secteur de la gendarmerie, donc du GIGN, et qu’Amedy Coulibaly se trouvait lui à la Porte de Vincennes dans le secteur de la police. Néanmoins, nous avions entre le GIGN et mes équipes du RAID une relation forte. Deux hommes du GIGN m’accompagnaient et j’avais laissé deux officiers du RAID auprès du chef du GIGN.
A.J.: Quel serait l’impact sur le plan opérationnel d’un commandement unique que vous avez appelé de vos vœux dans un récent rapport ?
J.M.F. : Cela permettrait d’innerver totalement le territoire national. On interviendrait ainsi plus rapidement, avec une meilleure efficacité. Cela offre également la possibilité de mieux gérer les ressources humaines et matérielles, mais aussi l’énergie de nos troupes.
A.J.: A l’Hyper Cacher, pourquoi avoir rapidement estimé qu’un assaut était la seule solution ?
J.M.F. : L’an 0 de ce terrorisme, c’est l’affaire Merah. Au RAID, mon prédécesseur et moi-même avions tiré les conclusions de ce qui s’était passé en 2012 à Toulouse et Montauban, mais aussi dans d’autres attaques dans le monde. Les terroristes interviennent désormais en trois temps. 1) Ils s’en prennent à des cibles à forte valeur émotionnelle pour l’opinion publique. Merah a tué des militaires avant de commettre un massacre à l’école juive Ozar Hatorah ; les frères Kouachi ont visé Charlie Hebdo ; Amedy Coulibaly a tué la policière municipale Clarissa Jean-Philippe à Montrouge puis s’est dirigé le lendemain à l’Hyper Cacher en visant des clients de confession juive. 2) Ils choisissent ensuite de se retrancher et non pas de s’évader comme le ferait un criminel endurci. 3) Ils attendent que les troupes policières viennent sur place pour se confronter à elles et mourir en combattant.
A.J.: Comment le RAID s’est-il adapté à ces évolutions ?
J.M.F. : Notre mode de négociation a aussi évolué, après avoir constaté que les 20 heures d’échanges avec Merah en 2012 n’avaient pas servi à grand-chose. La concentration des efforts a été plutôt mise sur la prise d’informations nécessaires à la préparation de l’assaut que je commandais à la tête de la Force d’intervention de la Police nationale (FIPN) qui chapeautait ce jour-là le RAID et le GIGN.
On a considéré qu’il fallait que le temps joue pour nous et non pour les terroristes. Leur laisser du temps, c’est leur permettre de se reposer, de tuer les otages, de préparer des explosifs et de mettre en ligne des films mortifères.
A.J.: Quelle était la particularité de ce double assaut ?
J.M.F. : C’est une opération presque unique au monde. Deux crises simultanées, à deux endroits distincts, avec des terroristes, Coulibaly et les frères Kouachi, se connaissant et sans doute en contact. L’une des crises va forcément impacter l’autre. Quand le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, arrive sur place à la Porte de Vincennes, je lui dis que la seule option pour sauver un maximum d’otages est un assaut. Je lui demande également d’avoir la primeur de celui-ci, parce que j’ai 26 otages à sauver contre aucun dans l’imprimerie, l’employé de la société CTD étant caché dans un meuble.
Mais au bout du compte, les choses ne se sont pas passées comme prévu. Les frères Kouachi sont sortis de l’imprimerie et ont chargé les hommes du GIGN, ce qui nous a obligés à hâter notre opération à l’Hyper Cacher de 20-30 minutes. Il s’agissait d’un assaut très élaboré, avec un certain nombre de diversions qui nous ont permis de faire en sorte que Coulibaly détourne son attention des otages.
A.J.: La sortie inopinée des Kouachi vous a-t-elle obligés à changer vos plans ?
J.M.F. : Non. Ce qui nous a en revanche beaucoup gênés est le fait d’avoir été filmé en direct par les médias. Il nous a été impossible de positionner nos explosifs sur la sortie arrière de l’Hyper Cacher en amont de l’opération, pour éviter que le terroriste ne l’apprenne par la télévision. Nous avons dû le faire juste avant l’assaut.
A.J.: Comment se passent les jours qui suivent les attentats au sein de vos services ?
J.M.F. : Au lendemain du 9 janvier, beaucoup de fierté d’avoir sauvé vingt-six vies. Mais la France restait toujours sous la menace. Lors du grand rassemblement du 11, le RAID est utilisé pour sécuriser les lieux et assurer des réserves d’intervention. A ce moment-là, personne n’a le temps de savourer, de se reposer. Cette grande fatigue durera quelques mois. On n’oublie pas surtout que si notre opération a réussi, des personnes ont été cependant tuées au début de la prise d’otages.
A.J.: Quelques mois après les attentats, vous rencontrez les otages de l’Hyper Cacher. Qu’est-ce que vous vous dites ?
J.M.F. : Les otages se posent de questions que nous ne nous posons jamais au RAID. « Pourquoi avez-vous risqué votre vie pour sauver la nôtre, alors que nous ne nous connaissions pas ? ». On leur répond que c’est notre métier, que nous sommes entraînés pour cela. Des explications insuffisantes à leurs yeux. On se met alors à réfléchir et il n’y a rien de plus dangereux qu’un flic qui réfléchit (rires). La réponse doit rester basique : mes hommes et moi ne pouvions pas laisser des otages se faire tuer.
Source www.actuj.com