Malgré le « débat raté » et les « erreurs stratégiques » de Marine Le Pen, le père de la présidente du Front national n’enterre pas sa fille. Entretien.
Son « carnet d’adresses » a beau ressembler à « un cimetière », c’est un Jean-Marie Le Pen en grande forme qui reçoit Le Point dans son manoir de Montretout. Fraîchement opéré – avec succès – d’une « petite fuite à une valve mitrale », le Menhir, qui ne tousse presque plus, n’a jamais aussi bien porté son surnom. À 88 ans, le vieux guerrier, qui parle de lui à la troisième personne du singulier, n’a pas l’intention de se faire oublier.
Jean-Marie Le Pen suit encore de très près la vie d’un parti dont il est toujours le président d’honneur, selon la justice. Il n’en démord pas : Marine Le Pen doit sa « disqualification » à la présidentielle à l’exclusion de son père. Le salut de la droite nationale et donc du pays ne passera, explique-t-il, que par sa réintégration dans le parti. Malgré tout, et notamment ses erreurs, la présidente du FN bouge encore, estime son père. Entretien.
Le Point : Marine Le Pen veut rénover le FN. Elle veut notamment changer le nom du parti. Qu’en pensez-vous ?
Jean-Marie Le Pen : J’y suis tout à fait hostile. Je ne connais pas d’entreprise de quelque nature que ce soit qui change de nom si elle n’y est obligée par un avatar judiciaire ou une faillite. Il a fallu quarante-cinq ans pour placer sur l’échiquier politique le nom « Front national », qui, aux yeux des gens, exprime un certain nombre de valeurs. Renoncer à ça, c’est repartir à zéro. Et donc ne pas aller bien loin compte tenu des circonstances et de l’État du pays.
Pourtant, Emmanuel Macron a été élu en s’appuyant sur En marche !, une formation qui a un an et demi…
Macron a été ministre de l’Économie de Hollande, énarque. Il avait un patrimoine acquis comme banquier d’affaires. Il était le poulain d’une équipe qui a sauté sur l’occasion de la défaillance de Marine Le Pen pour se placer de façon positive. Je ne suis pas sûr qu’il arrive jusqu’à la fin de la législature.
Vous parlez d’une entreprise en faillite. Mais Marine Le Pen n’a-t-elle pas mené le FN à la faillite après lui avoir fait atteindre des sommets ?
Dans ce cas-là, ça ne serait pas à elle de demander le changement de nom, mais à ses adversaires. Il faudrait mettre en cause l’équipe dirigeante, faire un examen de conscience. Les succès passés étaient moins dus aux talents de ses dirigeants qu’au fait que l’opinion publique prenait progressivement conscience que les thèmes du FN, jusque-là réputés extrémistes, correspondaient à une réalité. Quand Le Pen (Jean-Marie, NDLR) parlait des dangers de l’immigration, cela apparaissait un peu excessif, un peu pessimiste. Quand l’opinion publique a pris conscience des dangers de l’immigration, Marine Le Pen, sous l’influence de ses conseillers, a changé la hiérarchie des problèmes en mettant au premier plan l’euro et l’Europe, qui ne sont pas mobilisateurs. C’était une erreur stratégique.
Marine Le Pen a-t-elle commis d’autres erreurs ?
L’erreur tactique a été réalisée dans le débat qui l’a opposée à Macron. Ses conseillers ont pris au mot le défi de Macron de partir si le débat s’enflammait trop. Marine avait fait une campagne très fatigante. Elle avait un problème d’yeux. Elle a été amenée à se doper un peu. Elle l’a attaqué de manière malvenue. Elle a raté son coup. Les gens n’ont vu que ça. Ça l’a disqualifiée et a entraîné un échec législatif. Les conséquences sont terribles pour le financement du FN.
Pourra-t-elle se relever un jour ?
Elle pourra se relever si elle tire les conclusions de cet épisode en remettant en cause la manière dont le FN a été dirigé et l’exclusion de son père. Si elle ne m’avait pas exclu, son élection aurait été tangente. Elle aurait pu bénéficier d’un attentat pour se placer au-dessus de la barre des 50 %. Mais l’exclusion de son père a rendu la présidentielle ingagnable. Il y a eu, entre-temps, le départ des deux vedettes annexes représentant deux ailes rivales mais importantes du mouvement (Marion Maréchal-Le Pen et Florian Philippot, NDLR). Dans ces conditions, « que faire », comme disait Lénine ? « Refonder de la cave au grenier », ça ne correspond à rien. On ne peut pas sortir du programme traditionnel du FN sans perdre sa spécificité. J’étais hostile à la campagne de dédiabolisation. Un FN gentil, ça n’intéresse personne. Il y a Les Républicains et les centristes pour ça.
Donc tous les problèmes du FN seront résolus si Marine Le Pen fait la paix avec son papa ?
Ce n’est pas un problème de relation familiale. Je n’ai avec Marine Le Pen aucun contentieux, ni familial, ni patrimonial, ni autre. Le seul contentieux que nous avons est politique. Marine Le Pen a pris une initiative rarissime en politique : exclure le fondateur du parti. En plus, c’est son père, mais ça, c’est un problème d’ordre moral. La politique, c’est quand même l’affrontement d’idées et la discussion.
Outre la question de votre réintégration, le débat raté a-t-il enterré votre fille ?
Non. Moi, je suis objectif. Ce n’est pas parce que Marine affiche à mon égard une attitude d’hostilité que je vais me départir de mon attitude d’objectivité. Un débat, c’est un débat. Elle a raté son débat, mais elle devrait remettre en cause ses méthodes de gouvernement et l’élaboration de sa stratégie. Mais elle a tout de même fait près de 11 millions de voix. Ce n’est pas négligeable. Il faut remettre en cause ce qui n’a pas marché, mais pas tout remettre en cause. Il faut changer les pneus, pas le moteur.
Les Français peuvent-ils encore la considérer comme une présidentiable ?
Ça se construit, ça. La prochaine élection, c’est dans cinq ans. Ce sont les événements qui dominent qui font les actions et les réactions populaires.
Qu’est-ce qui a fait le plus de mal au FN, le départ de Mégret ou de Philippot ?
Le départ de Mégret avait beaucoup plus d’importance. Il occupait un poste d’extrême confiance : délégué général. Il avait entraîné avec lui la moitié des élus : 150 ou 180 élus régionaux, plus la moitié des secrétaires départementaux… Ça a été un séisme considérable. Ça a probablement été un coup très dur pour l’accession au pouvoir. Je ne suis pas sûr que Mégret ne regrette pas de l’avoir fait. Ce qui m’inquiète, c’est de voir certains des conseillers de Mégret autour de Marine Le Pen. Je me dis que ce sont ce qu’en Algérie on appelait des « scoumounards », des gens qui vous donnent la scoumoune. Ils vous portent la vérole.
Ils ont aussi voulu délepéniser le FN…
Difficile de délepéniser quand le président s’appelle Le Pen… Philippe Olivier (conseiller et beau-frère de Marine Le Pen, NDLR), je ne sais même pas s’il a réussi à être conseiller municipal dans sa commune. Il ne s’est pas fait remarquer par des succès électoraux notoires. Nicolas Bay (actuel numéro deux du parti) a été secrétaire général du MNR, qui n’était pas un torrent politique. Steeve Briois est un brave type. Un bon maire d’Hénin-Beaumont, un député européen convenable. Mais ça n’est pas un homme capable d’animer un parti. Il faut être à un autre niveau. Je ne vois personne d’autre en l’état actuel des choses qu’une Marine Le Pen sachant réformer « du sol au plafond ».
Florian Philippot a-t-il, selon vous, l’étoffe d’un présidentiable ?
Non. Philippot est un énarque, un haut fonctionnaire du ministère de l’Intérieur qui a des qualités d’exécution qui en feront certainement un bon préfet ou un bon sous-préfet. Mais je crois qu’il lui manque une qualité principale du chef politique, c’est le charisme personnel.
Source www.lepoint.fr