Quelle mouche a piqué le président Macron pour qu’il dise au premier Ministre d’Israël que le statut de son Etat, que son existence, était le produit d’une décision de l’ONU, et en ajoutant de manière à peine sous-entendue, que ce que l’ONU avait fait, l’ONU pouvait le défaire ? Ces mots n’étaient pas qu’une indélicatesse adressée à un allié, elle relevait bien plus d’une menace au moment même où Israël mène une guerre contre des ennemis qui ne désirent pas moins que la destruction de l’Etat juif. Après avoir suggéré, peu après le 7 octobre 2023, la création d’une coalition internationale pour lutter contre le Hamas, voilà qu’il propose aujourd’hui de cesser de livrer des armes à Israël pour faire cesser la guerre. Quelle est la cohérence de ces propos ?
Que cherchait Emmanuel Macron ? A qui s’adressait-il ? Quel nouveau regard incitait-il à porter sur Israël ? Le président français est trop intelligent, trop connaisseurs des finesses de la langue pour ne pas comprendre que ses mots étaient inopportuns et sont à cibles multiples.
En rappelant aux Juifs la précarité de leur Etat, le président de la république française a commis non seulement une appréciation historique erronée, il a ravivé une blessure dont il aurait dû connaître la profondeur. Signifier aux Juifs que la place de leur Etat sur la terre est fragile, sans leur dire simultanément que le droit à leur souveraineté nationale est un droit imprescriptible, laisse planer des doutes sur ses convictions. Ses paroles, peut-être imprudentes, en disent long sur le fossé des perceptions existant entre la parole du chef de l’Etat et le ressenti de ces mots en particulier chez les Juifs et les citoyens d’Israël. Les mots d’Emmanuel Macron ne s’adressaient pas qu’au seul premier ministre d’Israël, ils ont touché, blessé les français juifs autant que le peuple d’Israël. Qu’a-t-il voulu signifier ? Qu’a-t-il induit par ses paroles: “Ce que l’ONU a créé, l’ONU peut le défaire”. Cette menace rejoint les propos de Dominique de Villepin quand il estimait en 2001 que la durée de vie de l’Etat d’Israël ne dépasserait pas celle du royaume franc en Palestine (propos rapportés par JM Colombani dans “Tous américains”). C’est aussi ce que Rima Hassan a récemment déclaré: “Nous étions là avant vous, nous serons là après vous”, avait déclaré la passionaria insoumise de la Palestine, sans préciser le sort du peuple concerné. Il est vrai qu’à LFI, on ne s’embarrasse pas de nuances.
Si formellement, si juridiquement, selon les règles onusiennes, la naissance de l’Etat d’Israël a été accompagnée d’ un vote des Nations unies en 1948, la décision de le créer était acquise en 1947, par l’acceptation du plan de partage de la Palestine mandataire entre un Etat juif et un Etat arabe. Les Juifs ont accepté ce plan et les Etats arabes l’ont refusé. Dès la naissance de ce nouvel Etat, la partie arabe a préféré lui faire la guerre afin de le faire immédiatement disparaitre.
En considérant que l’Etat d’Israël ne tient sa légitimité de la seule l’ONU, le président de la République feint d’ignorer que le droit international n’a de droit que celui instauré par des rapports de force construits à des moments de l’histoire. Les frontières sont mouvantes et c’est l’histoire qui les déplace. Des millions de personnes ont été délacées à la fin de la Seconde Guerre mondiale entre URSS, l’ Allemagne, la Pologne dont les frontières furent redessinées par les vainqueurs. En 1948 lors de l’indépendance de l’Inde et de son partage entre l’Inde et le Pakistan, des millions de personnes ont été déplacées. Par contre un peuple méritant autant que tout autre à exister en tant que nation sur sa terre ancestrale, le Tibet, a été effacé de la carte et remplacé par une population venue de Chine. Sa culture, sa religion, ses coutumes, sa langue, son écriture, ont été chassées par l’occupant chinois. L’ancien territoire du Dalaï Lama ne répondait-il pas aux critères constitutifs du concept de peuple l’autorisant à prétendre à une existence nationale ? Le Tibet n’existe plus mais nous faisons des affaires avec la Chine… Qui peut dénier aux Juifs un lien historique avec le lieu où ils ont choisi de se réinstaller ? Qui peut dénier aux Juifs ce lien ancestral ? Qui peut faire croire qu’un Juif serait un étranger en Judée ?
C’est au XIXe siècle que l’essor des nationalismes européens, la montée des volontés émancipatrices des peuples, la remise en cause des empires par des peuples avides de liberté, a coïncidé simultanément pour les populations juives installées dans l’est de l’Europe à des projets identiques mais c’est en France que le projet sioniste prit corps, dans le constat que fit Théodore Herzel de l’antisémitisme à l’intérieur du pays émancipateur des Juifs autant qu’inventeur des droits de l’homme.
En 1947, l’Etat de Palestine n’existait pas. Il y avait sur cette partie du Proche Orient des populations majoritairement de langue arabe, de cultures différentes, d’ethnies différentes, de religion musulmane dans leurs diverses variantes, autant que chrétiennes, bédouines, nomades ou installées, s’étant déplacées au gré de l’histoire dans cette région charnière entre Orient et Occident. La désintégration de l’Empire ottoman à la fin de la première Guerre Mondiale a permis au rêve millénaire juif de se réaliser.
La suite est bien connue et c’est au gré des tragédies que l’histoire a infligées à ces peuples qu’il faut en poursuivre la lecture. Israël a affronté ses voisins au cours de huit guerres contre des Etats puis dans des agressions continues, celles d’un terrorisme palestinien incessant jusqu’à ce que les éphémères Accords d’Oslo conclus entre Israël et l’Autorité palestinienne dessinent une perspective de paix. L’assassinat d’Itshak Rabin (1995) par un Juif d’extrême droite mit fin à cet espoir. Le refus d’une présence nationale juive dans cette partie du monde reste la seule constante de la partie arabe. Cette seule présence, géographiquement minuscule, noyée dans l’immensité du monde musulman, de l’Atlantique à l’océan indien, sert d’explication magique pour l’enfermement paranoïaque de ce monde. Ce meilleur “aphrodisiaque pour les arabes”, selon les mots de l’ancien roi du Maroc, Hassan II, formule métaphoriquement le diagnostic clinique pour cette part de l’humanité.
Depuis la révolution islamique en Iran (1979), c’est à d’autres paramètres qu’obéissent les dynamiques du PO. Le religieux s’est substitué au national, l’islam dans sa version la plus fanatique mobilise les imaginaires de la “rue arabe” et musulmane. Le 11 septembre 2001 constitue la figure paroxystique de la guerre que mène l’islam-iste contre l’Occident. La ligne de front s’est rapprochée mais la première ligne se nomme Israël.
Qui peut oser prétendre que les Juifs étaient étrangers à cette partie du monde allant du Jourdain à la mer Méditerranée ? Qui ignore que depuis 2000 ans, les Juifs, dans le récit de leur exode, prient pour leur retour “l’an prochain à Jérusalem” ? Est-ce l’ONU qui a écrit cette splendide liturgie invoquée par le général De Gaulle dans sa conférence de presse de novembre 1967 ? Le projet nazi d’élimination des Juifs de la surface de la terre suivie de sa mise œuvre a renforcé l’idée que seule la création d’une patrie donnant une réalité territoriale juive sur la terre de son “ancienne grandeur” pouvait être la solution de la “question juive”.
La tragédie de ce conflit vieux de 100 ans ou de 2000 ans selon qu’on lise son histoire dans le récit biblique ou dans ceux de la modernité vient de cette appréciation fausse : “Une terre sans peuple pour un peuple sans terre”. Il y avait bien des populations installées, d’autres locataires installés sur la terre de la Bible, sans que pour autant cette terre fût vide de Juifs. Jérusalem est restée une ville dont la présence juive fut une constante au cours des siècles qui ont suivi la destruction du temple. Deux mille ans plus tard, la guerre d’indépendance d’Israël a fait partir des arabes qui y séjournaient, soit incités par les Etats arabes, soit poussés dehors par la Hagannah. Personne ne conteste cette réalité. Personne n’ose imaginer ce qui serait advenu aux populations juives si les armées arabes avaient été victorieuses.
Le 7 octobre 2023 marque symboliquement la seconde guerre d’indépendance d’Israël. Elle est la suite de la première. Le peuple israélien en armes dit au monde ce que le peuple juif sans armes n’a pas pu dire au monde en 1940 : “Il n’y aura pas de seconde Shoah”. Dans le pogrom ou par la razzia, une armée de tueurs psychopates a essayé de poursuivre ce que les nazis avaient tenté d’accomplir. Ce projet n’a pas pu aboutir, pas plus que les précédentes expulsions, relégations, exterminations n’avaient réussi à accomplir.
Débarrasser la terre des Juifs semble être devenu une obsession planétaire. Les ayant désormais baptisés “sionistes” pour rendre leurs crimes auréolés d’un label progressiste, les nouveaux pogromistes et leurs idiots utiles voient dans les Juifs les nouveaux ennemis du genre humain. En apposant un signe = entre l’étoile juive et la svastika, les analphabètes diplômés de Sciences Po n’étalent pas que leur bêtise souveraine, ils mettent en place une abjection effrayante. La même qu’un vote de l’ONU de 1975 avait voulu promouvoir en signifiant que le sionisme était une variante du racisme. En 2001, la même ONU, à la conférence de Durban, au cours d’une conférence devant statuer sur l’état du racisme dans le monde, fit la démonstration de son incurie et de sa perversité en faisant la promotion de l’antiracisme antijuif. “Un Juif, une balle”, précisaient des tracts antiracistes. Que la Force des Nations Unies (la FINUL installée au sud Liban) ne voie pas les installations du Hezbollah installés à cent mètres de ses postes d’observation en dit long sur sa myopie délibérée. Que monsieur Guterres, Secrétaire général de cette même ONU, favorise toutes les résolutions condamnant Israël, est un indicateur de sa bienveillante neutralité. Que la France vote la plupart de ses résolutions est un autre indicateur de cette diplomatie à double face.
En novembre 2023 le président de la République a refusé de participer à la marche contre l’antisémitisme initiée par la présidente de l’Assemblée nationale et par le président du Sénat au prétexte que, en tant que président de tous les français, il ne pouvait s’associer qu’à seulement une partie d’entre eux… Quelle était l’autre partie ? La France a refusé il y a quelques mois la présence d’Israël au salon international d’armement de Satory. Elle vient de refuser la présence d’Israël au salon de défense de sécurité maritime. Ces décisions ont-elles été prises à l’insu du président de la République ? On peut en douter tant l’obsession anti israélienne fait partie de la ligne intellectuelle et politique du Quai d’Orsay par ailleurs supposé soucieux de la protection des lieux saints chrétiens du Levant. Sauf à imaginer que c’est toujours Louis Massignon qui en est l’inspirateur spirituel, on peine à trouver des preuves d’amitié pour Israël dans ces mesquineries successives. La France serait par ailleurs protectrice du Liban. Mais qui menace le Liban ? Qui a détruit le Liban depuis 1975 ? Qui a mis le Liban sous sa coupe ? Qui a assassiné l’ambassadeur de France Louis Delamare à Beyrouth en 1981 ? Qui a assassiné cinquante-huit soldats français en 1983 ? Qui est allé s’incliner devant la dépouille de Hafez el Assad, grand massacreur de Libanais autant que de Syriens ? Qui a invité à Paris, un 14 juillet, son illustre fils Bachar, responsable de la mort de 300 000 syriens ? Qui a sollicité l’aide du Hezbollah pour ces crimes ? Qui a fait assassiner en 2005 le président du Liban Rafic Hariri ? Qui est responsable de la gigantesque explosion du port de Beyrouth ayant ravagé la capitale libanaise ?
Le président français se défend violemment aujourd’hui d’avoir tenu les propos qu’on lui attribue. Dès lors, qui ment et qui dit vrai ? Des ministres auraient-ils menti ? Des journalistes auraient-ils falsifié ses paroles ? Cette affaire est trop grave pour laisser planer des doutes. Le général De Gaulle rendit en son temps, en novembre 1967, un hommage paradoxal à Israël. Il eut le mérite de clarifier sa pensée, pour la peine des Juifs et celle de Raymond Aron, en même temps qu’il énonçait la vision de sa “politique arabe” pour la France. Celle-ci fut patiemment poursuivie par Raymond Barre appliquant les directives de boycott commercial contre Israël puis par le “bon docteur Chirac” à l’égard de son “ami Saddam”, bon client de centrale nucléaire made in France et de son autre ami Yasser Arafat qui eut droit à de grandioses funérailles.
“Le peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur”, en prit son parti pour son moindre mal. Il semble que cet état de choses soit toujours à l’ordre du jour. N’est pas De Gaulle qui veut et les temps actuels préfèrent le tweet à la solennité. Cette constante dans le double discours va continuer à empoisonner durablement un air du temps surchargé de passions malsaines. Sauf à imaginer qu’on préfère, en France, rendre hommage aux Juifs morts plutôt qu’honorer les Juifs vivants et combattants, ces postures si opposées ne sont pas à l’honneur du pays. Au président Macron de préciser sa pensée sur l’Orient compliqué et son impact dans l’hexagone. Il y a urgence.
© Jacques Tarnero