Jacob vs le matérialisme

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Par David E. Avraham

« Jacob étant resté seul, un homme lutta avec lui, jusqu’au lever de l’aube. »

L’ensemble de la Tora, tout particulièrement le livre de Beréchith, nous invite à une lecture unique et profonde. Le texte de la Tora n’est pas le témoignage figé d’événements appartenant au passé, mais une révélation vivante et intemporelle. Elle est vivante par la dimension spirituelle qu’elle renferme. Et elle impacte notre vécu de façon intemporelle. Nos sages nous enseignent « ma’assé avoth simane la-banim » : « Tout ce qui est arrivé aux pères est un signe pour les fils ! » L’épopée du peuple juif, et les défis rencontrés à travers les générations ne sont que la projection des pérégrinations de nos patriarches. Le récit de leur vie impose donc une analyse diligente. Mettons-nous au travail !

L’événement le plus marquant de notre paracha est sans conteste la lutte de Jacob avec l’ange. Ce récit éveille d’innombrables questions ? La Tora nous raconte que Jacob resta seul dans la nuit. Pourquoi ?

Là, il rencontra un homme. Plus tard, la Tora parlera d’être divin comme il écrit : « Jacob appela ce lieu Penïel « parce que j’ai vu un être divin face à face et que ma vie est restée sauve. » Qui était cet être divin et pourquoi ce changement de langage dans la Tora ?

L’homme lutta avec Jacob. Pourquoi ? Il lutta avec Jacob jusqu’au lever de l’aube. Pourquoi ne poursuivit-il pas son combat ? Voyant qu’il ne pouvait le vaincre, l’homme lui pressa la cuisse. Pourquoi l’a-t-il frappé à cet endroit en particulier ? Et pour conclure, qu’est-ce que la Tora veut nous enseigner ? En d’autres termes : quel est le rapport de ce combat surnaturel avec nos petites batailles quotidiennes ?

Rabbi Chelomo Ephraim de Luntschitz nous éclaire de façon édifiante dans son fameux commentaire de la Tora Kli Yakar. Voici un résumé de son explication :  l’essentiel de nos sages s’accorde sur le fait que l’ange d’Essav, Samekh Mem, était l’agresseur de Jacob. Le nom Samekh Mem désigne le but intrinsèque de cet être spirituel. Le mot « Souma » signifie aveugle. L’ange d’Essav œuvre sans relâche pour nous aveugler. Il s’acharne à nous frapper d’une cécité intellectuelle et spirituelle afin que nous ne distinguions plus le vrai du faux, le pur de l’impur, et le bien du mal. Le yetser hara’ (Samekh Mem) est également comparé à la mouche. À l’instar de l’insecte, Samekh Mem ne s’attaque qu’à une portion fissurée ou entamée. Il ne peut rien contre l’homme intègre, entier dans ses pensées et ses actions. Il ne s’en prend qu’au distrait, et à tout celui qui l’invite par ses négligences. Nos sages nous racontent que Jacob a rebroussé chemin afin de récupérer des petites fioles. Cet acte créa une brèche, une fissure dans sa personne. Car son souci pour ses biens matériels le rendit vulnérable. Samekh Mem y perçut une once de matérialisme. Il attrapa alors Jacob et lutta avec lui. Ce combat au corps à corps remua la poussière du sol qui s’éleva jusqu’à trône céleste. La poussière symbolise la matière dans laquelle Samekh Mem tenta d’enfouir Jacob. Le trône céleste constitue le niveau le plus élevé de la spiritualité de Jacob, la foi parfaite. Samekh Mem tenta de souiller la foi de Jacob par le biais de la matière. Il profita aussi d’un moment de confusion, symbolisé par la nuit. Jacob lui résista jusqu’au lever de l’aube, il bénéficia alors d’un surplus de clarté spirituelle. Voyant qu’il ne pouvait le vaincre, l’homme lui pressa la cuisse. L’intérieur de la cuisse est un endroit caché du corps. Il symbolise la sagesse cachée, le sod. Voyant qu’il ne pouvait le vaincre, Samekh Mem s’attaqua à l’étude les secrets de la Tora. Il chercha à en priver Jacob. Là encore, il profita d’une brèche faite par Jacob. Car l’amour de l’argent est incompatible avec une étude des profondeurs de la Tora.

L’explication du Kli Yakar met en relief la dimension réelle du combat de Jacob avec l’ange d’Essav. Après son départ de Beer Sheva, Jacob a entamé une nouvelle vie, un nouveau type de service divin. Il n’était plus le sage reclus dans les quatre coudées de la halakha. Il s’est confronté à la matière la plus brute comme il est écrit : « Il prit une des pierres de l’endroit, en fit son chevet. » le texte fait allusion au service divin de Jacob. Tandis que ses pères creusent des puits, révélant ainsi la Tora des profondeurs de leur être, Jacob élève la matière. Il vit les paroles du prophète : « Tous ceux qui se réclament de Mon Nom, tous ceux que, pour Ma gloire, J’ai créés, formés, organisés. »  Selon Jacob, le mal n’existe pas, car tout fut créé pour honorer Hachem. Et l’ensemble de la création possède sa place dans le service divin. Certains décrivent l’œuvre de Jacob comme une libération des lumières de sainteté enfouies dans l’écorce. C’est un service des plus louables. Néanmoins, il n’est pas sans danger. Jacob devient riche. Il se préoccupe des richesses qu’il a acquises honnêtement, à la force de son travail. Cette fortune est un moyen d’honorer Hachem, mais elle est aussi un écueil pour Jacob et ses descendants. Le spectre du matérialisme rôde et les menaces.  Ce danger est bien réel et très actuel. Dans l’une de ses conférences, rav Daniel Heymann déclara à ce sujet : « De nos jours, le problème est l’assimilation par le bas. » Il n’y a plus de grands conflits philosophiques comme à l’époque des Hasmonéens. Le défi d’Israël se résume à son rapport avec la matérialité et la concupiscence. Et notre intériorité en est l’enjeu. Deviendrons-nous des individus superficiels et matérialistes ou deviendrons-nous Israël, des êtres entiers et profonds ? L’accès aux secrets de la Tora est un antidote et un révélateur. Car il impose l’intériorité dans une époque ou règne le matérialisme et la superficialité. La Torah nous livre une nouvelle fois les clés pour nous mesurer aux grands défis de notre temps.

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