Des gens protestent à Téhéran, le 30 décembre 2017, dans cette image obtenue par Reuters à partir d’une vidéo (REUTERS).
Ben Caspit – al-monitor.com – Adaptation : Marc Brzustowski, JForum.fr
Les services de renseignements israéliens suivent de près les événements en Iran et se demandent si les manifestations ont un potentiel pour générer un nouvel équilibre régional.
Malgré les efforts énormes qu’Israël investit pour avoir l’oeil sur tout ce qui se déroule en Iran en général et en matière de stabilité du régime, en particulier, l’actuelle vague de troubles qui a éclaté là-bas a presque réussi à prendre les services de renseignements israéliens par surprise. Cependant, il subsiste pas mal de scepticisme au sein des différentes branches importantes du renseignement israélien, concernant la puissance réelle et l’intensité de ces manifestations. Une source au sein de la sécurité israélienne a déclaré à Al-Monitor, sous couvert de l’anonymat, le 2 janvier, que “ces troubles reflètent un phénomène bien réel interne à la société iranienne, mais notre évaluation est qu’à ce stade, ils ne mettent pas encore en péril la stabilité du régime”.
Depuis le début des années 1990, un débat fait rage depuis longtemps, aux plus hauts niveaux de l’appareil de sécurité israélien, concernant l’estimation de l’espérance de vie du régime iranien dirigé par les Ayatollahs. Parce que l’Iran est perçu comme l’ennemi le plus dangereux d’Israël et le seul capable de menacer l’existence même de l’Etat Juif au Moyen-Orient, ce débat a pris un volume significatif au sein de l’appareil des renseignements et de la sécurité et il comporte une discussion de fond sur la “course contre la montre” du régime en Iran.
La “course contre la montre” iranienne signifie une course contre le temps et concerne deux temps de l’horloge qui avancent simultanément. On mesure le temps qu’il reste à l’Iran pour parvenir à la capacité militaire nucléaire, alors que l’autre horloge mesure le temps restant jusqu’à l’effondrement de la révolution islamiste et la chute du régime des Ayatollahs. La personne qui a été le champion de la thèse selon laquelle le régime iranien est profondément instable et qu’il va probablement tomber dans un avenir assez proche, au fur et à mesure qu’il perd le soutien du peuple a été l’ancien chef du Mossad, Efraim Halévy.
Cette vision s’est attiré d’autres partisans qui sentaient que les objectifs d’Israël devraient être d’accélérer le compte-à-rebours de la chute du régime, tout en ralentissant, simultanément, le calendrier du nucléaire iranien. Dès que la révolution islamiste disparaîtra, le péril en lui-même se dissipera. Quand le Shah de Perse, Mohammad Reza Pahlavi (qui a dirigé le pays entre 1941 et 1979), a lancé des efforts visant à obtenir des capacités nucléaires, son initiative ne s’est pas attirée d’opposition particulière de la part de Jérusalem, puisqu’il était un allié fervent d’Israël.
Ces dernières années, on a assisté à la disparition des derniers optimistes au sein du système de la défense israélienne. Les attentes vigilantes d’une chute du régime islamique à Téhéran, se sont progressivement dissipées à Jérusalem. Le premier ministre Binyamin Netanyahou décrit l’Iran comme le démon ultime qui met en péril l’existence même d’Israël et de la paix mondiale. C’est ainsi que le premier ministre a forgé l’option militaire d’Israël pour attaquer les installations nucléaires de l’Iran et tenter de persuader le monde entier de monter dans le train des sanctions contre l’Iran afin de mettre un terme à ses efforts vers la nucléarisation.
Israël a continué à employer les mêmes moyens à sa disposition pour surveiller le niveau de stabilité du régime, mais toutes les discussions au sujet d’une contre-révolution sont restées au point-mort. La victoire décisive de l’Iran dans la guerre syrienne (grâce à la Russie) ancre la position de l’Iran comme représentant la puissance prédominante au Moyen-Orient (du point de vue d’Israël, mais aussi de nouveaux alliés de circonstance).
L’axe chiite s’étend à présent depuis les rives du Golfe persique jusqu’à la Mer Méditerranée, aux versants des hauteurs du Golan jusqu’au seuil plus au sud de l’Arabie Saoudite et du Yémen. Aussi Israël est-il retourné à la planche à dessin pour recalculer un nouveau plan et, comme décrit dans un précédent article d’Al-Monitor, a commencé à se préparer dans l’éventualité d’une nouvelle flambée de violence sur le front nord.
Cette fois, une elle explosion pourrait entraîner tous les acteurs à la fois : l’Iran, les troupes du Président Bachar al -Assad, le Hezbollah et les milices chiites irako-afghanes.
Au beau milieu de tout cela, l’irruption de désordre a éclaté le 28 décembre et pris l’appareil des renseignements complètement par surprise. Bien sûr, les renseignements israéliens avaient correctement détecté le sens dans lequel le vent tournait en Iran et se focalisait sur la lutte intestine entre l’aile radicale conduite par le guide suprême, l’Ayatollah Ali Khamenei et le Général-Major Qassem Soleimani, d’un côté, contre l’aile pseudo-pragmatique dirigée par le président iranien Hassan Rouhani. Quoiqu’il en soit, les renseignements ne concevaient pas que les barrières de la peur qu’inspire le régime dans l’opinion publique iranienne sauteraient d’un seul coup, presque en une nuit.
Un élément des données spéciales a piqué la curiosité des chefs des renseignements d’Israël, à la suite des élections en Iran en mai 2017 et ce n’était pas la victoire écrasante de Rouhani. C’était plutôt les résultats des élections municipales : presque toutes les grandes villes d’Iran tombaient dans l’escarcelle des candidats réputés réformistes – presque 100% des suffrages – en contradiction avec les pourcentages bien plus faibles au cours des précédentes élections. “Il se passe quelque chose, c’est certain”, rappelait une source importante au sein des renseignements israéliens, en juin dernier. “Mais nous ne savons pas exactement ce qu’il en est. Des tendances profondes semblent vouloir le changement, mais, pour le moment, cela a lieu dans le cadre des règles du jeu électoral iranien”.
Il semblerait que récemment, les règles du jeu iranien auraient explosé. Les forts courants souterrains se sont soulevés des profondeurs et ont fait irruption tout d’un coup au grand jour. Pour Israël, ce sont de très bonnes nouvelles – bien qu’il soit trop tôt pour savoir vers quoi cela mènera. L’Iran représente le plus grand défi pour Israël, à cause de plusieurs raisons cumulatives. D’abord, il y a la question nucléaire. Deuxièmement, c’est le fait que l’Iran est une véritable puissance régionale dotée d’une infrastructure, d’une université développée, de sciences avancées, de ressources humaines abondantes et d’une culture ancestrale – ainsi l’Iran constitue un adversaire bien plus coriace que les ennemis qu’Israël est accoutumé à affronter au Moyen-Orient. Troisièmement, la technologie de l’Iran pour le développement de l’armement – principalement des roquettes et des missiles de précision –arrivées au goutte à goutte au Liban, en Syrie et même dans la Bande de Gaza au cours de ces dernières années. Quatrièmement, l’axe chiite a pris racine dans l’espace régional et il est presque devenu l’unique menace contre Israël.
Selon une source diplomatique sous couvert de l’anonymat, Netanyahou désigne la menace iranienne comme “les pattes de chat”. Selon la perception de l’Iran qu’a Netanyahou, ce pays ressemble un chat, rusé, très souple et d’autant plus dangereux qui étend ses pattes de la terreur en différentes directions. Le Hezbollah n’est que l’une de ces pattes et Assad redevient à présent une autre de ces pattes ; les millions de dollars que l’Iran a décidé d’allouer au Hamas, intègre maintenant l’organisation terroriste sunnite dans le décompte de ces pattes du chat. Et on n’a même pas encore effleuré le terrorisme international et les événements qui se déroulent au Yémen et en d’autres endroits du globe (Amérique du Sud, Afrique, etc.)
Le 3 janvier, six jours après le déclenchement des manifestations en Iran, le Shin Bet israélien a annoncé avoir déjoué la mise en place d’une cellule terroriste et d’espionnage dirigée en direct par les services de renseignements iraniens. Un habitant d’Hébron, en Judée-Samarie a été recruté pour instaurer une cellule terroriste par un parent qui vit en Afrique du Sud. Le membre de sa famille lui-même a été activé directement par les agents des renseignements iraniens. L’Afrique du Sud est perçue, par Israël, comme une plaque tournante des opérations iraniennes, visant à créer et orienter ses réseaux terroristes. La révélation de l’existence de cette cellule, dans la période actuelle, prouve la véracité de ce phénomène des pattes de chat, qui semblent d’autant plus développées et diversifiées qu’elles n’en ont l’air.
La grande question reste : les événements stupéfiants en Iran – lors desquels des dizaines et mêmes des centaines de milliers de civils protestent ouvertement et défient le régime – vont-ils générer une nouvelle réalité dans l’équation du Moyen-Orient? Est-ce tout-à-fait possible que les pattes du chat puissent bientôt se rétracter, à cause des conditions terribles dans lesquelles le chat lui-même vit?
Israël ne place pas d’espoirs démesurés sur les hauts et les bas en Iran, mais admet que l’intensité des manifestations, leur continuation et le courage mis en évidence par les manifestants posent, ensemble, un énorme défi pour le régime iranien. “Peu importe ce qui va se passer ensuite”, déclare une source des renseignements à Al -Monitor, “l’Iran après ça ne sera pas le même pays que nous connaissions avant les manifestations. L’opinion publique iranienne est devenue un facteur très significatif dans les considérations des cercles dirigeants. C’est une nouvelle réalité complète”.
Ben Caspit est éditorialiste pour la Pulsion d’Israël dans Al-Monitor. C’est aussi un éditorialiste important et un analyste politique au sein de journaux israéliens et un animateur radio quotidien, ainsi qu’un participant assidu aux émissions TV sur la politique et Israël. Sur Twitter: @BenCaspit