Le président américain détruit méticuleusement, au profit de Benjamin Netanyahu, les principes jusque-là établis d’une résolution du conflit.
À peine entré à la Maison-Blanche, Donald Trump avait promis d’arriver à « l’accord ultime », celui qui allait mettre fin au conflit israélo-palestinien, l’un des plus vieux du monde, et qu’aucun président américain avant lui n’a réussi à résoudre malgré leurs tentatives répétées. C’est le « deal le plus difficile à conclure » mais « nous allons y arriver », avait-il déclaré en mai 2017, en prélude de sa première visite en Israël, pays dont il est très proche.
Pourtant, seize mois plus tard, alors que le président américain a chargé son gendre et conseiller, Jared Kushner, ainsi que son émissaire spécial, l’avocat Jason Greenblatt, de façonner ce « deal du siècle », aucun plan de paix n’a encore été officiellement présenté par les États-Unis. « Cela fait plusieurs mois qu’ils nous disent que le plan est prêt, mais je ne suis pas sûr qu’il sortira un jour », confie un diplomate européen. « Les Palestiniens pensent même qu’il n’existe pas. »
Trump renverse la table
Si aucun texte n’a été pour l’heure formellement présenté aux Palestiniens, plusieurs initiatives américaines prises depuis décembre dernier ne laissent pas augurer de résolution rapide du conflit séculaire, basée sur le principe de « deux États pour deux peuples » qui fait consensus au sein de la communauté internationale. Souhaitant tout d’abord laisser sa chance au président américain, décrit au départ comme un « pragmatique », le vieillissant président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, a vite déchanté.
En décembre 2017, Donald Trump a tout bonnement renversé la table en décidant unilatéralement de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël, alors que tous ses prédécesseurs avaient préféré attendre le règlement d’un accord de paix négocié entre les deux parties avant de déménager l’ambassade américaine dans la ville sainte. « Nous avons retiré Jérusalem de la table (…). Donc nous ne devons plus en parler », s’est félicité début 2018 Donald Trump, en marge du Forum économique mondial de Davos. Qualifiant cette décision de « claque du siècle », le président palestinien a depuis rompu tout contact avec les Américains, estimant que leur décision les a « disqualifiés » de tout rôle de médiateur entre Israéliens et Palestiniens.
L’argent comme levier de pression
Pour contraindre ces derniers à revenir à la table des négociations, le pensionnaire de la Maison-Blanche a employé la manière forte et usé d’un redoutable levier de pression : l’argent. L’administration Trump s’est tout d’abord attaquée à l’aide directe qu’il verse à l’Autorité palestinienne. La semaine dernière, Washington a annulé l’essentiel de l’assistance américaine, soit 200 millions de dollars, au profit de « programmes autrement prioritaires ailleurs ». « Cette administration est en train de démanteler des décennies de vision et d’engagement américains en Palestine », s’est insurgé dans un communiqué Hossam Zomlot, l’envoyé de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) à Washington. « Ceci ne fait que confirmer l’abandon de la solution à deux États et l’adhésion complète à l’agenda anti-paix de [Benjamin] Netanyahou. » À la tête du gouvernement le plus à droite de l’histoire d’Israël, le Premier ministre israélien n’a plus prononcé publiquement les mots « État palestinien » depuis 2009.
Étonnamment, Donald Trump s’est bien gardé de toucher aux 61 millions de dollars qu’il a versés cette année aux forces de sécurité palestiniennes pour garantir le bon fonctionnement de la coopération sécuritaire entre Israël et l’Autorité palestinienne en Cisjordanie. Il faut dire qu’en dépit de l’absence de négociations directes entre Palestiniens et Israéliens depuis 2014, celle-ci fonctionne bien, et garantit une relative sécurité à l’État hébreu, en tout cas depuis la Cisjordanie. « Cette coopération sécuritaire n’a jamais été remise en cause », rappelle un diplomate européen.
« Chantage minable »
Après avoir réduit l’aide américaine bilatérale à peau de chagrin, l’administration Trump a décidé vendredi de mettre fin au financement de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA). Créé en 1948 pour répondre aux besoins des 750 000 Palestiniens expulsés ou qui ont fui leur terre après la première guerre israélo-arabe, l’agence onusienne, qui s’occupe aujourd’hui de 5 millions de réfugiés dans toute la région (notamment à travers l’éducation et la santé, NDLR), « n’aura plus un sou » d’ici la fin du mois de septembre, a averti son porte-parole, Chris Gunness, soulignant « les conséquences dramatiques et imprévisibles » de la décision américaine pour des réfugiés qui « vont devenir plus désespérés et marginalisés ». Ulcérée par la décision américaine, Hanane Achraoui, une responsable de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), a dénoncé un « chantage minable » destiné à forcer la main de l’Autorité palestinienne pour accepter le plan de paix américain, ce qui semble aujourd’hui exclu.
Au contraire, la fin de l’aide américaine à l’UNRWA a été saluée par Israël qui a toujours accusé l’agence de « perpétuer le conflit » en cultivant l’idée que les réfugiés palestiniens et leurs descendants auraient le droit de retrouver un jour les terres qu’ils ont dû quitter en 1948. Ce « droit au retour », qui a fait l’objet d’une résolution de l’Assemblée générale de l’ONU en 1948, est un des autres points d’achoppement du conflit israélo-palestinien, Israël estimant qu’elle menacerait le caractère juif de son État. Or, d’après Barak Ravid, le correspondant diplomatique de la chaîne israélienne Channel 10, c’est le Premier ministre Benyamin Netanyahou en personne qui aurait justement demandé il y a deux semaines à la Maison-Blanche de couper l’aide américaine à l’UNRWA, sans en référer au préalable à son cabinet de sécurité, dont les responsables sécuritaires sont hostiles à la mesure.
Fin du droit au retour
L’ambassadrice américaine à l’ONU paraît sur la même ligne. S’exprimant la semaine dernière devant la Fondation pour la défense et la démocratie, un think tank conservateur et pro-israélien à Washington, Nikki Haley a conditionné la reprise de l’aide américaine à l’UNRWA à la diminution du nombre de réfugiés palestiniens enregistrés par l’agence. Interrogée sur l’éventualité que le « droit au retour » soit à son tour « retiré de la table des négociations », la diplomate a répondu par l’affirmative. « Je pense réellement que nous devons nous pencher sur ce droit au retour », a-t-elle souligné, selon l’agence de presse Reuters. À en croire la télévision israélienne, les États-Unis ne souhaiteraient plus accorder le statut de réfugié qu’à 500 000 Palestiniens, soit 10 % des cinq millions de réfugiés recensés.
« Le message de Donald Trump au cours des derniers jours est très clair », souligne un diplomate européen. « La politique américaine est disruptive. Il existe une volonté de changer les paramètres du règlement du conflit israélo-palestinien, en écartant de la table Jérusalem, en supprimant l’aide à l’UNRWA, ou avec l’éventuelle remise en cause du droit au retour. »
Confédération avec la Cisjordanie
Dernier bouleversement en date, la proposition américaine d’une confédération englobant la Cisjordanie et la Palestine en lieu et place du futur État palestinien. Rapportée à l’Agence France-Presse par Hagit Ofran, une militante de l’ONG israélienne La Paix Maintenant, qui dit tenir l’information du président palestinien en personne, cette idée, qui reprend le vieux souhait d’une partie de la droite israélienne d’expulser les Palestiniens en Jordanie (où vivent 70 % de Palestiniens), aurait été proposée par les deux émissaires de Donald Trump à Mahmoud Abbas. Selon la militante pour la paix, le vieux Raïs se serait montré intéressé, à la seule condition qu’Israël fasse également partie de cette confédération. Une manière habile de décliner l’offre, inacceptable pour les Palestiniens comme pour les Israéliens.