Par Francis MORITZ – Temps et Contretemps
On pourrait paraphraser cette mise en garde attribuée à Philippe II dit le Hardi : «Père gardez-vous à gauche, père gardez-vous à droite !». Israël en à peine terminé avec le Djihad islamiste au sud qu’il doit se garder au nord face à la convergence menaçante du Hezbollah et du Hamas. Principal responsable du chaos dans lequel s’enfonce le Liban, le Hezbollah soutien le Hamas dans sa politique d’implantation au pays du Cèdre. Le constat est sans appel : les pays occidentaux sont impuissants à sauver ce pays de la mainmise de l’Iran avec son affidé le Hezbollah. Toutes les déclarations de ceux qui affirment vouloir «sauver le Liban» sont restées lettre morte, odeur de pétrole oblige. Israël doit, seul, faire face à cette nouvelle menace vitale.
Au Liban, le dernier vendredi du ramadan, le Hezbollah a organisé une parade dans la banlieue sud pour commémorer la Journée de Jérusalem (Yom Al-Quds). Cette année, on a remarqué des changements, des cadres dirigeants du Hamas étaient présents. Cette participation atteste du nouveau rôle que les deux organisations entendent faire jouer au Liban. C’est une forme de retour aux années 1970 – 1980. Depuis 2019, le Hezbollah a utilisé les nombreuses manifestations liées à la crise pour transformer le rôle du Liban dans le conflit au Moyen-Orient à trois niveaux :
1/ Beyrouth devient un refuge pour les dirigeants du Hamas expulsés. Le Hamas a initialement soutenu le soulèvement syrien, c’est pourquoi ses dirigeants basés à Damas avaient dû quitter le pays. La plupart sont allés au Qatar ou à Istanbul. La position du Hamas a également tendu les relations avec le Hezbollah et Téhéran. Il y a eu un changement récent dans la structure de direction de l’organisation : Yahya al-Sinwar, un partisan de «l’Axe de la Résistance» dirigé par l’Iran, est arrivé au sommet de l’organisation.
Un indice de la présence du Hamas au Liban est l’explosion dans un dépôt d’armes présumé dans le camp de réfugiés de Burj al-Shemali près de Tyr, le 12 décembre 2021. La presse israélienne avait, semble-t-il, anticipé l’événement dès le 3 décembre : « Le Hamas a secrètement établi une filiale libanaise, cette filiale est basée à Tyr». Le récent rapprochement turco-israélien met également la pression sur le Hamas. Ankara aurait expulsé dix militants du Hamas et deux autres dirigeants se sont installés à Beyrouth, Ziyad Al-Nakhaleh, chef du Jihad islamique, est également basé à Beyrouth.
2/ La présence du Hamas au Liban : le responsable Hamza Shahin tué dans l’explosion – niée par le Hamas – mais dont la nécrologie publiée précise qu’il est mort durant une «mission djihadiste».
Front uni contre Israël : de Beyrouth, Al-Arouri, l’un des dirigeants du Hamas, a déclaré en mars 2022 que «nous devons toujours tenir compte de ce que Hassan Nasrallah déclare, à savoir que les empiètements israéliens à Jérusalem pourraient conduire à une guerre régionale». Nasrallah a prononcé ce discours en mai 2021, après les affrontements entre Israéliens et Palestiniens à Jérusalem-Est. «Si les lieux saints sont en danger», déclarait Nasrallah, «les supposées frontières n’ont aucune valeur». Les experts israéliens soulignent également la probabilité croissante que les futurs affrontements dans le sud du Liban opposeront Israël aux combattants du Hezbollah, mais également aux recrues du Hamas.
Bien qu’une simili réconciliation ait eu lieu entre le Fatah et le Hamas, toute tentative du Hamas de dominer les camps palestiniens au Liban bouleverserait l’équilibre des forces existant entre les différentes factions. Le Fatah et ses affiliés y restent la force dominante. Cependant, des groupes islamistes gagnent en influence, ce qui pourrait être en partie le fruit de la collaboration avec le Hezbollah. Un média libanais avait attribué au Hamas une attaque à la roquette contre Israël, sans preuve. De telles attaques coïncideraient avec la rhétorique récente du Hamas sur l’extension du conflit au-delà de la bande de Gaza, en se déclarant également «protecteur de Jénine» en incluant Jérusalem et la Cisjordanie ainsi que le front du Liban désormais inclus dans son équation.
3/ l’alignement entre le Hamas et les alliés de l’Iran dans la région a changé : le Liban, l’Irak et, dans une moindre mesure, la Syrie et le Yémen. On doit examiner les derniers attentats terroristes en Israël à travers deux prismes.
- Il peut s’agir d’une vague de terreur limitée mais pas l’indication d’un changement systémique,
- Alternativement d’une approche systémique d’une campagne orchestrée par le Hamas en coordination avec le Djihad islamique et le soutien iranien afin de créer un front uni réunissant les différentes factions qui engagerait une confrontation tous azimuts contre Israël, avec le soutien iranien. En offrant refuge aux responsables du Hamas et en invoquant constamment de manière rhétorique un front uni contre Israël, le Hezbollah rouvre de vieilles blessures au Liban.
La visite du chef du Hamas Ismail Haniyeh à l’été 2020 dans les camps palestiniens au Liban avait suscité l’indignation des Libanais, après ses déclarations dans lesquelles il avait confirmé que les missiles qui toucheraient Tel-Aviv se trouvaient dans la capitale libanaise et seraient lancé à partir d’elle. Haniyeh avait rencontré Hassan Nasrallah, avant de faire des déclarations enflammées qui ont provoqué la colère de l’opinion publique comme «une atteinte à la souveraineté du Liban» et servir l’agenda iranien pour achever son contrôle sur tous les aspects de la gouvernance au Liban
La nouvelle politique du Hezbollah pilotée par l’Iran envers le Hamas, s’explique aussi par la politique étrangère de plus en plus incohérente de l’État libanais face à la montée en puissance militaire du Hezbollah et à ses opérations à l’étranger. Ce qui est particulièrement évident depuis qu’en 2012 le Hezbollah est intervenu dans le conflit syrien. Ce qui a exaspéré les tensions au Liban, dont le gouvernement tentait de maintenir le pays à l’écart du conflit.
L’absorption des groupes d’opposition des États du Golfe par le Hezbollah, qui a déjà établi ses propres médias au Liban et qui y organise à plusieurs reprises des conférences de haut niveau, avait déclenché une crise avec l’Arabie saoudite sur fond d’un profond désaccord sur la manière de gérer l’influence iranienne. Elle n’a pris fin qu’au printemps 2022. Compte tenu de la situation catastrophique du Liban, la politique du Hezbollah envers le Hamas est particulièrement risquée et potentiellement dommageable, rendant le pays encore plus vulnérable. Tout conflit avec Israël pourrait marquer la fin du Liban comme État.
Jérusalem devrait anticiper et contrecarrer ce plan en adoptant une stratégie préventive de division et de neutralisation qui demeure la seule susceptible de lui donner un avantage décisif face à un Iran et ses affidés qui veulent sa destruction. Les derniers conflits (11 jours en 2021) ont démontré qu’après conclusion d’une trêve, les hostilités reprendront à terme même si Tsahal déclare – régulièrement – avoir atteint 90% de ses objectifs. Le concept de guerre préventive est rejeté par la plupart des pays qui se prétendent amis de l’État hébreu car aucun d’eux ne se trouve dans sa situation. De plus la notion de guerre asymétrique et de «réaction disproportionnée» constitue un second motif d’incompréhension. Enfin, Israël ne peut se satisfaire des bonnes intentions de tel ou tel gouvernement prompt à voter sa condamnation à l’Onu ou à l’Unesco. Il doit décider par lui-même, pour lui-même et ses citoyens.