Hassan Rohani inspecte une partie des installations nucléaires de son pays en 2019
Par Jacques BENILLOUCHE – Temps et Contretemps
Joe Biden pourra difficilement s’affranchir de l’héritage que lui a laissé Barack Obama qui, d’une certaine manière, reconnait son échec sur l’Iran alors que Netanyahou avait anticipé la situation : « La vision du Premier ministre israélien de lui-même, en tant que principal défenseur du peuple juif contre la calamité, lui permettait de justifier presque tout ce qui le maintiendrait au pouvoir». Netanyahou avait eu le courage, voire l’inconscience, de défier le président américain face au Congrès au risque de saper les relations bilatérales. Il avait voulu s’adresser directement au peuple américain et à ses représentants en contournant Obama : «On nous dit que la seule alternative à ce mauvais accord est la guerre. Ce n’est tout simplement pas vrai». Les faits lui ont donné raison puisque le retrait, en mai 2017, de l’accord nucléaire n’a pas été suivi d’une guerre.
Pourtant Trump avait aggravé les sanctions contre l’Iran, poussant une partie de la population excédée à prendre le risque de manifester contre ceux qui «dilapidaient les richesses du pays et qui finançaient le terrorisme international» au détriment de l’amélioration des conditions de vie des Iraniens. Il avait ordonné l’assassinat de Qassem Soleimani sans que des représailles aient été lancées et sans que le sang ne coule dans la région. Il avait même envisagé une frappe contre Téhéran lorsque l’ONU avait confirmé que l’Iran avait dépassé sa limite d’uranium enrichi. Parallèlement, les accords d’Abraham ont été signés avec les Émirats arabes unis, le Bahreïn et le Soudan qui ont accepté de normaliser leurs relations avec Israël. Obama n’avait pas mesuré à sa juste mesure l’inquiétude, voire la peur, des pays arabes face à l’Iran.
Joe Biden, sur les conseils de son bras droit Antony Blinken, a l’intention d’entrer à nouveau dans le JCPOA (Joint Comprehensive Plan of Action) en maintenant certes les sanctions. Des rumeurs avaient circulé sur l’imminence d’une frappe conjointe américano-israélienne mais il s’agissait surtout d’un bluff car Trump avait longtemps annoncé son intention de se dégager des points chauds moyen-orientaux en rapatriant ses troupes, sans chercher à créer les conditions d’une nouvelle guerre. De son côté, en signant l’accord, Obama était certain d’éviter une guerre avec l’Iran et de ménager ses troupes au Moyen-Orient même si les Iraniens continuaient de financer les guerres et les milices terroristes. Obama tentera d’influencer Joe Biden pour lever les sanctions en échange de la suspension des programmes nucléaires iraniens développés au cours de ces trois dernières années. Robert Malley, sur qui repose la politique iranienne, est censé poursuivre l’expérience inachevée d’Obama pour trouver un nouvel accord amélioré avec Téhéran.
Joe Biden sait que le Congrès était opposé à l’accord avec l’Iran en 2015. Il sait aussi que l’Iran a le savoir-faire et que le JCPOA avait pour seul but de freiner le programme nucléaire. Netanyahou avait cependant expliqué au Congrès que la partie la plus difficile de la construction d’une bombe n’est pas le savoir-faire théorique, qui est publié dans tous les réseaux sociaux, mais la construction et l’entretien de l’infrastructure industrielle coûteuse et complexe qui soutient la fabrication d’armes nucléaires.
Obama avait cherché à s’opposer à la domination de Téhéran dans la région en créant un certain équilibre entre l’Iran et les États sunnites du Golfe sous l’égide de l’un d’entre eux. Mais l’Arabie saoudite n’a jamais voulu s’affirmer comme une puissance régionale leader du monde sunnite. Par ailleurs, le problème majeur dans la région n’était plus le conflit israélo-palestinien mais la capacité de nuisance des Iraniens qui maintenaient leur objectif de construire une bombe. Obama n’avait surtout pas compris qu’en affaiblissant Israël comme il l’avait fait, il fragilisait la structure d’alliance régionale à travers laquelle les États-Unis maintenaient leur pouvoir.
Il a d’ailleurs exposé dans ses mémoires sa vision du monde sachant qu’il n’était pas «encore prêt à abandonner la possibilité de l’Amérique». Mais il reste un rêveur :«Dans ce monde – de chaînes d’approvisionnement mondiales, de transferts de capitaux instantanés, de médias sociaux, de réseaux terroristes transnationaux, de changements climatiques, de migrations massives et d’une complexité toujours croissante – nous apprendrons à vivre ensemble, à coopérer les uns avec les autres et à reconnaître la dignité de d’autres, ou nous périrons». Obama tenait à son nouveau monde pour transformer l’Amérique et l’accord avec l’Iran entrait dans cette vision du monde. La vie des Israéliens ne valait pas plus que celle des milliers de Syriens morts.
Pour les «faucons» israéliens, la tentative de Biden de sauver l’accord nucléaire ne doit pas réussir. Avec des élections imminentes en Israël et en Iran, les tenants de la ligne dure veulent assurer l’effondrement de l’accord nucléaire. La capacité de fabrication de bombes nucléaires dure depuis si longtemps que ses dangers sont souvent sous-estimés et pourtant, Joe Biden veut sauver l’accord. Le président Hassan Rohani, qualifié de «modéré» a proposé de négocier. Mais aucune des parties, piégées par des décennies d’hostilité, ne veut pas être la première à faire le premier pas.
Les chancelleries se sont lancées dans des activités diplomatiques à l’instar de l’Allemagne et du Qatar qui veulent jouer les intermédiaires. Les États-Unis ont accepté l’invitation de l’UE à se joindre aux négociations avec l’Iran mais le ministère iranien des Affaires étrangères reste fidèle à son exigence de voir toutes les sanctions levées avant le début des pourparlers. En Iran, les candidats extrémistes et les membres du Majlis (parlement) s’opposent à tout type de rapprochement avec l’Amérique à l’instar du principal espoir présidentiel Hossein Dehghan qui a le soutien du Guide suprême Ali Khamenei. Dehghan accuse Biden de mauvaise foi : «Nous voyons toujours les mêmes politiques … que celles de l’équipe Trump : ne pas lever les sanctions oppressives contre le peuple iranien».
Il est à craindre que les extrémistes sapent l’effort de Rohani pour sauver l’accord car ils sont revigorés par l’échec de Trump. En Israël les opposants à l’accord sont majoritaires tandis que Netanyahou s’en sert pour sauver son poste. Le premier ministre avait encouragé Trump à abandonner le pacte et avait courtisé les partis nationalistes juifs. Il sait que sa position n’est pas contestée car l’Iran est considéré comme une menace existentielle. Mais les Démocrates américains veillent. Ils n’ont pas pardonné au dirigeant israélien d’avoir sapé les efforts de paix d’Obama ce qui explique que Joe Biden ait attendu près d’un mois avant d’appeler Netanyahou. Il semble que la Maison Blanche mise sur son échec aux élections.
Les faucons israéliens peuvent compter sur de nombreux partisans à Washington à l’instar du néoconservateur Elliott Abrams qui appelle à une «politique de dissuasion» sans compromis pour maîtriser l’Iran. La nomination de Robert Malley, nouvel envoyé iranien et ardent défenseur de la diplomatie plutôt que de la force, a été violemment repoussée dans certains milieux. On craint également que l’éloignement délibéré de Biden du prince héritier saoudien, Mohammed ben Salmane, proche de Trump et de Netanyahou, soit un autre cadeau dangereux pour l’Iran.
L’attaque à la roquette contre une base de la coalition dans le nord de l’Irak et les frappes de drones houthis contre l’Arabie saoudite depuis le Yémen représentent pour les extrémistes américains et israéliens la preuve que l’Iran et ses milices alliées ne mettront pas fin à leur nuisance régionale et n’honoreront aucun règlement. Les obstacles à un accord proviendraient de la volonté de Washington d’élargir les négociations en incluant la question des missiles balistiques de l’Iran, sa présence militaire en Syrie et le soutien aux milices chiites au Liban. Pour compliquer le débat, la Chine et la Russie exigent à présent d’être consultés.
Il est certain que Joe Biden va changer de stratégie car la politique de pression maximale de Trump n’a pas donné les résultats escomptés, n’a pas atténué les tensions régionales et n’a pas réduit les attaques par procuration. Les sanctions n’ont pas renversé le régime ni atténué sa politique régionale. Il est même certain que l’Iran est plus proche d’une arme nucléaire qu’en 2016. S’estimant soutenu par le Royaume-Uni, l’Allemagne et la France, le président américain veut trouver une solution diplomatique pour sortir de l’impasse. Il pourrait faire preuve de bonne volonté en assouplissant certaines sanctions et en débloquant la demande de prêt de 5 milliards de dollars du FMI au profit de l’Iran pour soutenir la lutte contre le covid. Joe Biden, pressé par le temps, espère pouvoir influer sur les élections israéliennes pour favoriser la défaite de Netanyahou. Il vengerait ainsi son mentor Obama.