« Israël ne veut pas d’une Syrie stable » : l’analyse erronée de The Independent
Simon Plosker
Sam Kiley, rédacteur en chef de la rubrique Affaires internationales du journal The Independent, a une longue expérience de la couverture du Moyen-Orient pour plusieurs médias grand public, dont CNN, Sky News et le Evening Standard de Londres. Bien qu’il se présente comme un expert, son jugement erroné s’est révélé de manière particulièrement célèbre en 2002, lorsque Kiley a invoqué des témoins pour parler de la « brutalité stupéfiante et du meurtre impitoyable » d’Israël à Jénine, alors que les médias accusaient Israël d’un massacre qui n’a jamais eu lieu.
Dans son analyse pour The Independent, Kiley revient sur la chute dramatique du régime Assad et explique notamment ce qui suit : Israël ne veut pas d’une Syrie stable, car l’État juif occupe le plateau du Golan syrien depuis 1967 et en a conquis davantage en 1973. Il ne permettra jamais à Damas de revenir sur les rives orientales de la mer de Galilée.
Israël « ne veut pas d’une Syrie stable ».
Vraiment ?
L’histoire et le bon sens suggèrent le contraire.
- Si le plateau du Golan a été la cible d’attaques à la roquette, notamment celle qui a tué 12 enfants dans la ville druze de Majdal Shams en juillet 2024, cette roquette a été tirée par le Hezbollah depuis le Liban. La frontière entre Israël et la Syrie est en fait l’une des plus calmes depuis de nombreuses décennies, les incidents de sécurité étant rares et peu nombreux, ce qui a bénéficié à Israël.
- Au lendemain de la guerre du Kippour de 1973, Israël et la Syrie ont signé l’accord de désengagement de 1974, qui constitue jusqu’à présent l’accord le plus long et le plus réussi qu’Israël ait jamais conclu avec un pays arabe. Le fait qu’Israël ait réagi à la fin du régime d’Assad en déployant des forces dans la zone tampon pour sécuriser temporairement la zone du Golan syrien où l’armée syrienne s’est réfugiée témoigne de la stabilité que cet accord a apportée pendant près de cinq décennies.
- En ce qui concerne Bachar el-Assad, les dirigeants israéliens préfèrent peut-être un mal connu. Assad était certes un dictateur méprisable, mais c’était un acteur connu et relativement prévisible dont l’intérêt principal ces dernières années était la survie de son régime. Avec le départ d’Assad, Israël est confronté au chaos en Syrie et à une possible prise de contrôle par des groupes djihadistes hostiles. Alors que le chef rebelle islamiste Abu Mohammed al-Jolani a tenté de se présenter lui-même et ses forces comme des modérés, les images d’un porte-parole rebelle entouré d’hommes armés déclarant : « D’ici à Jérusalem. Nous venons pour Jérusalem. Patience, peuple de Gaza, patience », illustrent les dangers potentiels que représentent les nouveaux dirigeants syriens. Israël ne tire certainement aucun avantage de l’instabilité en Syrie.
Mais peut-être que l’interprétation de Kiley repose sur ses propres préjugés concernant l’État juif. Il souligne qu’Israël a conquis une plus grande partie du plateau du Golan en 1973. Ce qu’il ne dit pas, c’est que, dans le cadre de l’accord de désengagement susmentionné, Israël a restitué tout ce territoire supplémentaire – une vérité gênante qui ne cadre pas avec le portrait que Kiley dresse d’Israël comme un colonisateur agressif.
Il y a une raison pour laquelle Israël a annexé le plateau du Golan, et ce n’est pas l’accaparement des terres que suggère Kiley. Avant 1967, le plateau stratégique situé à 2.600 mètres au-dessus d’Israël permettait à la Syrie de dominer les communautés les plus septentrionales d’Israël. Les tirs d’artillerie syriens ont régulièrement touché le nord d’Israël et des hostilités intermittentes ont éclaté, les deux camps faisant des incursions sur le territoire de l’autre. Les forces syriennes ont régulièrement attaqué les agriculteurs israéliens. Entre 1950 et 1967, environ 370 Israéliens ont été touchés par des tirs syriens, et 121 ont été tués.
Après la conquête du territoire lors de la guerre des Six Jours, l’avantage de la hauteur et la position stratégique du plateau du Golan ont fait que le territoire ne pouvait plus être utilisé pour tirer sur le nord d’Israël. C’est pourquoi il existe une opposition quasi unanime à la cession de ce territoire à la Syrie, qu’elle soit dirigée par un dictateur comme Bachar al-Assad ou par des djihadistes qui pourraient potentiellement permettre à des groupes extrémistes de construire des infrastructures terroristes à la frontière d’Israël, de la même manière que le Hamas et le Hezbollah l’ont fait à Gaza et au Liban respectivement.
En fin de compte, l’analyse de Sam Kiley est à la fois erronée et biaisée. Pour un rédacteur en chef de la rubrique Affaires internationales, Kiley semble avoir une vision floue des affaires internationales.
JForum.fr avec HonestReporting
Simon Plosker
Fort de plus de deux décennies d’expérience dans diverses organisations non gouvernementales au Royaume-Uni et en Israël, Simon Plosker est revenu chez HonestReporting en octobre 2022 en tant que directeur éditorial après avoir fait partie de l’équipe de direction de l’organisation de 2005 à 2020. Il a immigré en Israël en 2001 depuis Londres.