Des mères se mobilisent contre les crimes qui frappent la communauté arabe d’Israël.
Israël: dans les localités arabes, la violence a fait 100 morts depuis le début de l’année.
Une ambiance d’insécurité totale. Les attaques, le plus souvent à l’arme automatique, sont perpétrées souvent en plein jour, sans que la police n’intervienne. Les responsables de la communauté arabe israélienne, environ 2 millions de personnes, tirent la sonnette d’alarme et exigent plus d’efficacité de la police pour rétablir l’ordre dans leurs localités. Une commission interministérielle devrait débattre ce dimanche 3 octobre d’un énième plan pour contrer la violence au sein de la société arabe israélienne.
Il s’appelait Mehran Mugrabi, un père de famille de 42 ans. Il a été abattu à coups de pistolet à Haïfa, après avoir été renversé par une voiture. Cela s’est passé à quelques dizaines de mètres seulement de la station de police dans la ville basse.
Il est la centième victime au sein de la communauté arabe israélienne depuis le début de l’année. Règlements de compte entre familles rivales, trafic de drogue ou d’armes, mais aussi assassinats pour préserver l’honneur de la famille, la violence est de mise dans les rues des localités arabes israéliennes.
Nombreuses armes automatiques en circulation
Les élus arabes israéliens accusent la police de laisser faire ces actes de violence sans réagir. Depuis longtemps, ils exigent la saisie des nombreuses armes automatiques qui circulent dans les villages arabes. Certains demandent même que le Shin Bet, le service de sécurité intérieure aux méthodes musclées, prenne la relève de la police.
C’est une véritable plaie, a reconnu le Premier ministre israélien Naftali Bennett, qui promet d’agir. Une promesse qui avait déjà été faite par plusieurs des gouvernements précédents.
Leurs enfants ont été assassinés par de puissantes bandes criminelles. Un mouvement de femmes brise la loi du silence imposée par les mafias à la minorité d’origine palestinienne, ignorée par la police.
On l’appelle le Triangle et c’est la région bordant la frontière de la Ligne verte avec la Cisjordanie, un paysage de collines sans végétation où s’étendent des bidonvilles dans des villes comme Tayibe qui abritent une grande partie de la minorité arabe israélienne, soit 20 % de la population du pays. Les descendants de Palestiniens restés dans l’Etat juif après sa fondation en 1948 n’ont obtenu le droit de vote que huit ans plus tard et ont été soumis à la loi martiale jusqu’en 1966. « Nous sommes toujours citoyens de seconde zone, nous n’avons pas les mêmes droits que la majorité juive », explique Maisam Jaljuli, 49 ans, directrice de l’organisation féministe Na’amat, d’obédience travailliste, pour le Triangle du sud et cofondatrice de Mothers for Life.
« 60 % des arabes en Israël vivent au-dessous du salaire minimum de 5.300 shekels (1.400 euros – NDLR mieux qu’en France). L’échec scolaire touche la moitié des élèves, qui à 14 ans sont dans la rue sans études ni travail… On recense plus de 50.000 bâtiments sans permis en attente de démolition… », expose cette sociologue de formation dans son bureau de Tayibe à propos des racines de la discrimination de la principale minorité israélienne. « Emploi, éducation, logement et violence interne, ce sont nos principales préoccupations », prévient-elle, « mais surtout la violence issue du crime organisé arabe est particulièrement visible. »
En 2020, 96 personnes ont été tuées dans la communauté arabe, un chiffre sans précédent ces derniers temps, et on compte plus du double de morts violentes parmi la majorité juive (plus des trois quarts de la population). La spirale de la criminalité s’est aggravée au cours des deux dernières années, frappant des femmes, des enfants, voire des passants ordinaires pris dans une fusillade. En date du 26 septembre, 92 autres victimes arabes des gangs sont mortes en 2021.
La routine du crime
L’une d’elles est Layt Nasra, un mécanicien de 19 ans, abattu il y a six mois par deux hommes masqués alors qu’il assistait à la fête d’anniversaire d’un voisin, dans la maison voisine de celle de sa famille dans la ville de Qalansawe, également dans la région du Triangle. Un autre jeune homme a été tué et quatre autres ont été blessés dans la fusillade. Sa mère, Zahya Nasra, 54 ans, a immédiatement appelé la police, mais n’a pas encore reçu de réponse à sa demande de poursuite et d’arrestation des responsables. Depuis lors, elle est vêtue de noir.
« Je me suis réveillée à l’aube à cause du bruit. Ça ressemblait à des explosions de pétards pour une fête. Quand je suis arrivée chez les voisins, le corps de mon fils était allongé sur un canapé », raconte-t-elle, dans un filet de voix, après avoir offert du café, des pâtisseries, des figues et des raisins aux visiteurs. Mère de cinq fils et de trois filles, elle fond en larmes lorsqu’elle est photographiée avec une image du plus jeune de la famille : « Je le porte tous les jours dans ma mémoire. »
Leurs voisins avaient déjà été menacés par un gang, sans que la police n’intervienne pour les protéger. Les soupçons sur l’identité des auteurs ont été ignorés par les agents, qui ont classé le meurtre de Layt comme dommage collatéral d’une sorte de vendetta. « Si j’avais été juif, l’affaire serait déjà résolue. Toutes les mères arabes ont peur pour leurs enfants, n’importe qui peut être la prochaine victime. » Face à la loi du silence qui règne dans le Triangle, Zahya Nasra s’élève contre la routine du crime.
La police n’a résolu que 21 % des meurtres dans la communauté arabe, contre 50 % des cas au sein de la population juive, selon une information officielle citée par le quotidien Haaretz. Le ministre de la Sécurité publique lui-même (responsable de la police), le travailliste Omer Bar-Lev, a reconnu que de nombreuses familles arabes avaient pris les armes pour se défendre contre les gangs. « C’est une preuve évidente que les forces de sécurité ont échoué dans leur mission la plus fondamentale : protéger les citoyens », a affirmé le journal progressiste israélien au début du mois dans un éditorial.
La violence ne cesse pas. Lundi de la semaine dernière, un autre jeune Arabe est mort suite à une fusillade lors d’un mariage à Tayibe et le lendemain, un autre Arabe a été retrouvé mort, frappé de balles, dans la région du Néguev, dans le sud du pays. Depuis le 23 septembre, trois autres membres de la communauté ont été tués.
Les raisons de cette délinquance
L’organisation Mothers for Life a vu le jour en 2020 dans le sillage d’une vague de meurtres. Des familles de victimes de la violence et des groupes de militants arabes ont organisé une marche de Haïfa, dans le nord du pays, à Jérusalem pour exiger des mesures urgentes des autorités israéliennes contre le boum de la criminalité. Des milliers de Juifs ont rejoint la marche à Tel Aviv. « La société en a marre. Les gens ont perdu confiance en l’Etat et se méfient de la police », explique Maisam Jaljuli. La marginalisation, la misère et la violence ont engendré au sein de la population arabe israélienne un sentiment d’abandon de la part de l’Etat d’Israël, première puissance économique et sécuritaire du Moyen-Orient, qu’ils accusent d’avoir ignoré un cinquième de ses citoyens.
Avec l’incorporation dans la coalition arrivée au pouvoir en juin dernier d’un parti arabe, le Ra’am islamiste, pour la première fois dans l’histoire d’Israël, le nouveau gouvernement a promis à la communauté d’origine arabe un plan d’investissement de 30 milliards de shekels (8 milliards d’euros) sur cinq ans, dont un budget de 1 milliard de shekels devant être consacré à la lutte contre la criminalité. En outre, une force de police spéciale contre la criminalité a été créée dans ce cadre en août. L’officier arabe supérieur qui la dirige, Jamal Akrush, a déjà été menacé par des gangs. Sa maison a été visée par des tirs par balle il y a une semaine.
Parmi les autres facteurs qui expliquent la montée de ce type de délinquance, on distingue le vécu de la transformation économique, avec l’émergence d’une classe moyenne d’employés qualifiés et de commerçants. Ces secteurs moins traditionnels ont rompu avec la coutume de soumettre les différends aux cheikhs des clans patriarcaux, pour les régler au travers d’une sulha (pacte ou arrangement de réconciliation). Les gangs offrent maintenant ces services au plus offrant. « La discrimination sévit également dans le système bancaire israélien », souligne la directrice de l’organisation Na’amat à Tayibe, « qui hésite à financer les citoyens arabes en leur octroyant des prêts. De cette façon, les familles sont obligées de se tourner vers des prêteurs liés à des organisations criminelles. »
En parallèle, l’éradication au cours des deux dernières décennies des mafias juives qui ont imposé leur loi dans les villes de la côte, après une opération policière de plusieurs années avec le soutien d’agents de la Shin Bet (sécurité intérieure), a détourné une partie de l’activité criminelle vers les populations arabes. Les « soldats » des gangs ont déjà infiltré le tissu économique pour contrôler les concessions des services publics municipaux, dans le sillage de la Cosa Nostra sicilienne, tout en exerçant l’activité florissante de collecte de « taxes de protection » auprès des commerçants et entrepreneurs.
Une telle hégémonie est également due à des relations secrètes avec le pouvoir. Une émission d’enquête de la chaîne de télévision israélienne Channel 12 a révélé le témoignage de policiers qui reprochaient au Shin Bet d’offrir l’immunité à certains criminels acceptant de devenir des informateurs et de rendre compte des activités nationalistes au sein de la communauté. Pendant ce temps, les forces de sécurité se sont limitées à suivre les crimes, même si neuf fusillades sur dix se produisent dans des zones habitées par la principale minorité du pays.
JFORUM – RFI – LE SOIR