Un rapport du gouvernement israélien accuse l’Union européenne de financer des ONG qui promeuvent le boycott d’Israël. La nouvelle touche directement le porte-monnaie des contribuables européens, mais ceux-ci peuvent difficilement se sentir concernés : pour le moment, la presse n’en parle pas.
Le rapport émane du ministère israélien des Affaires stratégiques, dirigé par le ministre Gilad Erdan.
Il fait suite à un premier rapport publié en mai 2018 dans lequel Gilad Erdan faisait déjà les mêmes constats à propos de l’exercice 2016 et demandait à Federica Mogherini, la ministre des Affaires de l’UE, de cesser de financer ces organisations. A l’époque, l’UE avait assuré qu’aucun financement de l’Union européenne n’était utilisé pour promouvoir le boycott d’Israël, auquel elle affirmait officiellement être opposée.
Mais le ministère israélien a approfondi son enquête. Il accuse aujourd’hui l’UE d’avoir, durant la période 2017-2018, transféré plus de 5 millions d’euros à des organisations promouvant des boycotts contre l’Etat d’Israël. Le rapport étudie dix organisations : pour chacune, il énumère des actions de promotion de boycott menées contre Israël, puis détaille des financements octroyés à l’organisation par l’UE, en s’appuyant notamment sur les données du « Financial Transparency System » de la Commission européenne.
Le rapport ajoute que la Cour des comptes européennes (ECA), qui contrôle la gestion financière de l’Union européenne et de ses institutions, a elle-même identifié des problèmes significatifs dans la capacité de l’UE à s’assurer du suivi des fonds transférés aux organisations qui reçoivent des aides européennes, soulignant notamment un manque de transparence sur la manière dont ces fonds étaient distribués ou dépensés (lire le communiqué et le rapport en français de l’ECA).
Gilad Erdan demande donc à Federica Mogherini « d’en finir avec la dualité de la politique de l’UE qui, d’un côté, s’oppose officiellement aux boycotts contre l’Etat d’Israël, et de l’autre, soutient des organisations pro-boycott » et de « cesser immédiatement de financer des organisations qui promeuvent des boycotts contre l’Etat d’Israël ».
Première réaction de l’UE
Sur Twitter, la délégation de l’UE en Israël a rapidement répondu, estimant que les allégations israéliennes étaient infondées et inacceptables, réitérant le rejet par l’UE des appels au boycott d’Israël et affirmant ne pas financer d’actions liées à des activités de boycott.
Une fois ces principes affirmés, la délégation ne nie pas qu’il puisse arriver à l’UE de financer, non pas directement des actions de boycott, mais des organisations ou des individus ayant, eux, des liens avec le mouvement BDS qui prône le boycott. Elle explique comment elle s’accommode de cette possibilité.
« Simplement parce qu’une organisation ou un individu a un lien avec le mouvement BDS ne signifie pas que cette entité est impliquée dans l’incitation à commettre des actes illégaux, ni qu’elle se rend inéligible à des financements de l’UE ».
L’UE n’est-elle pas au courant que l’argent est fongible ? Si, après avoir dans un premier temps reçu une somme de l’EU, un individu « lié au BDS » transfère ensuite les fonds vers des activités de boycott, le premier bailleur de fonds peut-il se laver les mains de l’utilisation finale des moyens qu’il a octroyés ?
Autre défense de l’UE : se réfugier derrière la « liberté d’expression » :
« L’UE protège fermement la liberté d’expression, qui s’applique aussi aux informations ou idées « qui offensent, choquent ou dérangent l’Etat ou tout secteur de la population ». Toute action qui a pour effet de fermer l’espace des organisations de la société civile devrait être évitée ».
C’est le droit de l’UE de protéger ceux dont les idées offensent, choquent ou dérangent Israël. Mais les actions du mouvement BDS vont bien au-delà de ces simples désagréments : les appels à la destruction de l’Etat d’Israël sont monnaie courante parmi ses fondateurs et ses supporters et font partie intégrante des objectifs du mouvement. La question est de savoir jusqu’où va la liberté d’expression : des appels à éradiquer un pays en font-ils partie ?
Dans la presse francophone, aucune couverture
Cette divergence entre Israël et l’Union européenne devrait intéresser le public français, puisque c’est en partie de sa poche que viennent les contributions mises en causes.
Pourtant, en français l’information reste pour l’instant confinée à des médias israéliens ou destinés principalement à la communauté juive (I24News, Times of Israel).
L’agence américaine Associated Press (AP) a émis une brève le jour de la sortie du rapport, reprise dans le Washington Post.
En Europe, l’agence de presse espagnole EFE a aussi couvert le sujet, reprise par le journal La Vanguardia.
Et c’est à peu près tout. L’AFP et les grands titres de la presse francophone européenne n’ont, pour le moment du moins, pas suivi.
Il se peut que la couverture vienne, comme lors de l’édition précédente du rapport israélien en mai dernier, lorsque la cheffe de la diplomatie européenne donnera sa réponse. Elle avait mis deux mois pour envoyer un courrier dans lequel elle demandait au ministre israélien de fournir des « preuves » des allégations « vagues et sans fondements » et c’est à ce moment-là que quelques médias, comme Le Monde, avaient enfin rapporté l’affaire. En procédant ainsi, le public n’a pris connaissance des accusations israéliennes qu’à travers le prisme des dénégations européennes.
Mais les contribuables français et belges doivent être capables de réfléchir eux-mêmes. N’ont-ils pas intérêt à disposer, dès leur parution, des informations leur permettant de questionner l’usage qui est fait de leurs deniers ?