par le Docteur Eran Lermann,
JISS Institut Jérusalémite d’Etudes Stratégiques et de Sécurité
Les médias occidentaux considèrent que Téhéran et Israël sont d’irréductibles ennemis. Cela rappelle la rhétorique de la guerre froide où Soviétiques et Américains étaient ostensiblement en rivalité géopolitique profonde. Toutefois, l’hostilité entre Israël et l’Iran n’est ni ancienne ni inévitable. Les deux puissances régionales se livrent, « naturellement » une certaine concurrence, d’autant plus que le retrait américain de la région laisse un vide stratégique. Cette situation ne peut pas, à elle seule, expliquer pourquoi la destruction de l’État d’Israël est devenue hyper prioritaire pour la Révolution islamique.
Ce n’était pas le cas du régime précédent du Shah d’Iran. À l’avènement du régime des mollahs, outre l’opposition idéologique, un passif financier est devenu un problème juridique inextricable et par conséquent demeure toujours ouvert. Israël possède une sorte de « site commémoratif » de l’ancienne amitié et coopération entre les deux pays. En effet, l’oléoduc entre Ashkelon et Eilat avait été construit, à l’origine, pour acheminer le pétrole iranien vers la mer Méditerranée, puis vers l’Europe.
Jusqu’à la Révolution islamique et l’arrivée au pouvoir de Khomeini, l’Iran et Israël étaient des partenaires stratégiques. Dans les années cinquante du siècle dernier, Israël était membre de l’alliance « Trident », formée de la Turquie kémaliste et de l’Empire éthiopien, qui s’était donné pour but de contrer le panarabisme du président égyptien Gamal Abdel Nasser. De plus, les Israéliens avaient été impliqués dans de nombreux projets en Iran, dans le secteur de la sécurité et de l’agriculture.
La colère contre Israël et l’Amérique, car supporteurs détestés du Shah, pourrait expliquer l’hostilité du régime iranien, mais ce n’est certainement pas suffisant. Les injustices réelles ou supposées du Shah envers le peuple iranien ne suffisent toujours pas à expliquer l’intensité et la durée de l’hostilité envers Jérusalem. Des facteurs plus puissants, enracinés dans l’identité politique centrale de la révolution iranienne, jouent ici un rôle prépondérant. Cette identité politique, dont les Gardiens de la Révolution sont des représentants les plus extrémistes.
Après tout, le régime révolutionnaire iranien aurait pu exploiter l’affaire « Iran-Contras1 » sous Donald Reagan, afin de normaliser ses relations avec Israël. Les ayatollahs ont choisi une solution différente. Ils ont intensifié la propagande et l’hostilité contre Jérusalem. En 2014, le président iranien Ahmadinejad, « le champion » du négationnisme avait, dans un tweet venimeux, proposé un plan en neuf points, sur le pourquoi et le comment éliminer Israël.
La géopolitique, au sens traditionnel du terme, crée inévitablement une concurrence, et parfois des rivalités, entre puissances régionales, mais dans ce cas, elle ne justifie pas une position aussi extrême, qui n’a pas d’équivalent aujourd’hui dans l’attitude d’un État membre de l’ONU à nier le droit d’exister d’un autre État membre de la même ONU. Cela ne justifie pas non plus l’énorme investissement de l’Iran dans le renforcement de la capacité du Hezbollah pour une éventuelle guerre contre Israël, ou l’armement et la formation d’éléments terroristes du Hamas et du Jihad islamique. Cette rivalité régionale, ne justifie en aucun cas les efforts iraniens pour transformer la Syrie d’Assad en une base supplémentaire pour les opérations contre Israël.
Aujourd’hui Téhéran, par la mise en œuvre d’un « anneau du feu » (encerclement d’Israël par les « proxi » de l’Iran), compte dissuader Israël de mener une action armée contre le projet nucléaire militaire iranien. Par ailleurs, si l’Iran n’avait pas menacé directement Israël de « l’effacer de la carte du monde », c qui devenait donc pour Israël une menace existentielle, ce dernier n’aurait pas mis ses moyens techniques, ni dans les systèmes de défense, ni probablement dans des moyens offensifs, en vue d’une attaque préventive. Alors, quelle est l’origine, quasi obsessionnelle, de la haine d’Israël et le slogan « Marag Bar Israël » (mort à Israël) -?
Il n’y a pas de conflit territorial entre Israël et l’Iran, ni de rivalité économique (sauf, peut être, la question non résolue de l’indemnisation pour l’oléoduc, devant un tribunal suisse). Israël ne constitue pas une entrave pour la demande légitime de l’Iran d’être reconnu internationalement, comme un acteur majeur de la région. Et c’est bien l’Iran qui refuse toute négociation directe ou non avec Israël. Fondamentalement, il s’agit d’une stratégie du régime iranien, où les buts de la politique externe se confondent, d’une part, avec l’identité nationale iranienne et d’autre part, avec interprétation des principes de la foi chiite. Le tout incarné par le véritable chef du pays l’ayatollah Khamenaï.
Il est important de rappeler l’origine du schisme entre les sunnites (littéralement, respectant la « tradition ») et les chiites (« factieux »). C’est la succession de Mohamed qui a allumé la guerre. Les chiites sont restés fidèles à Ali, le gendre du Prophète et ses descendants directs Hassan et Hussein, défaits en l’année 680 de l’ère chrétienne par les sunnites omeyyades à Kerbala. Cette défaite, catastrophique pour les chiites, était devenue constitutive du chiisme, car pour les chiites c’était une victoire de l’injustice et des traîtres à l’Islam. Depuis lors, pour les chiites, le déroulement de l’histoire est erroné. Les iraniens appartiennent à un courant du chiisme dont le dogme enseigne l’attente du Mahdi, le sauveur qui remettra le « déroulement de l’Histoire dans le bon sens ». L’ayatollah Khomeini, l’inspirateur de la révolution islamique a, en fait, réinterprété le dogme d’attente patiente de la venue de Mahdi. Pour Khomeiny, il faut préparer par la violence la venue du Mahdi, d’où ses appels incessants pour le djihad contre « les infidèles ».
Lors de son exil en France, Khomeini a été influencé par la pensée de Franz Fanon et d’autres, qui ont présenté la lutte marxiste anticoloniale et anti-occidentale du tiers-monde comme une revanche de « tous les damnés de la terre ». D’où l’inclusion, par Khomeini, de la détresse séculaire des chiites dans la lutte révolutionnaire des années soixante-dix, afin de corriger la terrible injustice faite aux chiites au 7ᵉ siècle.
La révolution islamique en Iran s’est produite la même année où une avancée historique au Moyen-Orient a marqué un changement stratégique dans la région. Le 26 mars 1979, Israël et l’Égypte ont signé la paix. Quelques semaines plus tard, l’ayatollah Khomeini retournait triomphalement en Iran. Cette coïncidence a créé un autre raidissement de l’Iran envers Israël, aggravé par la paix entre Israël et la Jordanie, une décennie plus tard. Pour l’Iran, ces régimes sunnites lâches et traîtres ont déposé leurs armes face à « l’entité sioniste ». Ce n’est pas un hasard si le régime iranien a choisi de donner à une rue principale de Téhéran le nom de Khaled al-Islambuli, l’assassin du président Sadate.
Dans la vision du régime iranien, le devoir du « vrai » islam, à savoir, la version chiite de l’islamisme révolutionnaire, est de prouver sa valeur et sa validité morale en mettant la destruction d’Israël comme un but suprême de l’islam. À cette fin, les Iraniens se rapprochent et même financent des organisations sunnites radicales comme le Hamas et le Jihad islamique palestinien. En même temps, la politique de l’iran n’est pas toujours lisible, car les iraniens considèrent l’État islamique comme un ennemi existentiel et de plus Daech, à part sont refus idéologique d’Israël, ne s’est pas illustré dans des actions militaires contre Israël, contrairement au Hamas et au Djihad islamique.
En tout cas, même s’il est engagé sur de nombreux autres fronts, le régime des ayatollahs place la destruction d’Israël en tant que son devoir historique. L’Iran se considère comme un pays « commandant suprême », afin de mener la « oumma » (la communauté de l’islam) vers la destruction d’Israël en particulier et du sionisme en général. Cependant, l’Iran entretient des liens complexes avec les Émirats Arabes Unis. Tout en condamnant sévèrement la normalisation entre EAU et Israël, l’Iran entretient des relations complexes avec les Émirats avec lesquels, il continue d’entretenir des liens commerciaux et diplomatiques.
L’attitude du régime des ayatollahs à l’égard d’Israël légitime la position de l’Iran, non seulement parmi les chiites, mais dans l’ensemble du monde sunnite. Après tout, depuis quarante ans, la révolution islamique a échoué dans tous les domaines qui concernent le bien-être du peuple iranien. En 1979 l’Iran était trois fois plus riche que la Turquie. Aujourd’hui le pays est quatre fois plus pauvre qu’elle. La corruption, la drogue et la prostitution sont des maux endémiques de la société iranienne. Des problèmes d’eau potable, récurrents dans les campagnes et provinces reculées, deviennent fréquents, aujourd’hui, dans les grandes villes. La répression brutale de toute opposition est devenue routinière. Comme toujours, pour détourner la colère du peuple des incuries intérieures, les ayatollahs désignent Israël et les « sionistes » comme les principaux responsables de la plupart des maux du pays. Il n’est pas du tout sûr, que cette politique gagne la sympathie du grand public, qui lui, désapprouve les dépenses énormes en Syrie, au Liban et au Yémen.
L’existence même d’Israël en tant qu’État-nation moderne, démocratique et occidental dans son essence, incarne l’ordre mondial post 1945, qui est vu par les dirigeants iraniens comme représentant « d’hégémonie », d’« arrogance impérialiste » (comprenez les États-Unis). La guerre contre « le grand Satan » à Washington est la même que contre « le petit Satan à Tel-Aviv » (pour les musulmans Jérusalem ne peut pas être la capitale de « l’entité sioniste »).
A l’époque, Ahmadinejad avait même exprimé des condoléances à ses hôtes allemands, pour leur défaite dans la 2e guerre mondiale. Selon lui, c’était le mauvais camp qui avait remporté cette guerre. Dans ce contexte, la volonté d’exterminer Israël s’inscrit dans une conception globale de vouloir corriger les « injustices » historiques, à la fois celle de 661 (assassinat d’Ali), celle de 680 (mort de ses fils à Karbala), mais aussi celles de 1945 (victoire des Alliés sur l’Allemagne nazie) et 1948 (création de l’État d’Israël). Malgré une relative tolérance envers la communauté juive (vingt mille personnes), la haine « classique » des Juifs et le négationnisme imprègnent le discours officiel iranien.
Il est évident que de tels motifs historiques, utilisés de façon anachronique, exacerbent la victimisation des musulmans, toutes obédiences confondues. Dans ce contexte, il sera très difficile de changer la politique du régime iranien par la diplomatie. À moins qu’elle ne soit appuyée par une force militaire dissuasive et efficace.
Édouard Gris, MABATIM.INFO
Traduction et adaptation
1 Trafic, par des hauts officiers américains, d’armes israéliennes vers l’Iran sous embargo, qui lui, payait les États-Unis, et tout cela en sous main, afin de financer les Contras, opposants au régime communiste du Nicaragua
Les Iraniens ont leur propre vision eschatologique de la fin des temps, avec la venue de leur mahdi.
On peut compter sur eux pour ne rien changer dans leur « programme… » jusqu’au-boutiste.