Paru dans Kountrass n° 208, éloul 5777.Extraits de l’interview exclusive du Grand rabbin de France, ‘Hayim Korsia, en veille de la nouvelle année.
[…] L’un des éléments surprenants est le fait que la plus importante communauté juive d’Europe n’a pas de dayan : quand s’était posée la question de l’avenir à donner aux cimetières algériens, c’est vous qui avez déclaré qu’en l’absence de haute personnalité locale, il fallait se diriger vers le dayan Erenthreu de Londres…
Il y a des dayanim en France, dans les Bathé Dinim officiels, tels qu’à Paris, Marseille, Lyon, et Strasbourg.
Mais il est vrai que dès mon élection, j’ai demandé à ce que le Beth Din de Paris se dote d’un Av Beth Din, une personnalité qui puisse, aux côtés du Grand rabbin Gugenheim, comprendre les besoins et les attentes de la communauté, un ‘hakham capable de décrypter les enjeux à venir, autrement dit de savoir descendre vers le peuple pour résoudre les problèmes qui se posent.
Pour ma chééla au dayan Erenthreu, c’était parce que la position du Beth Din de Paris avait été affaiblie par la lettre du dayan Yirmiyahou Kohen qui revenait sur son psak. Le Consistoire et le Grand rabbin Gugenheim sont à la recherche de cet homme.
[…] Pour l’heure, l’un de nos soucis est aussi celui de la terrible et générale profanation des tombes juives dans la région parisienne en particulier…
Elle ne concerne pas les gens d’avant la Shoah, qui sont respectés. Mais il est vrai que quand les personnes n’accèdent aux concessions que pour une courte période, le risque est très grand que les restes funéraires soient plus tard exhumés. C’est même contractuel, car si les gens pensent, comme le judaïsme, repos éternel, la loi d’une concession trentenaire dit de « trente ans », et celle d’une concession pour dix ans, c’est pour dix ans, et perpétuel, c’est pour 99 ans. De ce fait, nombreux sont ceux qui préfèrent effectuer des enterrements en Israël. Mais, honnêtement, si la place coûte 80.000 shékels, auquel il faut ajouter les frais de déplacement et du transport du cercueil, est-ce raisonnable ? Et le tout, dans une étrange opacité. On peut se poser la question du bien-fondé d’une telle situation…
Mais au contraire, Monsieur le Grand rabbin, vous pouvez, de par votre haute position, vous diriger vers l’establishment politique israélien et protester contre ce que le cartel a mis en place – car c’est de cela qu’il s’agit – des ‘hévroth kadichoth locales : si, d’un côté, les autochtones que nous sommes ont droit à une tombe gratuite, payée par le Bitoua’h leoumi, d’un autre, quand des gens viennent se faire enterrer en Terre sainte, tout est permis à leur égard !
Mais n’oublions pas que quand ces mêmes israéliens refusent une tombe, comme, par exemple, parce qu’elle n’est pas à même la terre, mais en étage, ils doivent eux aussi payer des prix de cet ordre !
Je ne m’immisce pas dans les domaines d’action du rabbinat israélien.
Lequel lève les bras devant ce cartel. Et, au contraire, une autorité telle que vous, venue de l’étranger, peut poser les bonnes questions à qui de droit…
Je suis davantage favorable à une négociation qui ne brusque pas les choses et qui aboutit toujours à un mieux. C’est comme cela que j’ai notamment œuvré s’agissant d’examens le Chabbath et les jours de fête. Le 7 décembre 2016, le ministre de l’Enseignement supérieur a signé un arrêté récusant le zéro éliminatoire (en dépit d’une note globale positive, l’élève ratait automatiquement ses examens à cause de ce zéro, qui symbolisait une absence à un examen). Désormais, chacun peut faire le choix de ne pas aller à une épreuve et faire des efforts sur les autres. Nous sommes parvenus à obtenir gain de cause face aux autorités concernées, grâce à l’instauration d’un climat d’écoute et à un dialogue constructif.
La méthode de « Tamouth nafchi ‘im Plichtim » (Choftim/Juges 16,30), « que mon âme meure avec les Philistins », n’est pas très bien acceptée en France… ni ailleurs dans le monde.
Mais une réflexion sur ce qui peut être fait, provenant de votre part, pourrait avoir grand effet sur les dirigeants du pays et sur ses hommes politiques – et sachez bien que des députés tels que le rav Gafni ou le rav Maklev sont très à l’écoute dans ce domaine.
Mais vous dites : le problème des exhumations administratives ne concernent pas les gens d’avant la Shoah. Pourtant, par exemple, l’un des cas qui est, en fait, à l’origine de notre prise de conscience de l’énormité du problème, n’était autre que celui du couple Tedesco, ces remarquables notables parisiens du milieu du 19e siècle, dont les restes funéraires ont été pris de leur tombe à Montparnasse pour être déposés dans l’ossuaire mixte du Père Lachaise ! Eux, et nombre de leurs descendants. C’est donc bien que les autorités municipales effectuent ce genre de reprises administratives face aux tombes anciennes également.
Justement, c’est ce cas, dont je me suis occupé – et ce bien avant mon élection – avec le Grand rabbin Claude Maman, qui a abouti à une véritable prise de conscience de la mairie de Paris.
Mais les gens font l’immense erreur de ne prendre que des concessions funéraires pour trente ans, plus, ou moins. Si l’on ne peut que déplorer une telle situation, la question ne se pose pas moins pour autant de savoir ce que font les autorités communautaires pour informer les gens de l’aberration d’une telle conduite ? Est-ce juste à Kountrass d’en parler ? Quand a-t-on vu le Consistoire se fendre d’un avis à la population à cet égard ? Quel rabbin, quelle compagnie de pompes funèbres, refusent-ils de procéder à des funérailles quand la tombe n’est pas prise de manière perpétuelle ?
Du reste, à propos des concessions perpétuelles, les renseignements fournis sont les suivants : « Une concession perpétuelle peut être conservée aussi longtemps que la famille le souhaite, à condition, toutefois, d’entretenir la sépulture et de pouvoir faire la preuve de la parenté avec le premier acheteur. Si ces conditions ne sont pas respectées, le cimetière peut reprendre possession de la concession. » Autrement dit, tout est fait pour qu’à terme, la municipalité puisse récupérer la place et en rejeter l’occupant… N’est-ce pas terrible pour nous ?
Les proches doivent parfois faire face à des arbitrages financiers, il est vrai. Si nous les déplorons, il est du devoir de tout rabbin d’accompagner les familles dans le deuil. Pour autant, comme nous le disions précédemment, c’est aux familles des défunts de s’engager pour honorer la mémoire de leurs ancêtres de prendre à leur charge l’entretien des tombes. Cela se fait d’ailleurs dans la plupart des cas en étroite collaboration avec les pouvoirs publics.
A cet égard, je voudrais rappeler le travail fondamental entrepris par le Quai d’Orsay et le Consistoire, en particulier le Président Joël Mergui, Jack-Yves Bohbot, Serge Benhaim et le Grand rabbin Maman, pour préserver les tombes dans les cimetières d’Algérie. Serge Benhaim s’est notamment rendu plusieurs fois en Algérie ; il m’a montré des photos des tombes de mes ancêtres. Quant au Grand rabbin Maman, il répond toujours aux demandes des familles avec la plus grande attention et beaucoup de précision. Leur travail est l’honneur du judaïsme français.
Un événement exceptionnel s’est passé voici un an : le Gadol de la génération, rav Steinmann, que l’Eternel lui accorde longue vie et bonne santé, s’est adressé directement au président de la France, M. Hollande alors, pour lui demander que la France continue à assurer la conservation des cimetières en Algérie, sans « regroupements » ou autres interventions. Où cela en est-il ?
Ma réponse est claire : sur les 50.000 et quelques tombes, il n’en est resté qu’un petit nombre en danger, et nous allons mettre des barrières autour d’elles pour assurer leur pleine protection.
Le public concerné regrette d’ailleurs que le recensement des tombes algériennes ne soit pas accessible à tous…
Ces informations seront prochainement disponibles sur le site internet du Consistoire. Cela avait d’ailleurs déjà été évoqué lors d’un conseil du Consistoire, et ces photos devraient bientôt être accessibles.
Revenons aux vivants : le Consistoire voit de nombreuses communautés juives indépendantes s’ouvrir, en particulier dans la région parisienne. Pourquoi est-ce ainsi ?
Il s’agit de groupes de personnes, qui trouvent en cela un côté plus souple, plus fluide, que ce qu’elles peuvent trouver dans l’enceinte du Consistoire. Mais ces mêmes personnes, quand elles s’apprêtent à célébrer un mariage, ou, que D’ nous l’épargne, organiser un enterrement, se tournent vers le Consistoire… Nous assumons la responsabilité de l’ensemble du Judaïsme français, même si certains préfèrent une vie synagogale indépendante.
Si nous regrettons parfois que ces personnes n’adhèrent complètement à la vie consistoriale, il est de notre devoir de représenter tous les Juifs de France dans notre action quotidienne.
Sans vouloir là aborder la question plus générale de la cacherouth, demandons tout de même pourquoi le Consistoire ne pourrait-il pas aussi placer à la tête de cette facette de la vie juive une personnalité de renommée internationale, ce qui serait un service à rendre à l’ensemble de la communauté, et servirait fort bien aussi l’état des caisses du Consistoire ?
Evidemment, là est la question. Et il nous faut trouver la personne qui accepterait telle charge.
Et le rav Ocher Westheim de Manchester ? Il est reconnu de tous… Et il est francophone.
J’en prends bonne note.
Je me dois de dire tout de même qu’un travail colossal est effectué en relation étroite avec les organismes de cacherouth d’Israël, s’agissant tout particulièrement de bien-être animal par exemple. Sur ce point, notre apport est fondamental, car nous sommes la communauté la plus importante d’Europe.
Nous avons su anticiper sur les recommandations gouvernementales, et nous sollicitons un véritable engagement de chacun, pour respecter les règles en vigueur.
Que dites-vous, en tant que Grand rabbin de France, aux Juifs qui veulent partir en Erets Israël ? Et à ceux qui en reviennent…
Ma conception des choses est que la ‘Alya est un choix personnel, magnifique, dès lors qu’il exprime une double fidélité comme se plaisait à dire le regretté Grand rabbin Kaplan. Une ‘Alya reposant en revanche sur la fuite et la peur me semble plus problématique, ne serait-ce du fait des difficultés d’intégration qu’il ne nous est pas possible de mettre de côté.
Je suis engagé à poser des ponts entre les deux mondes, comme par exemple à Yad Vachem, site duquel le français a disparu, car je perçois, entre les deux Nations, une véritable convergence intellectuelle.
Le mot final, à l’approche des Grandes Fêtes ?
J’utiliserai une expression du rav Kook. Un vœu extraordinaire : sur le verset (Vayikra/Lévitique 26,10) « Et vous devrez enlever l’ancienne pour faire place à la nouvelle [moisson] », que l’ancien se renouvelle, et que le nouveau se sanctifie. Cela me semble être le vœu qui s’impose : soyons capable de faire du neuf, et que ce neuf vise à la sanctification, c’est-à-dire des retrouvailles entre la foi de D’ et les espérances des hommes. •
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