Il y a 90 ans : le massacre des Juifs de ’Hévron

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Lors des émeutes d’août 1929, des arabes locaux massacrèrent 67 Juifs à ‘Hévron, en blessèrent 60 autres et obligèrent les survivants à fuir la ville. Alors que certains sont revenus au début des années 1930, les autorités du Mandat britannique ont évacué les Juifs restants de ‘Hévron en 1936.

Des nombreux prêches et sermons du vendredi incitent aujourd’hui encore, à la télévision officielle palestinienne, à la haine des Juifs et se font l’écho de la motivation et du rôle qu’ont les musulmans dans le processus d’anéantissement des Juifs partout dans le monde[1].

La nouvelle stratégie mise en œuvre par l’Autorité palestinienne consiste à écarter tout lien religieux à Jérusalem et ses alentours avec le judaïsme, par l’adoption des résolutions au sein des institutions de l’ONU comme à l’UNESCO, et cela même s’ils sont en contradiction avec le texte sacré du Coran.

Ces incitations et manifestations anti-juives ne sont pas des œuvres récentes. Le mois d’août 1929 peut être rappelé comme une Intifada ensanglantée où les tensions judéo-arabes à Jérusalem atteignent leur apogée, grâce à toujours la même formule : les Juifs veulent porter atteinte à la mosquée Al Aqsa, une rumeur bien rodée, à l’exemple de tous les appels aux manifestations anti-juives. Ces événements, entamés à Jérusalem, se propagent à toutes les villes et villages autour de Jérusalem et de ’Hévron, et se soldent par des dizaines de morts et des centaines des blessés. Pourtant, la résolution 181 n’existait pas encore, ni l’État d’Israël, ni l’Autorité palestinienne, ni des réfugiés ni même l’inspiration à une notion d’identité palestinienne n’existaient encore. Toutefois, nous allons comprendre que ce conflit ancien ne trouve pas sa source dans une contradiction territoriale ou politique, il ressemble plus à un conflit d’inspiration religieuse où on instrumentalise la religion pour atteinte des objectifs politiques. La religion devient catalyseur de rassemblement de la population.

Afin de comprendre la progression des événements, nous allons considérer la date du 10 août 1922 comme un tournant politique au Moyen-Orient, date à laquelle le Conseil de la Société des Nations entérine les accords de San Remo qui confient officiellement à la Grande-Bretagne le mandat sur la Palestine. Le gouvernement britannique publie alors The Palestine Order in Council, texte qui constitue le fondement des engagements politiques de la Grande Bretagne et des règles juridiques selon lesquelles fonctionnera l’administration mandataire en Palestine. Bien qu’en introduction ce texte fasse référence à la Déclaration Balfour, il n’apporte aucune garantie concernant l’établissement d’un Foyer national juif en Eretz Israël. Toutefois, nous pouvons croire à la bonne intention de l’administration britannique voulant respecter une certaine équité avec la communauté juive et ses leaders afin de calmer le mécontentement des Juifs envers la décision britannique de fonder la Trans-jordanie et l’Irak la même année, comme promis au roi Hussein Shérif de la Mecque.

L’article 13 du mandat stipule que le mandataire sera responsable de la sauvegarde des droits acquis sur les Lieux Saints et de la gestion des affaires religieuses en Palestine. L’esplanade du Mur du Kotel (des Lamentations), principal lieu de prières pour les Juifs, est, pour les Musulmans, à cette époque, la propriété du Waqf[2] qui gère le quartier maghrébin. L’exigence juive d’un libre accès au Mur se solde par un refus de la part des Musulmans. En rejetant le texte mandataire, les Arabes escomptent l’annulation de la Déclaration Balfour, ils attendent que les Britanniques leur confèrent l’autonomie et établissent un gouvernement national arabe indépendant en Palestine.

Durant la période ottomane, les Juifs sont autorisés à prier près du Kotel (Mur des Lamentations). Au fil des années, un statu quo plutôt souple s’établit. Bien qu’officiellement l’accès au Mur soit réglementé, en pratique, le bakchich permet aux Juifs d’accéder au Mur sans trop des restrictions, ils placent un Aron pour les livres de la Tora, des bancs et même sonnent le chofar. En novembre 1911, l’Assemblée administrative de Jérusalem (Maglasse Al-Adara) établit que les Juifs ne disposent d’aucun droit de propriété, ni sur le Mur, ni sur l’esplanade, mais seulement d’un droit de visite pour prier. Il leur est interdit, dès lors, d’apporter un quelconque objet : ni chaises, ni paravent, ni chandeliers, ni rouleaux de la Tora. Rien qui puisse leurs donner un sentiment de propriété sur le site.

Au cours de l’administration britannique, l’exigence juive d’un libre accès au Mur suscite une opposition catégorique de la part des Musulmans. Après les incidents de Kippour 1925, lorsque Ronald Storrs[3] demande aux responsables du Waqf pourquoi cette obstination à refuser aux Juifs l’installation de sièges sur l’esplanade, ils lui répondent : « Aujourd’hui ils installent des chaises, demain ils installeront des bancs en bois, ensuite ils les changeront en bancs métalliques, qui deviendront après demain des bancs en pierre. Ils monteront un toit pour se protéger du soleil et des murs contre le froid – subitement les Musulmans trouveront sur leurs terres des maisons dont ils ne voulaient pas. » Voici tout le conflit sur Israël note Ronald Storrs dans son journal. Ronald Storrs, qui comprend la manipulation arabe, propose au Waqf d’installer lui-même des bancs devant le Mur, ainsi, matérialiser sa propriété sur le lieu.

Après un incident concernant la pose d’un paravent par les Juifs le jour de Kippour le 24 septembre 1928, le Waqf explique à Edward Keith-Roach[4], que comme la séparation entre hommes et femmes se pratique à la synagogue, les Musulmans craignent que la pose du paravent n’ait pour but d’affecter à l’espace du Mur le statut d’une synagogue, premier pas pour s’emparer du Waqf.

Keith-Roach considère la pose du paravent qu’il n’a pourtant jamais vu précédemment, comme une violation du statu quo. Sous la pression des cheikhs arabes qui l’invitent le matin même au Mah’khama[5], il exige que les Juifs enlèvent le paravent afin de ne pas contrarier les Arabes. Malgré la promesse du bedeau juif de l’ôter après le jeûne, l’officier de police Douglas Duff, accompagné d’une dizaine de policiers, débarque sur l’esplanade et détruit le paravent. Malgré la résistance de quelques femmes et de quelques vieux, à l’exception de quelques égratignures – personne n’a été touché, écrit-il dans ses mémoires. Duff est condamné pour cette action musclée et disproportionnée, mais reste en poste. Des mécontentements se font entendre et les tensions montent encore d’un cran. De leur côté, le Mufti Hajj Amin El-Husseini et le Conseil Supérieur Islamique incitent à exploiter la « provocation juive » afin d’intensifier la lutte contre les Juifs et le sionisme. L’affaire du Mur leur permet de conférer à leur conflit avec le sionisme une dimension religieuse, ainsi mobiliser les couches populaires arabes des villes et villages, insensibles aux slogans nationaux laïques.

Plus tard, dans ses conclusions, la Commission d’enquête Peel commente : « En Palestine, comme ailleurs dans le monde musulman, le nationalisme plus qu’un mouvement politique était un mouvement religieux. Toutefois, si un appel à la sensibilité religieuse contribue à proclamer, que l’immigration des Juifs ne signifie pas seulement le développement de leur force économique et politique, mais aussi, la volonté de rétablir le judaïsme ancien, d’avoir mainmise sur les Lieux saints en les profanant et de reconstruire le temple sur son lieu d’origine, alors nul ne doute plus que la haine arabe deviendra plus fanatique et plus désespérée qu’elle ne le fut jamais».

C’est dans cette perspective que le Conseil Supérieur Islamique entame une large campagne de propagande auprès des Arabes d’Israël et du monde islamique pour la sauvegarde de la mosquée Al-Aqsa et les droits des Musulmans sur le Kotel (Mur Occidental, dit des Lamentations), qu’ils appellent Al-Bourak[6]. Lorsqu’Archer Cust, haut fonctionnaire de l’administration mandataire, témoigne devant la commission du Mur[7], il affirme que les Arabes soulèvent pour la première fois, durant la Première Guerre mondiale la sacralité du Mur aux yeux de l’Islam.

Selon Archer Cust, cette revendication et les actions menées par le Mufti dans l’affaire du Mur, sont de nature politique et répondent à deux objectifs[8] : molester les Juifs et mobiliser le plus largement possible l’opinion publique arabe pour soutenir la lutte nationaliste. Au congrès musulman, organisé à l’instigation du Mufti à Jérusalem, le 1er novembre 1928, auquel prennent part des représentants de la Palestine mandataire, de la Syrie, du Liban et de la Transjordanie, une commission est constituée pour la défense du Bourak sacré et des Lieux saints de l’Islam. Elle initie aussitôt un mouvement de protestation arabe contre l’intention juive.

Compte tenu de ces développements, le gouvernement britannique se trouve contraint d’annoncer sa position. Le 19 novembre 1928, Amery[9] fait une déclaration ayant force d’un Livre Blanc. Le document relate les faits essentiels du désaccord et l’interprétation du gouvernement sur le statu quo. En réalité, le gouvernement accepte la revendication arabe parce qu’il considère que le status-quo doit être conservé en l’état, selon le droit fixé par les Ottomans. Le gouvernement décide que, selon les termes du mandat, il a obligation d’agir ainsi sans contraindre les propriétaires de l’esplanade d’accorder à la communauté juive des droits supplémentaires. Néanmoins, le gouvernement reconnaît le droit d’accès aux Juifs pour prier et son obligation d’assurer ces droits. Les Juifs ne pourront se munir que des accessoires de culte permis par les Ottomans.

En raison de l’ambiguïté des termes employés, ce texte ne fait que renforcer les difficultés. Primo, les Britanniques ne précisent pas les accessoires que les Juifs peuvent apporter au Mur selon les coutumes en usage au temps des Ottomans, secundo, comme le statu quo est qualifié dans des termes très généraux, toute la question est d’appréhender le sens des termes “permitted, allowed” utilisé dans ce texte : doit-on comprendre, des accessoires que les Ottomans ont autorisés officiellement, ou ceux habituellement utilisés selon un usage que les Turcs acceptaient. Selon la formule arabe, légalement, les Musulmans sont les propriétaires des lieux ; les Juifs n’y ont aucun droit, ils ne sont pas autorisés à y placer un quelconque accessoire. Les Juifs de leur côté maintiennent que les termes permitted, allowed, en réfèrent à la coutume d’utilisation ottomane, qu’elle résulte d’un droit officiel ou de l’usage.

Les Musulmans expriment leur mécontentement face à l’attitude des Britanniques qu’ils estiment pro-sioniste. Afin de proclamer encore leur propriété sur le Mur des Lamentations et d’accentuer la pression sur le gouvernement britannique pour le contraindre à accepter leurs revendications, les Musulmans entament une série de provocations au Mur pour agacer et importuner les Juifs pendant la prière. Ils vont jusqu’à ouvrir un passage en prolongement du Mur occidental. L’espace qui avait l’aspect d’une cour fermée, se réduit alors à celui d’une ruelle avec l’ouverture du passage. Par ce nouvel acte, les Musulmans sont certains non seulement d’importuner les Juifs, mais aussi, de pouvoir les accuser de perturber un passage public en plaçant des bancs et des sièges. On constate ainsi que les Musulmans utilisent dès qu’ils peuvent, aussi bien la sensibilité religieuse que le droit public. Les Juifs considèrent alors que ces actes constituent un danger pour le maintien de l’ordre et une violation du statu quo, ils exigent que les autorités interviennent et les arrêtent immédiatement. L’intensification du différend et les tensions conduisent à une intervention gouvernementale sans délai, même si le Colonial Office est hésitant.

Sir John Robert Chancellor, remplace Herbert Charles Plumer au poste de Haut-commissaire en Palestine. Il prend ses fonctions début décembre 1928 et se trouve très vite au centre du différend judéo-musulman sur la question du Mur. Les Juifs réitèrent leur demande du respect du statu quo, comme au temps des Ottomans et de l’application des termes de l’article 13 du mandat. Chancellor adopte, alors, une position claire dans le conflit et décide que les termes permitted, allowed, qualifiant le statu quo, ils font référence aux règles appliquées officiellement par les Ottomans et non à celles qui étaient officieusement en usage.[10]

Bien que Londres ne lui donne aucune autorisation pour faire une telle déclaration publique, Chancellor ne cache pas aux Arabes ses opinions dans cette affaire[11]. Il va jusqu’à demander aux Grands rabbins d’apporter des preuves sur les coutumes et les accessoires que les autorités ottomanes leur permettaient de laisser sur l’esplanade[12]. La réponse tarde à arriver. Chancellor conclut devant le Mufti, que les Juifs n’apportent pas de preuves pour alléguer leurs revendications et que les réclamations arabes sont donc licites. Présenter l’affaire de cette façon n’a pu que convaincre les dirigeants arabes du soutien de Chancellor. Cette prise de position de Chancellor, démontre une partialité bien curieuse : ni lui, ni les Britanniques ne demandent aux Musulmans d’apporter les preuves sur lesquelles ils fondent leur propriété sur le Mur. Pourtant, selon Archer Cust, les Musulmans ne revendiquent la sacralité du Mur que depuis la Première Guerre. On pourrait conclure, naïvement peut être, qu’une revendication constitue en l’espèce un acte de propriété.

Les Musulmans ne désarment pas, ils veulent gagner encore du terrain dans leur action nationaliste. Manifester leur refus face aux demandes juives et britanniques, leur permet d’obtenir des concessions face à leurs exigences, ainsi que le soutien des couches populaires arabes et celui de Londres, comme dans le passé. Leur réaction s’avère être une position anti-sioniste récurrente, qui a pour objectif de soustraire tout droit aux Juifs en Israël et de pondérer le mandat fondé sur la Déclaration Balfour et la promesse britannique de participer à l’établissement du Foyer juif. En outre, les Arabes exigent l’établissement d’un gouvernement national arabe représentatif en Palestine.

La réponse britannique tarde à venir non parce que le ministère des Colonies soutient les revendications juives, mais essentiellement, par peur que la signification donnée par Chancellor au statu quo, n’ait aussi des conséquences sur les positions des chrétiens vis-à-vis des Lieux saints. Leurs droits s’exercent comme pour les Juifs, selon le statu quo et non selon des textes légaux. C’est pourquoi le gouvernement britannique préfère, après une analyse de la question, abandonner le terme « statu quo » et revenir aux termes de droits existants (existing rights) de l’article 13 du texte mandataire. Cet article a été étendu, non seulement aux droits d’autorité légale (statutory authority), mais aussi aux droits prescriptibles reconnus comme d’usage selon des coutumes qui n’ont pas été contestées jadis (prescriptive rights). Après les élections de juin 1929, remportées par les travaillistes, un nouveau gouvernement est constitué avec à sa tête James Ramsay MacDonald qui nomme au ministère des Colonies, Sidney J. Webb Passfield. La réponse à l’interprétation du statu quo est bloquée à nouveau à Londres, pour finalement être adressée, fin juin, à Harry Luke, remplaçant du Haut-commissaire.

Le Conseil Supérieur Musulman ainsi que le Mufti traduisent l’hésitation de Londres comme un résultat de la pression sioniste. Ils concluent qu’il faut intensifier les pressions sur Londres pour l’obliger à publier des recommandations officielles sur le statu quo selon leurs exigences et les légaliser dans l’esprit d’un Livre Blanc. Pour cela, ils intensifient les travaux de construction dans la zone de l’esplanade du Mur ainsi que leurs actions de provocation contre les sionistes, à qui ils prêtent l’intention de porter atteinte aux Lieux saints de l’Islam.

La contre-réaction juive ne tarde pas à se manifester. Des Conseils pour la défense du Mur sont institués un peu partout dans les villes, afin de rendre publiques les contrevérités arabes sur les intentions juives et d’appeler l’opinion publique mondiale à se mobiliser contre l’atteinte des droits juifs sur le Mur, perpétrée par les Britanniques et les Arabes. Les Conseils, avec à leur tête des personnalités de renom comme le journaliste Itamar Ben Avi (fils d’Eliezer Ben Yehouda) incitent même au soulèvement contre les institutions sionistes qui préconisent la modération et s’abstiennent de réagir avec force pour la défense des droits juifs sur le Mur. « Si nous optons pour le silence ou le soutien à la diplomatie de nos dirigeants sionistes, nous perdrons alors la dernière survivance de notre édifice national le plus cher – le Kotel (Mur Occidental, dit Mur des Lamentations) », écrit I. Ben Avi dans son journal Doar Hayom, le 12 août 1929 (Elyada 2006).

Cette réaction juive à la provocation arabe sert plutôt les objectifs du Mufti et du Conseil Supérieur Musulman, qui cherchent à mobiliser les Arabes dans leur lutte contre les sionistes en lui conférant une justification religieuse. La réaction juive légitime l’appel lancé aux fidèles musulmans pour protéger leurs Lieux Saints contre les sionistes. L’effervescence sur la question du Mur s’intensifie dans les deux camps mais elle n’inquiète pas plus les autorités britanniques.

Cependant, mi-août 1929, les tensions judéo-arabes à Jérusalem atteignent leur apogée. Une rumeur se propage au sein de la communauté juive laissant croire que les Britanniques interdisent momentanément la prière au Mur. Des réunions et des manifestations de protestation sont organisées la veille du 9 av[13] (14 août 1929) par les Conseils juifs pour le Mur et les révisionnistes, elles se soldent par une marche vers le Mur le soir même et le 15 août. Le lendemain, le 16, les autorités autorisent une manifestation arabe au Mur. A la fin de la prière à la mosquée Al Aqsa, la foule envahit le Mur, détruit les accessoires de culte juif, brûle des livres de prière et frappe des fidèles juifs qui priaient. En laissant faire les manifestants, Charles Luke, qui a remplacé le Haut-commissaire Chancellor, manifeste un manque total de maîtrise et de responsabilité face aux événements qui engendrent les vagues de violences tragiques du 23 août 1929.

Le samedi 17 août, la tension monte encore d’un cran, lorsqu’Avraham Mizrahi, un jeune juif de 17 ans, pénètre dans la cour d’une maison arabe près de Lifta, pour récupérer un ballon. Il est, alors, gravement poignardé et décède trois jours plus tard. A la suite de cet incident, des Juifs blessent un passant arabe dans le même quartier. La police fixe une série d’interdictions pour le déroulement de l’enterrement du jeune juif, mais l’enterrement se transforme en manifestation. La police intervient, charge les participants, 28 personnes sont blessées. Luke, réalisant sans doute la gravité de la situation et le risque de dégradation, tente, le lendemain vendredi 23, d’apaiser la tension selon les conseils de l’avocat Shalom Horovitz. Luke invite chez lui des représentants juifs et arabes afin de formuler un appel commun au calme entre les deux communautés, une sorte de cessez-le-feu. Cette initiative est vaine, les deux parties n’arrivent pas à un accord. Une nouvelle rencontre est fixée au lundi 26. Elle n’a jamais eu lieu en raison des événements qui dégénèrent le lendemain, vendredi 23 août 1929.

Le signal du déclenchement des hostilités est donné à Jérusalem ce vendredi vers 11 h, après la prière à la mosquée Al Aqsa. Dès le début de la matinée, une foule, munie de gourdins et de couteaux, venue de plusieurs villages des environs de Jérusalem gagne la mosquée. Un discours nationaliste sur l’esplanade des mosquées explique à la foule que les croyants de l’Islam devront se battre contre les Juifs jusqu’à leur dernière goutte de sang. [14] Le Mufti, de son coté, appelle à garder le calme. Vers 11 h, depuis le Mont du Temple, une vingtaine de coups de feu est entendue. La foule fait irruption dans la Vieille Ville et attaque les passants juifs. Elle envahit et attaque les quartiers juifs de la nouvelle ville, laissant 8 morts et 15 blessés juifs sur son chemin. Côté arabe, on dénombre 5 morts et 9 blessés.

La police britannique, qui compte pour tout le territoire, 1500 éléments, majoritairement d’origine arabe, et seulement 175 Britanniques, se trouve vite dépassée par les événements. Les policiers ne peuvent intervenir pour arrêter les assaillants. S’ils tirent sur la foule, ils devront vite faire face à la vengeance et affronter la foule excitée. C’est pourquoi les autorités optent pour que les policiers s’abstiennent d’intervenir tant que les Juifs sont attaqués. Les Juifs, de leur côté, se trouvent sans défense, la Hagana n’est encore qu’une sorte de confédération mal organisée, même les demandes réitérées de Isaac Ben-Tsvi pour distribuer des armes à la population restent vaines.

A ‘Hévron, vivent près de 20 000 personnes, en majorité des Arabes musulmans et environ 800 Juifs selon l’Agence juive. La majorité des Juifs vivent en location dans des maisons arabes, souvent construites à cet effet. Une autre partie, vit au cœur de la ville dans une sorte de ghetto rattaché à la yechiva. Selon des témoignages, les relations entre les deux communautés sont généralement correctes, bien qu’une certaine tension demeure depuis la montée du nationalisme arabe et le développement du projet sioniste. Pourtant, jusqu’à la mi-journée de ce vendredi 23 août, le calme règne à ‘Hévron, selon le rapport du chef de la police Raymond Kapareta qui a pris ses fonctions au début du mois d’août. Vers quinze heures, les premiers manifestants revenus de Jérusalem font circuler la rumeur que les Juifs tuent des Arabes à Jérusalem. Bien que le chef de la police nie l’information et incite les Juifs à s’enfermer chez eux, quelques Arabes se rassemblent près de la Yechiva de ‘Hévron et la bombardent de pierres. A ce moment, la Yeshiva est occupée par le bedeau et un élève, Shmouel Halevi Rozenholtz, 24 ans. Blessé par une pierre lancée par la fenêtre, il veut s’échapper et tombe nez à nez avec les assaillants qui le poignardent.

Le lendemain, le 24 août au matin, des Arabes de ‘Hévron et des alentours, armés de couteaux, haches, gourdins et sabres prennent la route de Jérusalem. En passant devant le quartier juif ils pénètrent dans les maisons et massacrent hommes, femmes et enfants, comme le décrit, Y. L. Grodzinski[15], un touriste arrivé de Pologne trois jours avant les événements. Le déchaînement arabe s’accompagne d’actes d’atrocités : égorgements, mutilations, viols. Le boulanger est brûlé vif, les maisons sont pillées et incendiées ainsi que les synagogues. Le massacre s’arrête vers 10 h 30 et se solde par 67 morts et des dizaines de blessés. Le Consulat américain fait état de 9 morts arabes, probablement tués par le chef de la police Raymond Kapareta et ses 18 policiers dépassés par les événements. Néanmoins, une majorité des Juifs de ‘Hévron est sauvée par 28 familles arabes.[16] On dénombre 435 noms des Juifs sauvés dans des listes se trouvant dans les archives sionistes.

Le déchaînement arabe et les massacres se propagent à tout le territoire. A Safed, les massacres sont décrits avec la même intensité qu’à ‘Hévron. Les événements qui se sont prolongés jusqu’au 29 août se soldent par 133 morts et 339 blessés côté juif et 116 morts et 232 blessés côté arabe. [17] Environ 700 Arabes sont portés devant la justice pour actes de violence et pillage, 124 sont inculpés pour meurtre, 55 d’entre eux sont condamnés dont 25 à la peine de mort. 160 Juifs sont aussi inculpés, 70 d’entre eux pour meurtre, deux sont condamnés à la peine capitale transformée en prison perpétuelle[18]. Trente ans après, Ben Gourion écrira « que pouvait faire un officier britannique seul dans une ville comme ‘Hévron? » Ce qui était vrai pour ‘Hévron était vrai pour tout le territoire, l’inefficacité de l’autorité mandataire dans son attitude contradictoire envers les différentes communautés en Palestine faisait l’objet d’une critique permanente.

Le 29 août 1929, dernier jour des hostilités, alors qu’il retourne en Palestine, le Haut-commissaire Chancellor fait un communiqué le 1er septembre, dans lequel il décrit les atrocités et condamne les Arabes sévèrement pour la brutalité de leurs actes. De plus, il décide de suspendre les pourparlers avec le ministère des Colonies au sujet de la création d’institutions représentatives arabes en Israël. Cette condamnation des Arabes est atténuée trois jours plus tard, face à la protestation et à la colère arabe. Dans son nouveau communiqué, Chancellor promet qu’aussi bien Juifs et Arabes devront répondre de leurs crimes devant la justice.

Le 13 septembre 1929, la Commission d’enquête [19] dite Commission Shaw est nommée. Sa mission est d’enquêter sur les raisons directes qui ont mené au déclenchement des derniers événements d’août 1929 en Palestine et d’apporter des recommandations afin d’éviter la répétition de tels agissements à l’avenir. La commission ne devait s’attacher qu’aux causes des événements et s’abstenir de proposer des changements relatifs à la structure de l’administration britannique en Palestine. La précipitation dont font preuve les Britanniques dans la nomination de la Commission ne témoigne pas d’une réelle volonté du gouvernement de trouver les responsables des troubles et à les condamner. Elle reflète plutôt la crainte que la S.D.N. ne propose de nommer une commission internationale, initiative que refuse le gouvernement britannique.

Nommer rapidement une commission britannique protège le gouvernement de constatations et des conclusions peu favorables à sont égard. Déjà très critiquée pour son manque d’anticipation, sa faiblesse, son mépris et sa partialité, leur objectif premier est d’ôter toute responsabilité à l’administration mandataire. Les Arabes considèrent la nomination de la commission comme une nouvelle victoire, la violence leur permet une fois encore de faire admettre leurs exigences. Les Arabes comme les Juifs ne donnent pas leur accord sur la mission de la commission à enquêter et sur les causes qui ont mené aux troubles. Pour les Arabes, établir leur responsabilité dans les troubles mènerait les Britanniques à prendre des mesures pour les empêcher d’agir à l’avenir. Pour les Juifs, chercher les causes des ces événements amènera, peut-être, la commission à la conclusion que ce sont les termes faisant référence au foyer juif et à la Déclaration Balfour du texte mandataire qui sont responsables de la peur arabe.

Le 24 octobre 1929, la commission arrive en Palestine pour y séjourner jusqu’au 29 décembre. Devant la commission, les représentants de la direction sioniste désignent conjointement l’administration britannique avec Luke à sa tête ainsi que les Arabes comme responsables du déclenchement des troubles. En menant une politique contradictoire envers le « foyer juif » et en cédant aux Arabes, les Britanniques, de fait ou par omission, ont permis au Mufti et aux extrémistes arabes d’inciter la foule à des actes de violence contre les Juifs. Devant la commission, les Britanniques évoquent leurs difficultés face au caractère même du mandat. Selon eux, la conduite des sionistes, leurs déclarations provocatrices ont principalement poussé les Arabes à des actes de violence. Les Arabes de leur côté soutiennent que les événements sont le résultat naturel d’un mécontentement général : la crainte de l’immigration juive et de l’activisme Juif pour l’établissement de leur foyer national en Israël.

En rendant son rapport, la commission Shaw conclut que ce sont bien les Arabes qui ont commencé les hostilités, en revanche, elle atténue la responsabilité du Mufti et du Comité exécutif arabe. La seule critique évoquée à leur encontre est que, dans la semaine qui a précédé les événements et durant ces événements, ils n’ont pas fait le nécessaire pour contraindre leurs fidèles à respecter l’ordre et la loi. Henry Snell, un des membres de la commission exprime sa réserve sur ce point. Dans les milieux gouvernementaux, à Jérusalem et à Londres, on savait qu’en écartant la responsabilité du Mufti, la commission s’écartait de la vérité. O.G.R. Williams, fonctionnaire du Colonial Office, écrit : « Je peux dire que selon notre propre opinion au sein du bureau, le Mufti et quelques-uns parmi ses partisans sont les réels responsables des quelques tristes événements survenus en Israël (Palestine mandataire), ce sont les informations, les renseignements en notre possession depuis le début des événements, qui nous permettent de confirmer cette estimation. » Chancellor, avoue plus tard que Snell, en marquant son désaccord avec la décision de la commission, avait mieux évalué que les autres membres de la commission la part de la participation du Mufti aux événements. Il paraît clair que les autorités de Londres préfèrent dissimuler, pour des raisons politiques, ces renseignements, et vont jusqu’à encourager la commission de ne charger ni le Mufti ni son entourage, car le gouvernement ne possède pas de preuves certaines de leur participation active aux événements.

Afin de prévenir de nouveaux troubles, la Commission Shaw préconise une augmentation des forces de la police et de l’armée ainsi que du service de renseignements. Dans l’intérêt de la paix et d’une bonne administration du territoire, il est indispensable de résoudre le conflit sur la question du Mur, c’est pourquoi le gouvernement doit nommer une commission spéciale à cet effet. La commission affirme que lorsqu’on examine les causes du déclenchement des hostilités d’août 1929, on ne peut pas ne pas prendre en considération les griefs politiques et économiques des Arabes, il faut cependant approfondir les recherches pour remonter aux sources même des problèmes. C’est pourquoi la commission a trouvé bon d’examiner les questions d’immigration, d’achat des terres par les Juifs et l’état de droit en Palestine.

Cependant, la commission distingue les causes profondes du déclenchement des troubles et les causes immédiates. Les causes profondes sont la haine et de la rancune des Arabes contre les Juifs, conséquences de leurs aspirations nationales et politiques constamment rejetées et de leur crainte pour leur avenir économique. Les causes immédiates sont une longue série d’incidents, consécutifs aux désaccords sur la question du Mur, à des articles provocateurs sans retenue publiés dans des journaux juifs et arabes (pour atténuer l’iniquité, la commission note que les journaux causant le plus de dégâts sont arabes). Une propagande habile manipulant les plus défavorisés, le renforcement de l’Agence juive, la faiblesse et le manquement des forces de l’ordre, le manque de confiance de la population face à une politique ambiguë des autorités aggravent les tensions.

La commission préconise encore que le gouvernement de sa Majesté prenne clairement position quant à sa politique et ses intentions en Palestine, principalement en ce qui concerne l’immigration juive, le droit aux terres des communautés non juives. Subtilement, la commission se détourne de ses prérogatives, elle propose d’apporter des modifications à quelques articles du texte du mandat bien qu’elle n’ait pas compétence à émettre des opinions quant au texte. Pourtant elle le fait en des termes plutôt vagues. On comprend alors pourquoi Snell n’a pas suivi l’avis des autres membres de la commission et propose que le gouvernement de Sa Majesté mette un accent tout particulier sur ses responsabilités internationales, la mise en œuvre de son engagement mandataire en Palestine conformément aux résolutions entérinées par la Société des Nations. La commission recommande que le gouvernement définisse plus clairement l’article 4 du mandat (qui fait référence à la position, au rôle de l’Organisation sioniste et de l’Agence Juive) et qu’il assure la population arabe que les termes de cet article ne confèrent à aucun des deux organismes une quelconque participation au pouvoir local en Palestine. La commission incite, aussi, le gouvernement à enquêter sur les potentialités agricoles afin de limiter le transfert de terres. Elle préconise encore une limitation de l’immigration juive afin d’éviter une crise économique comparable à celle 1926, cependant, le gouvernement doit tenir compte, sur ce point, des intérêts de toutes les communautés.

Le rapport de la commission Shaw rend perplexe le gouvernement britannique. Le Premier ministre, Ramsay Macdonald estime pour sa part, que le rapport Shaw est un peu trop pro-arabe, il craint une réaction de colère de la part des Juifs qui pourraient trouver un soutien auprès de l’opposition parlementaire et conduire à mettre en difficulté son gouvernement déjà affaibli. D’autre part, le gouvernement ne peut pas trop incriminer les Arabes car à cette époque, l’opinion publique britannique soutient la cause arabe. Le Premier ministre se trouve contraint d’équilibrer les propos de la commission. Le 3 avril 1930, il assure aux Juifs que son gouvernement s’attache à respecter les termes du mandat, selon l’engagement pris. En contrepartie, pour calmer les Arabes, il donne un autre sens à la déclaration Balfour : il déclare que ce document engage doublement le gouvernement : vis-à-vis des Juifs et vis-à-vis des autres communautés en Palestine. Il s’engage à respecter l’équité dans la mise en œuvre du texte. Il apparaît clairement que le gouvernement adopte les recommandations de la commission Shaw, lorsqu’il explique publiquement sa position, vis-à-vis des communautés non juives en Palestine et qu’il accepte quelques modifications mineures du texte du mandat pour corriger le tort causé aux Arabes par une certaine discrimination à leur égard.

Les Arabes accueillent avec une certaine satisfaction les conclusions Shaw, qui, pour eux, ne s’opposent pas à leurs intérêts et marquent même un tournant dans la politique britannique envers les Arabes. Mais, les Juifs expriment leur colère sur les conclusions et les recommandations de la commission jugées tendancieuses et non équitables. Ils blâment aussi le fait qu’elles s’écartent des prérogatives de la commission et faussent la réalité des faits. Les crimes arabes sont traduits dans le rapport de la commission comme des erreurs et les droits des Juifs sont réduits à néant. L’inquiétude juive découle non seulement de la partialité et des sympathies pro-arabes résultant du rapport, mais surtout de la position qu’il laisse entrapercevoir, à savoir que le droit des Juifs à vivre en Israël dépend de la bonne volonté arabe, fait contradictoire avec le Livre Blanc de Churchill qui évoque le droit légitime des Juifs à vivre en Israël, et non une tolérance charitable.

L’inquiétude des milieux dirigeants juifs s’avère justifiée. Le 6 mai 1930, le gouvernement britannique annonce la nomination de John Hope-Simpson pour mener une enquête sur l’immigration et le développement en Palestine. Quelques jours plus tard, le 14 mai 1930, l’administration mandataire annonce l’arrêt de l’immigration et le 27 mai, Londres publie un Livre blanc qui légalise cette disposition conformément au rapport Shaw. Pourtant, le 12 mai l’Agence Juive à Jérusalem a reçu une lettre officielle confirmant que le Haut-commissaire a accordé un quota de 3 300 immigrants pour les mois d’avril à septembre 1930[20].

Les conclusions du rapport Simpson et celles de la commission Shaw aboutissent à une déclaration politique du gouvernement le 20 octobre 1930, à Londres. Elle fait l’objet du Livre Blanc dit de Passfield[21]. Ce Livre Blanc, souligne Williams, fonctionnaire du Colonial Office qui l’a rédigé, marque un tournant dans l’attitude de la Grande Bretagne envers les sionistes et le Foyer national juif en Israël. Il adopte le commentaire sur le mandat fait par la commission Shaw et le Haut-commissaire, à savoir, que le mandat impose à la Grande-Bretagne un double engagement équitable envers les Juifs et envers les Arabes, principe de base pour la politique britannique en Palestine. En réalité, Londres annonce dans le Livre Blanc qu’elle n’est plus attachée désormais ni à la déclaration Balfour, ni au mandat, ni à son engagement d’assurer l’établissement du foyer national pour le peuple juif en Palestine. Or, en adoptant la formule politique de double engagement équitable pour les deux peuples, la Grande Bretagne abandonne la distinction entre un mouvement juif d’inspiration nationale (qu’elle s’est engagée à soutenir) et les droits civiques et religieux des communautés non-juives qu’elle doit préserver. A partir de là, les Arabes font figure de citoyens avec une identité nationale. Le Livre Blanc limite alors l’immigration juive, la vente de terres aux Juifs et il critique ouvertement les institutions sionistes. L’objectif britannique devient politique et se centre à geler le développement du foyer juif en Palestine, une controverse à la déclaration Balfour et aux plans institutionnels du mandat.

Les réactions s’amplifient, Juifs et non-Juifs protestent et critiquent le Livre Blanc. Des manifestations contre le gouvernement britannique se multiplient partout dans le monde. Londres, embarrassée par les proportions qu’ont prises les événements, craint aussi pour ses intérêts à l’étranger. Le Premier ministre, convoque Weizmann pour « un échange d’idées » à propos du Livre Blanc avec le ministre des Affaires Étrangères, Arthur Henderson. Après l’entrevue, Ramsay Macdonald adresse en février 1931 à Weizmann une lettre par laquelle il apporte des précisions sur les termes du Livre Blanc, faisant autorité. Pour ne pas porter atteinte au prestige de son gouvernement, Ramsay Macdonald n’annule pas le Livre blanc, mais les propos de sa lettre marquent une nette atténuation de la rigueur de la politique britannique envers le foyer juif. Les restrictions les plus draconiennes préconisées par les commissions Shaw et Simpson, adoptées par le Livre Blanc semblent assouplies. Cependant, si la lettre lève certains obstacles au sujet de l’immigration et de l’achat des terres par le KKL, elle n’annonce pas clairement la volonté de Londres de revenir sur le processus d’abandon du soutien actif au foyer juif en Israël, évoqué dans le Livre Blanc. Cette lettre, considérée comme un succès au sein des milieux juifs, s’avère être une simple pause dans les relations entre la Grande-Bretagne et l’organisation sioniste.

Le conflit sur le Mur est traité aussi d’une façon ambiguë. Le gouvernement suit les conclusions Shaw et nomme une commission de trois membres, non britanniques, pour satisfaire les revendications des parties sur la question du Mur. Les Musulmans qui se sont opposés à cette commission faisant double emploi avec le Livre Blanc, revendiquent leur propriété exclusive sur le site. Les Juifs quant à eux ne revendiquent pas un droit à la propriété sur le Mur mais un droit d’accès et des conditions convenables pour prier sans entrave. La commission établit que le Kotel (Mur des Lamentations) et l’espace devant sont la propriété du Waqf donc des Musulmans. Les Juifs ont la possibilité d’accéder au Mur à tout moment pour prier à condition de respecter les règles établies par le Haut-commissaire, en octobre 1929, selon lesquelles les Juifs n’avaient le droit de placer un Aron et une table sur le site que pour les fêtes du Nouvel an et Kippour et à des prières particulières décidées par le rabbinat. Cependant les Juifs ne sont pas autorisés à installer ni des bancs, ni un paravent ni à sonner le chofar car ceci dérange les Musulmans. Les Musulmans, quant à eux, ont obligation de ne pas perturber la prière juive devant le Mur. Le gouvernement adopte les orientations de la Commission du Mur et lui donne une forme légale à travers le Western or Wailing Wall Order in juives, 1931 Palestine.

La réglementation de la question du Mur ne contribue en rien à l’amélioration de relations entre Juifs et Arabes. La gravité des événements d’août 1929 matérialise les désaccords profonds entre les deux communautés. Le défaut de protection de la population juive est mis en évidence, la Hagana s’est avérée impuissante avant et pendant les événements, ce qui rend évidents les doutes du Yichouv pour son avenir et son développement. Les propos de Ben Gourion relatent bien cette réalité : « Le Juif ordinaire en Israël (Palestine mandataire) ressent que sa vie n’est pas sûre. Ce sentiment sera traduit avec plus de vigueur à l’étranger. Il existe un risque que les Juifs n’osent plus immigrer et s’investir en Israël, nos ambitions de construction, de développement humain et économique se réduiront à néant. » Au sein du Yichouv et de la direction sioniste modérée, l’espoir de surmonter les désaccords avec les Arabes s’avère vain. L’attitude individuelle des Juifs envers les Arabes est bien résumée par les propos de l’écrivain S. Agnon « Durant les événements, mes rapports avec les Arabes ont changé. Je ne les déteste pas et je ne les aime pas non plus, je demande simplement de ne plus les voir. Selon ma modeste opinion, il faudrait faire maintenant un grand ghetto d’un demi million de Juifs en Israël (Palestine mandataire), dans le cas contraire, à D’ ne plaise, nous sommes perdus. » Cette nouvelle réalité relationnelle entre Juifs et Arabes est, aussi, bien abordée par la commission Peel : « Au moins pour un temps, toute collaboration a été anéantie entre les deux communautés, même dans le domaine économique où un espoir persiste. […] Cependant, dans tous les domaines, le clivage est désormais clair. » La fragilité et l’insécurité du Foyer juif face à la puissante résistance arabe déterminent la radicalisation des revendications nationales des Juifs pour établir et garantir leur avenir en Eretz Israël.

Par Claude Tencer – Historien, chercheur sur l’histoire du conflit israélo-palestinien, docteur en Communication, Civilisations et médias.

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[1] Un des sermons parmi les plus virulents est prononcé par le Dr. Muhammad Ibrahim Madi, le 12 avril 2002 dans le PA TV (Télévision palestinienne). Le Dr Hassan Khater le fondateur de l’encyclopédie Al-Quts, affirme dans le même sens le 13 juillet 2003 sur PA TV, les paroles du prophète : « Mohammad dit que la temps de résurrection ne saurait venir tant que vous n’allez pas combattre les Juifs et tant que la roche et l’arbre ne diront pas oh musulman serveur de D’, il y a un juif derrière moi, lève toi et tue le ». Le Dr. Muhammad Ibrahim Madi explique que tant qu’un juif se cache derrière un arbre ou un rocher, le devoir du musulman est de l’anéantir.[2] Autorité religieuse musulmane chargée en outre de gérer les biens de l’Islam.[3] Gouverneur de Jérusalem et de la Judée 1920-1926.[4] Gouverneur de Jérusalem.[5] Tribunal islamique.[6] Du nom de la jument ailée que selon la tradition, Mahomet aurait attachée au Mur des Lamentations avant son voyage nocturne.[7] International Commission on the Wailing Wall.[8] Colonial N° 48, 1930. Minutes of Evidence, I, p. 74, 254.[9] Ministre des Colonies (1924-1929).[10] Public Record Office, Colonial Office London Files 733/160/51540 III, Chancellor to Amery.[11] Colonial N° 48 (1930) II page 1106-1108.[12] Colonial N° 48 pg. 1056, 1058, 1060.[13] Jour de la commémoration de la destruction du Temple juif à Jérusalem.[14] H. Luke, City and Men, vol. III, p. 18. E. Keith-Roach, Pasha of Jerusalem (London: Radcliff Press, 1994) p. 107. Rapport des événements, Histoire de la Haganah, Evidence of the Mufti, 2-4 December, 1929 vol I, p. 492.[15] Y.L Grodzinski: Le massacre de Hebron, 1929, Havatselet 1994, p. 52.[16] Voir aussi Tom Segev dans Yemei Hakalaniot, Jérusalem, Keter 1999, pg 267 , il rapporte des témoignages concernant le médecin égyptien, Dr. Abed Al-Al qui, en plus d’avoir secouru les blessés, a sauvé une famille juive en la cachant dans sa maison.[17] Report of the Commission on Palestine Disturbances of August 1929. Haaretz, 2/9/1929, 3/9/1929, Davar, 30/08/1929, Histoire de la Haganah, vol. 2 p. 312-340, Anita Shapira, Le glaive de la colombe Am Oved Tel-Aviv, 1992.[18] M. Kolinsky, Law, Order and Riots in Mandatory Palestine 1928-1935, p. 87 (Londres: St. Martin’s Press, 1993).[19] Commission on the Palestine Disturbances of August 1929.[20] New Judaea, VI (mai 1930) N° 7 p. 163[21] Ministre des Colonies

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