Shmuel Trigano : « Ce que j’ai vu à la télévision israélienne ces deux derniers jours ne me quitte pas un instant. Jamais je n’aurais cru que je verrai un pogrom anti-juif se produire dans l’État d’Israël souverain, dans le pays créé par le sionisme. Jamais je n’aurais pensé être envahi d’une angoisse archaïque, celle dont nous avons hérité de nos ancêtres dans les pays arabes, celle qui a étreint physiquement et moralement l’adolescent que j’étais en Algérie quand l’État français a abandonné un million de ses citoyens à la tourbe lyncheuse qui s’apprêtait à les assaillir, une menace si puissante et un abandon du pouvoir si grand que cette énorme population s’est volatilisée en une quinzaine de jours, en une sorte de foudroyant nettoyage ethnique laissant derrière elle les cent vingt mille Harkis et des milliers de Français promis à une mort certaine, et dont le sort fut scellé réellement au lendemain du jour fatidique de l’Indépendance…
En entendant en direct à la télévision les témoignages des habitants juifs de Lod (notre photo : après un incendie criminel dans une synagogue dans la ville), j’ai cru revivre ces deux jours funestes de fuite éperdue qui ont détruit ma vie d’avant. Des « petites » choses qui émanent des témoignages de Lod me plongent dans des souvenirs charnels : la voisine qui indique aux émeutiers, en quête de destruction, l’adresse de ses voisins juifs ; le voisin qui dit à une locataire juive que ce soir verra sa fin, autant de comportements vécus il y a 60 ans. (…)
Il n’y a rien de pire que ce sentiment d’abandon, cette exposition à une mort possible qu’on attend sans ne pouvoir rien faire. Ce sentiment ne m’a jamais quitté depuis l’exode d’Algérie. Et voir tout cela aujourd’hui ravive une expérience vécue dans ma chair. »
Des rouleaux de la Torah ont été retirées en toute hâte d’une synagogue qui a été incendiée lors de violents affrontements dans la ville de Lod, en Israël, le 12 mai. RONEN ZVULUN / REUTERS