Hommage en forme de requiem

Hommage en forme de requiem

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Qu’elles étaient belles, ces cérémonies. Partout des foules recueillies, silencieuses. Du président aux politiques, aux collègues, aux élèves, chacun a su trouvé les mots pour saluer le professeur assassiné. On aurait dit que la France entière communiait dans la même émotion.

Mais au fond, de quoi s’agissait-il au juste ? Qu’avait donc fait Samuel Paty, ce professeur d’histoire et géographie au Collège du Bois d’Aulne à Conflans Sainte-Honorine, dans ce qu’on appelait naguère « la France profonde » pour mériter cet élan de ferveur ?

Au premier abord, ce père de famille de 47 ans présenté comme apprécié de ses élèves et de ses collègues, n’avait fait que son métier, et dans sa classe d’une école de la République, censée être le bastion et le rempart de la laïcité, il a parlé de la liberté d’expression sans laquelle la liberté tout court ne peut exister.

Et il a jugé utile d’évoquer les caricatures de Mahomet, dans le contexte du procès du sanglant attentat de janvier 2015 et du massacre des journalistes de Charlie Hebdo, journal satirique qui avait publié ces caricatures.

A-t-il pensé qu’il prenait un risque ? Savait-il qu’un peu partout le sujet état devenu tabou ? Il y a près de vingt ans, en 2002, la parution des « Territoires Perdus de la République » jetait déjà une lumière crue sur certains quartiers où la parole n’était plus libre et où les enseignants avaient appris à leurs dépens les risques qu’ils couraient en faisant leur métier. Ils avaient alors compris qu’il ne fallait pas évoquer les sujets qui fâchent : antisémitisme, Shoah, Islam mais aussi sexisme.

Mais ce cri d’alarme n’a pas été entendu. Le phénomène a petit à petit dépassé les quartiers sensibles pour se répandre dans tout le pays tandis que la laïcité était battue en brèche un peu partout. La mort tragique de Samuel Paty est venue rappeler à ses concitoyens qu’aujourd’hui c’est au péril de sa vie qu’un professeur  « se permet » d’appeler à la réflexion sur un sujet qui fâche.

Un jeune musulman de 18 ans d’origine tchétchène arrivé à l’âge de deux ans en France où sa famille avait demandé et obtenu l’asile politique, a pris la décision de lui faire payer de sa vie une atteinte imaginaire au fondateur de l’Islam.

Quelqu’un que l’enseignant n’avait jamais vu, auquel il n’avait jamais parlé, quelqu’un qui n’avait aucun lien avec le collège a fait plus d’une heure de route pour se jeter sur lui avec une sauvagerie extrême et s’acharner sur son corps ensuite avant de poster les images macabres sur son compte twitter.

Qui a empoisonné son esprit, qui a armé son bras ? On ne le sait que trop. La justice saura-t-elle leur faire rendre des comptes ? Rien n‘est moins sûr. Quelle peine infliger à cet élève abordé à la sortie de l’école par un individu qui lui demande de l’aider à repérer un professeur « pour l’obliger à s’excuser » et qui accepte en contrepartie de quelques centaines d’euros ?

Quelles mesures pourront-elles être prises contre les institutions mortifères qui enseignent la haine ? Est-il encore temps ? Demain, quel enseignant sera prêt à prendre à son tour le risque de « provoquer » des fidèles un peu trop chatouilleux ?  Ne peut-on craindre que cet hommage solennel, ces émouvantes cérémonies rendues à Samuel Paty et les honneurs qui lui sont rendus à titre posthume ne soient en fait qu’un requiem pour cette école publique qui a fait si longtemps la fierté de la France et son honneur ?

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