L’article date de 2013, mais rien n’a changé.
La guerre aux « chevelures indécentes » est déclarée. Le Hamas, au pouvoir dans la bande de Gaza, se livre depuis la semaine dernière à une vague d’arrestations sans précédent. Sa cible : tout jeune homme aux cheveux longs ou hérissés, révèle le Centre palestinien pour les droits de l’homme. « Un officier de police m’a interpellé et m’a ordonné de pénétrer à l’intérieur d’une jeep […] où figuraient douze autres jeunes hommes », raconte une victime à l’ONG, basée à Gaza. « Au commissariat, on nous a ordonné de nous placer debout, en rang […], puis nous avons été insultés. Lorsqu’un détenu protestait, il était frappé. Les policiers ont alors commencé à couper les cheveux d’un jeune homme, puis ce fut mon tour. »
« Des dizaines d’adolescents de la bande de Gaza se sont plaints de pareils traitements par les forces de police, et nous recevons de nouveaux témoignages chaque jour », assure au Point.fr Hamdi Shaqqura, directeur adjoint du Centre palestinien pour les droits de l’homme. Pointé du doigt, le Hamas, qui dirige l’enclave palestinienne, apporte des explications pour le moins confuses. Sur Facebook, Ihab al-Ghussein, chef du bureau d’information du gouvernement, assure que les attaques ont été perpétrées par des partis islamistes. De son côté, le porte-parole de la police de Gaza, le commandant Aymane al-Batniji, admet dans un communiqué diffusé par l’Agence France-Presse que des jeunes se sont fait couper les cheveux, mais à la suite de « plaintes de directeurs d’école » visant des individus qui « harcelaient les filles ».
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« Islamiser la vie quotidienne »
Or, Hamdi Shaqqura est formel : « Cet acte stupide est bien le fait du gouvernement », assure-t-il au Point.fr. « Et il est illégal, car il viole la protection de la vie privée, censée être garantie par les lois palestiniennes », insiste-t-il. Pour le directeur adjoint de l’ONG, les attaques contre les adolescents ne sont que le dernier signe en date de la « volonté du parti au pouvoir d’imposer pas à pas son idéologie ».
« Le but du Hamas est d’islamiser la vie quotidienne », explique pour sa part Jean-François Legrain, chercheur au CNRS-Iremam (Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman). Or, ajoute-t-il, « il peut, pour ce faire, se réclamer de la loi fondamentale ». Celle-ci, votée par le Conseil législatif palestinien et promulguée en 2002 par Yasser Arafat, institue l’islam comme religion officielle et en fait l’une des sources principales de la législation.
Les femmes ciblées
Vainqueur des élections législatives de 2006, le Hamas prend de force le contrôle de la bande de Gaza l’année suivante, après en avoir chassé les membres du Fatah, le parti nationaliste au pouvoir en Cisjordanie. Émanation des Frères musulmans, le Hamas s’est pourtant toujours défendu de vouloir créer un État islamique. « À l’origine, le Hamas est un mouvement de socialisation religieuse, qui est ensuite entré dans la mobilisation nationale, militaire, puis politique », rappelle Jean-François Legrain.
Désormais aux affaires, le mouvement gouverne l’enclave palestinienne et impose en sous-main sa mission religieuse. L’alcool disparaît bientôt des échoppes. Le Hamas s’occupe également des femmes. Si aucune loi n’est émise, le mouvement islamiste encourage le port du voile. Les Palestiniennes se voient interdire de fumer la chicha en public, de monter à l’arrière de motos ou encore de se faire coiffer par des hommes. En 2008, le Hamas vote une loi obligeant les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) à filtrer les sites pornographiques, avant de faire finalement volte-face.
Pragmatisme du Hamas
« Cette loi a provoqué de farouches oppositions de la part des FAI et de la population, qui craignait qu’elle n’ouvre la voie à d’autres censures », explique Olivier Danino*, chercheur à l’Institut français d’analyse stratégique (Ifas). « Ne pouvant envisager de s’aliéner son électorat, le Hamas n’a pas appliqué la loi. » Le pragmatisme politique du Hamas lui cause pourtant du tort. Le mouvement islamiste est bientôt concurrencé sur sa droite par des partis salafistes.
« Des groupes piétistes d’inspiration saoudienne se sont développés à Gaza dès les années 1930, et sont considérés comme légitimes par une grande partie de la population en tant que mouvements religieux », explique Jean-François Legrain. « La nouveauté est que certains de ces groupes se réclament maintenant d’al-Qaida et que certains ont pu être manipulés par le Fatah », ajoute le spécialiste du Proche-Orient. Parmi eux, l’un des plus influents est sans doute le Majlis al-Shura al-Mujahidin (le Conseil consultatif des combattants). « Ces groupes fondamentalistes reprochent au Hamas de ne pas faire son travail d’islamisation, en tant que formation se réclamant de l’islam », souligne Jean-François Legrain.
Laxisme face à Israël
Le parti islamiste au pouvoir à Gaza est également vivement critiqué pour son laxisme vis-à-vis d’Israël. En quête de reconnaissance internationale, il s’emploie depuis 2009 à limiter les tirs de roquettes contre l’État hébreu. « Il lui est reproché d’avoir abandonné la résistance contre l’occupant, car il cherche la stabilité », souligne Olivier Danino. Un sentiment qui amène certains groupes djihadistes à prendre eux-mêmes les armes contre Israël. Ce sont eux qui lancent désormais la majorité des roquettes. Face à l’émergence de ces nouveaux rivaux politiques, le Hamas décide de donner des gages.
« Le Hamas multiplie alors les mesures symboliques prouvant sa volonté d’islamiser la bande de Gaza, explique Olivier Danino. Il espère ainsi être épargné sur sa politique envers Israël. » En septembre 2012, le Hamas promulgue une loi reprenant en substance la loi contre les sites pornographiques abandonnée en 2008. Début mars, il impose par décret la séparation des sexes dans les écoles dès l’âge de neuf ans. « Il n’était pas nécessaire d’apporter une dimension légale à un fait déjà en vigueur dans la majorité des écoles publiques », peste le militant des droits de l’homme Hamdi Shaqqura.
Multiplication du voile
Reste que si la promulgation de telles lois demeure – pour l’heure – encore limitée, la vie quotidienne à Gaza porte déjà les marques de son islamisation rampante. Témoin le voile qui, s’il n’est pas obligatoire, est porté par la majorité des femmes de Gaza. Pour Jean-François Legrain, ce phénomène grandissant d’affirmation de la religiosité, qui s’observe d’ailleurs dans l’ensemble du monde arabe, est vécu par beaucoup comme le ciment de la société palestinienne contre les agressions de l’occupation. « C’est ainsi que la première Intifada a vu exploser le port du voile », souligne le chercheur.
« La population palestinienne a toujours été attachée à la religion, tempère Olivier Danino, mais pas en l’islamisation complète du territoire. Elle ne veut certainement pas que la Palestine devienne l’Arabie saoudite ou le Qatar. »
© Gaïa pour www.Dreuz.info
Source : Lepoint