Les affrontements du week-end dernier confirment le potentiel d’escalade né de la nouvelle réalité en Syrie.
La question fait cogiter depuis samedi les responsables sécuritaires israéliens. Pourquoi l’Iran a-t-il envoyé, samedi 10 février, un drone en direction d’Israël ? « Je ne peux pas dire de manière certaine quelle était sa mission », a reconnu, deux jours plus tard, devant la presse, le lieutenant-général Tomer Ber, commandant du centre opérationnel de l’armée de l’air israélienne. « Cela aurait pu être aussi bien une opération de collecte de renseignements qu’une opération offensive. Ils ont pu essayer de tester nos capacités et vigilance et le degré auquel nous protégeons les airs israéliens ». Quatre inconnues pour une équation, une manière de résumer le flou qui entoure les intentions iraniennes derrière cette opération à l’origine des tensions.
L’interprétation est si peu aisée que la piste d’une erreur de navigation côté iranien a été évoquée. Une thèse repoussée par David Khalfa, chercheur à l’Institut prospective et sécurité en Europe (IPSE). « Le drone a traversé le territoire jordanien avant de plonger vers la vallée de Beth Shean. Il ne fait aucun doute qu’il ne s’agissait pas d’une erreur », affirme à Actualité juive cet ancien consultant du Centre d’analyse, de prévision et de stratégie (CAPS) du ministère français des Affaires étrangères. Selon le site américain spécialisé The Aviationist, l’engin abattu par un hélicoptère d’attaque Apache du 113e escadron de l’Armée de l’air israélienne serait de type « Saequeh » («Coup de tonnerre »). Baptisé « la bête de Kandahar » pour ses états de service en Afghanistan, le drone iranien a été mis en circulation par les Gardiens de la Révolution il y a deux ans et apparaît comme une réplique du RQ-170 Sentinel de Lockheed Martin, abattu par les forces iraniennes en 2011. Sa faible signature radar laisse envisager que Téhéran espérait passer à travers les mailles de la surveillance électronique israélienne. « Téhéran et Damas ont exprimé par cette décision leur volonté de repousser les lignes rouges établies par l’appareil politico-sécuritaire israélien : d’une part, la préservation de l’intégrité territoriale d’Israël ; d’autre part, la volonté d’endiguer l’influence croissante de l’Iran en Syrie via notamment le transfert d’armes sophistiqués de type « game changer » au profit du Hezbollah », décrypte David Khalfa.
Problème d’altitude pour le F-16 ?
Le retour d’expérience opérationnel de Tsahal s’attache également depuis Chabbath à déterminer les raisons de la défaillance de l’un des 8 F-16I engagés dans la seconde action de représailles israélienne, la plus massive jamais menée contre l’armée syrienne depuis 1982. S’appuyant sur des sources sécuritaires, le Yediot A’haronoth postule que l’altitude trop élevée de l’avion – environ 3000 mètres – l’aurait rendu vulnérable aux missiles anti-aériens à longue (SA-5s) et courte portée (SA-17s) de l’armée syrienne. Si sa position visait semble-t-il à s’assurer de la réussite des frappes israéliennes contre les installations syriennes et iraniennes, un excès de confiance ou une concentration excessive de l’équipage sur l’objectif pourraient également être en cause. Un second F-16I, qui prenait la tête de ce double escadron, est parvenu pour sa part à détecter à temps la menace balistique. La géographie a en tout cas sans doute évité que la date du 10 février n’entre dans les livres d’histoire. Une perte de l’avion de chasse – et de ses pilotes – en Syrie, plutôt qu’en Israël, aurait eu des conséquences autrement dramatiques, sonnant probablement le coup d’envoi de la « première guerre du Front Nord ».
Hubris et réévaluation
Un communiqué du Hezbollah se félicitant du « début d’une nouvelle ère stratégique », des bonbons distribués dans les rues de la capitale syrienne : l’euphorie a gagné l’axe chiite depuis quelques jours. Un début d’hubris les guette aussi devant la conviction, tout du moins affichée, d’avoir mis un terme à l’invincibilité aérienne de l’armée israélienne. Les images du F16 dévasté valent mille fois aux yeux des opinions publiques l’analyse froide et rationnelle qui livrerait un bilan autrement moins souriant des opérations. La défense aérienne syrienne sort en effet détruite pour moitié de l’offensive. Douze sites ont été visés en Syrie dont quatre iraniens (notamment les bases aériennes T-4 à l’ouest de Homs, et de Mezzeh, ainsi qu’un dépôt d’armes à Jabal Mana) et le bilan de six morts étant probablement éloigné de la réalité.
Côté israélien, la séquence devrait encourager un réexamen des modalités d’action à l’égard des voisins syrien et iranien. « C’est arrivé plus rapidement que ce à quoi on s’attendait », a reconnu Hagai Tzuriel, directeur-général au ministère des Renseignements. « La dynamique négative inhérente à la présence iranienne s’active peut-être plus vite que nous le présumions ». Pour la première fois, des troupes iraniennes ont directement visé le territoire israélien. « On est passé d’une guerre de l’ombre par procuration à un affrontement de plus en plus ouvert et de plus en plus direct », abonde David Khalfa qui inscrit néanmoins l’épisode dans le contexte de ce que l’état-major israélien qualifie de « guerre entre les guerres ». Autre facteur inédit, la détermination de Bachar El Assad, revigoré par ses succès militaires face aux organisations rebelles et djihadistes, de pointer vers l’Etat hébreu les instruments de puissance livrés par Moscou. D’où le message explicite adressé par Jérusalem au dictateur alaouite. « Israël veut que Damas réalise le prix à payer pour autoriser l’Iran à installer des troupes militaires dans des bases syriennes », analyse David Makovsky, dans une note pour le Washington Institute.
Vers une escalade ?
La dissuasion israélienne sortira-t-elle affectée par la dernière récente ? Auteur d’une étude pour l’Institut national des études stratégiques (INSS) sur les effets à long terme de l’intervention iranienne en Syrie, Ephraim Kam soutient que l’intérêt de la République islamique demeure «l’amélioration de la dissuasion iranienne à l’égard d’Israël, particulièrement en renforçant les milices chiites en Syrie, en particulier le Hezbollah, plutôt que la confrontation militaire avec Israël ». Alors qu’Hassan Nasrallah prépare les prochaines élections législatives au Liban en mai prochain, les autorités iraniennes n’ont pas oublié que l’une des principales critiques des manifestants à travers le pays, fin 2017, portait sur l’interventionnisme tous azimuts du régime au Moyen-Orient.
La Russie n’a pas plus d’intérêt à une escalade israélo-iranienne. Soucieux de ne pas mettre en péril le pouvoir retrouvé de son affidé à Damas ni son influence grandissante dans la région, Vladimir Poutine a sifflé la fin de la partie. Selon Haaretz, c’est une conversation téléphonique avec le président russe qui aurait fini de convaincre Binyamin Netanyahou de mettre un terme à son offensive aérienne. Les interrogations sur le cas russe ne sont pas éteintes pour autant. Certes, Moscou n’utilise pas son système anti-aérien S-400 pour empêcher les Israéliens de mener régulièrement des frappes contre des installations en Syrie (le site stratégique de Masyaf en septembre, la base iranienne en construction d’Al-Kiswah en décembre). Téhéran bute également toujours sur l’opposition russe à de nouvelles bases militaires iraniennes près du port de Tartous et de la base aérienne de Hmeimim Air Base, deux projets vus d’un très mauvais œil à Jérusalem. Mais privé d’une totale liberté d’action dans les airs dans son proche environnement depuis l’intervention russe en septembre 2015, Israël constate que Moscou n’est pas prêt à s’opposer à l’ensemble des initiatives militaires de Bachar El Assad et du chef de la force « Al Qods » des Gardiens de la Révolution, le général Qassem Soleimani. « Il existe une dépendance mutuelle stratégique entre la Russie et l’Iran, confirme David Khalfa. Les Russes sous-traitent l’intervention au sol aux milices chiites irakiennes, pakistanaises et afghanes. Réciproquement, pour l’Iran et le Hezbollah, l’intervention russe soulage leurs troupes et permet de consolider l’emprise croissante du régime Assad sur le territoire syrien ». Et le désintérêt américain, que complète « l’absence de mécanisme de désescalade », ne laisse pas augurer une accalmie pérenne.
Source www.actuj.com