Il n’est pas très original d’énoncer, malheureusement, à notre époque le danger de l’assimilation du peuple juif aux nations parmi lesquelles il vit. Le problème est assurément ancien, et le verset des Tehilim vient nous prévenir de ce qui nous menace : « Ils se sont mêlés aux nations, et ont appris à se conduire comme elles » (Tehilim 106,35).
Cette admonestation – qui évoque la conduite du peuple d’Israël avant leur installation définitive en Terre Sainte (rappelant la faute du veau d’or dans le désert d’une part, et reprochant par ailleurs à Israël d’être resté influencé par les peuples de Cana’an) –, cette admonestation est d’autant plus actuelle, à une époque où le brassage des nations prend une telle ampleur.
58% de mariages mixtes aux USA
Une statistique récente révèle qu’aux Etats-Unis il y a actuellement 58% de mariages mixtes, et si l’on exclut les Juifs orthodoxes de ce sondage, la proportion atteint 71% des Juifs américains. Il y a 40 ans, ce pourcentage était quatre fois moins important. Il apparaît donc que dans la nation du monde – dans laquelle vivent plus de 6 millions de Juifs – le risque de réduction progressive du nombre de Juifs est de plus en plus grand. Les enfants nés de mariages mixtes n’éprouvent plus de sentiment d’appartenance au peuple juif. Il est évident que les « conservateurs » ou les « réformés » ne proposent qu’un judaïsme vidé de toutes ses valeurs essentielles, et cela ne peut que précipiter l’assimilation.
Sans données précises et statistiques sur la situation en France, il est cependant bien évident que le problème n’est pas moins grave, et, ici aussi, l’assimilation du fait des mariages mixtes atteint des proportions inquiétantes. L’émancipation, à la suite de la Révolution française, a eu comme conséquence une chute spectaculaire de l’observance. Ainsi, en France, au 19e siècle l’assimilation a progressé de façon inouïe. L’Affaire Dreyfus, à la fin du siècle, a réveillé nombre de Juifs – dont Dreyfus lui-même – qui ignoraient la signification de leur appartenance au peuple juif. Les livres de Balzac, de Romain Rolland, et bien d’autres présentent des personnages juifs, totalement étrangers à leur patrimoine. En France, l’arrivée des Juifs d’Europe orientale, au début du 20e siècle, puis des pays d’Afrique du Nord – après la décolonisation – a redonné vie à une communauté qui serait devenue exsangue. Mais, de nos jours, malheureusement, le nombre de mariages mixtes ne fait qu’augmenter.
Il s’agit donc de faire front à ce qui risque de devenir une nouvelle Shoah blanche cette fois, mais non moins alarmante. Les deux antagonistes d’Israël sont ‘Essaw-Edom (le Rouge) et Lavan (le Blanc). Les uns représentent les adversaires qui utilisent les armes, les chambres à gaz, qui veulent l’élimination physique du peuple juif, c’est l’orientation « rouge ». Mais il y a, de plus, la direction « blanche », ceux qui « aiment » les Juifs, se montrent très « philosémites », mais, en fait, ces derniers visent également à dénier l’existence de ce peuple « réfractaire », qui refuse de ressembler aux autres nations. Ici, le bât blesse, car l’« amour » du Juif tend, en réalité, à supprimer cette étrangeté : « Soyez comme nous » disent ces descendants de Lavan, qui, lui, reproche à Ya’akov : « Pourquoi es-tu parti en cachette ? Je t’aurais accompagné avec musique ? En réalité, ces femmes sont mes filles… Ce bétail, c’est à moi qu’il appartient… » (Beréchith/Genèse 31,27 et 43). Nos Sages expliquent que Lavan voulait « détruire Israël dès le début » (dans la Haggada de Pessa’h, il est écrit que « Lavan avait l’intention d’empêcher la naissance du peuple juif), mais il le fait avec hypocrisie, sous couleur d’amitié et de sympathie. C’est ici que se situe, de nos jours, le danger d’une deuxième Shoah invisible, cette fois, mais non moins effrayante. Le but est le même – la disparition d’Israël, même si les moyens semblent amicaux. Cette attitude exige une réaction essentielle et très profonde. Il ne s’agit pas de rechercher les persécutions, avec un certain masochisme, mais d’agir ou de réagir avec bon sens.
Prendre conscience de nos valeurs
Il serait banal de dire que l’observance et l’étude de la Tora doivent être la panacée, qui répond à cette « Shoah ». Cependant, il importe de faire connaître, dès l’enfance, les valeurs universelles du Judaïsme, qui non seulement n’ont rien à envier à l’« humanisme apparent » des nations, mais sont au contraire, importantes pour la formation de l’individu, et donc de l’homme de demain.
Dans le cadre de cette chronique, il n’est guère possible de donner un programme réel d’éducation, mais il est essentiel de prendre comme exemple le texte de la Haggada de Pessa’h. Construite pour attirer les enfants, la Haggada est un vrai manuel de pédagogie, et il semble que ce soit le meilleur moyen d’éloigner les influences de l’extérieur. Etre conscient de l’apport de la Tora au monde extérieur, souligner les bases essentielles de l’histoire d’Israël, et surtout ressentir que l’on appartient à un peuple différent des autres : tel est le message fondamental que les auteurs de la Haggada de Pessa’h veulent faire passer aux enfants le soir du Séder.
C’est par ce biais, en réalité, en soulignant devant les générations à venir le sentiment d’appartenance à une collectivité que l’on peut lutter contre ce poison, ce virus de l’assimilation. Au moment de la sortie d’Egypte, dans la parachath Bo (Chemoth/Exode 12,26 et 13,8 et 14), à trois reprises, la Tora nous rappelle qu’il faut expliquer aux enfants les raisons de la sortie d’Egypte, donc de la naissance du peuple juif. Le témoignage de la vie, la construction d’une existence différente dans un monde de globalisation, la dimension historique doivent être la réponse à cette Shoah blanche. Yaa’qov fuit Lavan et refuse son apparente amabilité. De plus, même quand il va rencontrer Essav, il prie en demandant à l’Eternel : « Sauve-moi, de grâce, de la main de mon frère, de la main d’Essav » (Beréchith/Genèse 32,12), et les commentateurs expliquent : « Même s’il se conduit comme un frère, ‘Essav est dangereux ».
Pour lutter contre l’assimilation, il faut élever les enfants dans la tradition, nullement en l’intégrant dans un passé archaïque, mais en leur montrant qu’ils font partie d’une chaîne qui trouve sa source au mont Sinaï, et qui se perpétue, de façon vivante, de génération en génération ; ce processus – non pas relation à un obscurantisme révolu, mais témoignage vivant d’une tradition séculaire – doit être le phare permanent qui éclaire, annonce et prépare l’avenir messianique d’Israël. ■ Rav Cohn
Extrait de Kountrass numéro 170
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