En novembre dernier, LePoint.fr racontait que l’imam de la mosquée An’Nour, à Winterthur, en Suisse alémanique, appelait au meurtre des musulmans non pratiquants. Les autorités avaient alors réagi immédiatement, en ouvrant une procédure pénale pour « provocation publique au crime ou à la violence ». Le prédicateur d’origine éthiopienne est toujours en détention préventive en attendant son expulsion. Quant à la mosquée, elle n’a pas rouvert ses portes. En revanche du côté du lac Léman, Ahmed bin Mohammed Beyari, directeur général de la Fondation culturelle islamique, qui chapeaute la grande mosquée de Genève, affiche un calme olympien, vantant « l’islam modéré » de l’Arabie saoudite.
Des dons hors de toute comptabilité
Les nuages s’amoncellent pourtant au-dessus de la tête de cette mosquée, fondée par la Ligue islamique mondiale, et inaugurée par le roi Khaled d’Arabie saoudite en 1978. À peine apprend-on le recrutement de deux imams, des Français convertis, fichés S – dont l’un aurait été en contact avec Mohamed Merah – que la grande mosquée recrute quant à elle un responsable de la sécurité… également fiché S. « La fiche S ne veut rien dire », assure Ahmed Beyari. Quant au départ de deux jeunes vers la Syrie, il ne s’agit que d’un « incident ». À présent, c’est l’Autorité cantonale de surveillance des fondations et des institutions de prévoyance (Asfip), qui découvre que « les dons sont tenus hors comptabilité de la fondation et ne sont pas versés sur le compte de la fondation ».
L’alibi des fondations
À quoi sert l’argent versé par les fidèles, et notamment pendant le Ramadan ? Ahmed Beyari a répondu à La Tribune de Genève, qui a révélé l’information : « Aucun don reçu n’a échappé ou n’échappe à la comptabilité de la fondation. Notre comptable maîtrise son domaine. » Or, la Suisse, dans sa lutte contre l’évasion fiscale et le blanchiment, ne met pas seulement la pression sur les banques, elle pointe également du doigt certaines fondations. Celles-ci, sous prétexte de venir en aide aux orphelins ou de défendre la nature, peuvent aussi, parfois, servir à dissimuler des fonds. Quant à la générosité des croyants, elle peut aussi s’égarer dans les sables du désert. L’Asfip, qui ne s’occupe pas du religieux, ne va pas jusque-là. Elle se contente de constater que la Fondation culturelle islamique de Genève tient peut-être une caisse noire. Autre « curiosité » : cette fondation pas comme les autres va jusqu’à jouer le rôle d’une banque en accordant des prêts à ses collaborateurs, ce qui n’est pas prévu dans ses statuts. Enfin, le contrat de travail du directeur général est signé… par son directeur adjoint. Un directeur adjoint qui a par ailleurs donné sa démission en mars dernier.
Saïd Ramadan, fondateur de la Ligue islamique mondiale
Depuis 2015, la grande mosquée de Genève revient comme un « marronnier » en une de La Tribune de Genève, le principal quotidien du canton, sans que les autorités ne froncent les sourcils. Se sont-elles seulement demandé pourquoi de jeunes Français – en particulier l’un des futurs assassins du père Jacques Hamel – s’y arrêtaient, avant de s’envoler vers la Turquie, via l’aéroport de Genève ? À moins que le mot d’ordre ne soit de ne pas créer de problèmes avec l’Arabie saoudite et la Ligue islamique mondiale (Al Rabita) ?
C’est en effet un vieux compagnonnage qui lie la cité de Calvin à la Ligue islamique mondiale. Pour propager l’islam en Europe, Saïd Ramadan, le gendre d’Hassan al-Banna, fondateur des Frères musulmans égyptiens, s’établit en 1958 à Genève. Il y fonde le Centre islamique de Genève, aujourd’hui dirigé par son fils, Hani Ramadan, frère aîné de Tariq. En 1962, Saïd Ramadan participe à la fondation de la Ligue islamique mondiale, dont les buts sont non seulement de propager l’islam, mais aussi de lutter « contre les fausses allégations visant à détruire l’unité des musulmans ». Depuis, les relations se sont détériorées entre les Saoudiens et les Frères musulmans. Alors que la grande mosquée est très régulièrement mise en cause, en revanche, le Centre islamique de Genève n’a jamais fait l’objet de suspicion quant à d’éventuels liens avec le terrorisme.
L’Autorité cantonale de surveillance des fondations et des institutions de prévoyance (Asfip) n’est pas une police. Elle ne s’intéresse pas à la grande mosquée, seulement à sa fondation, afin de vérifier si elle honore ses obligations légales, en clair si elle respecte les normes comptables. Une surveillance d’autant plus indispensable que les fondations bénéficient en Suisse d’exonérations fiscales. La Fondation culturelle islamique de Genève a maintenant un délai pour se mettre en conformité au droit. Et dans l’hypothèse où elle passerait outre ? La sanction ultime pourrait être la destitution du conseil de fondation. Ce qui reviendrait simplement à changer la tête de l’entité…
Source www.lepoint.fr