Rainer est le petit-fils de Rudolf Höss, commandant du camp d’extermination de 1940 à 1943. Il témoigne de l’histoire familiale, tourmentée. Et de son engagement actuel contre l’extrémisme.
Bien calé dans son fauteuil, il dégage l’image d’un bon vivant. Loquace. Qui ne force pas le sourire, qu’on devine naturel. Ne dévie jamais le regard, qu’on imagine profond. Pourtant, à 51 ans, Rainer Höss, petit-fils du commandant d’Auschwitz, met en garde. « Je ne suis certainement pas un homme simple. »
Il enchaîne un nouveau sourire qui, cette fois, cache des ombres cruelles, des souvenirs d’enfant éduqué dans le silence nazi des années d’après-guerre. « Ma grand-mère, la femme du commandant, a posé une chape de plomb sur l’histoire familiale. Tout en restant très nostalgique de ce qu’elle considérait comme le bon vieux temps. »
Dressé pour obéir
Celui où elle récupérait les bijoux et fourrures des femmes assassinées dans les chambres à gaz. À quelques encablures de leur villa d’Auschwitz-Birkenau, en Pologne, là où ont été exterminés un million de Juifs jusqu’en novembre 1944. Depuis l’été 1942, date à laquelle le grand-père Höss officiait en maître absolu, les transports arrivaient là de l’Europe entière. « L’Obersturmbannführer Höss a été l’exemple parfait d’un homme dressé pour obéir. »
Assise aux côtés de Rainer, Élisabeth Willenz, la traductrice du livre qu’il a écrit en novembre 2016 (1), revient sur le rôle central joué par cette femme, épouse modèle du Troisième Reich : « Après l’exécution de son mari en 1947, c’est elle qui a imposé à sa famille la continuité idéologique du nazisme. Sinon, à la place de Rainer, c’est peut-être son père que vous auriez devant vous. » Mais celui-ci a toujours refusé de parler. De livrer le moindre indice sur le commandant, comme condamné à perpétuité d’être fils d’assassin.
Pendant l’adolescence, son fils, le jeune Rainer, prend donc la décision de fausser compagnie à ce monde teinté de détestations et de croix gammées. Seul, il se démène, se forge un caractère de rebelle. « J’ai largué les cinquante amarres qui me retenaient à ma famille, persuadé que le crime n’est pas héréditaire. » Objecteur de conscience, il découvre l’envers de ce décor où la mort rôde, omniprésente. Il lit pour la première fois Elie Wiesel, ancien d’Auschwitz et prix Nobel de la paix, qui dévoile une autre parole, celle des rescapés : « Il est une chose pire que le mal lui-même, l’indifférence face au mal. »
La cible des négationnistes
D’internats en centre d’accueil pour jeunes « instables », il prend peu à peu conscience de la responsabilité de porter le nom de « Höss ». « J’ai dû l’accepter. Mais c’est un processus de longue haleine. Avant, je n’étais qu’un élément d’une famille épouvantable à laquelle on avait promis un Reich millénaire. »
Une idée forte le guide quand il commence à sonder les tréfonds de son histoire familiale, à s’immerger dans la connaissance de la Shoah : le pire est derrière lui. Désormais, il lui faut s’engager, auprès des survivants, des nouvelles générations ou des politiques.
À Stuttgart, où il demeure, ce père de quatre enfants ne se rend à Auschwitz qu’en 2009. « Avant, je n’avais pas d’autorisation polonaise, car j’étais descendant de criminel de guerre. » Là, il découvre l’immensité du camp, de l’ancienne caserne polonaise qui a servi à édifier le stammlager Auschwitz I, jusqu’aux restes du complexe d’extermination de Birkenau, sorti de terre en 1941.
Une douleur profonde pour Rainer, qui s’obstine pourtant. Vérifie méticuleusement, mètre après mètre, le dispositif de mise à mort, absorbe les données statistiques, juge sur le terrain pour mieux contrer le discours des négationnistes. « Ma boîte aux lettres a été arrachée, la porte de la maison taguée. J’ai reçu pas mal des menaces téléphoniques anonymes de néonazis », remarque celui que les sympathisants de droite, qui ressentent une attirance pour les porteurs de patronyme d’un dignitaire nazi, considèrent comme un traître.
Voter contre l’extrême
Aujourd’hui, il sourit à nouveau à l’idée d’apporter avec son livre une lumière dont il ignorait l’existence. Celle d’une libération. « J’ai pu montrer mes émotions, devenir moi-même. Définitivement. »
Engagé dans le combat contre l’extrémisme, il sillonne les écoles, les collèges, les universités. Témoigne pour poursuivre son combat contre le retour « des idées noires, partagées par les Orbán, en Hongrie, Hofer, en Autriche, ou Le Pen, chez vous, en France. Ils sont tous devenus présentables, mais leurs thèses sont basées sur les mêmes processus mentaux. D’où l’importance de se déplacer, d’aller voter contre le Front national. »
Source www.ouest-france.fr