La montée de l’islamisme en France: est-ce une réalité? Un phénomène amplifié ou sous-estimé? Depuis le début des années 2000, quelques intellectuels tirent la sonnette d’alarme. Parmi eux, Yves Mamou, ancien journaliste au journal Le Monde et auteur de plusieurs ouvrages. Son dernier en date, ”Le Grand Abandon. Les élites françaises et l’islamisme”, fait déjà parler de lui. Il y développe la thèse selon laquelle, durant les 30 dernières années, les élites en France auraient favorisé le monde musulman et ses dérives extrémistes et que leur aveuglement, qui se poursuit jusqu’à aujourd’hui, porte des conséquences graves sur l’état du pays.
Le P’tit Hebdo: Vous êtes journaliste mais aussi auteur d’ouvrages qui ne sont pas politiques, des thrillers, notamment. Pourquoi avoir ressenti le besoin d’écrire cette analyse sur l’islamisme et les élites françaises ?
Yves Mamou: Être Juif et Français ne va plus aujourd’hui de soi. C’est à partir des années 2000, lorsque la 2e Intifada faisait rage en Israël, que le clivage a commencé. Au moment où les Israéliens affrontaient une vague d’attentats suicides, les Français juifs ont été confrontés à des agressions brutales et de plus en plus nombreuses de la part de Français musulmans. Une guerre civile en quelque sorte, mais qui n’a suscité de la part des pouvoirs publics et dans les médias qu’indifférence ou silence gêné. A l’époque, je travaillais au Monde et j’ai été choqué du refus de mon propre journal d’aborder le sujet. Tout le monde considérait que l’agresseur musulman était une « victime » à l’instar du Palestinien. Et tant pis si les Français juifs devenaient un dommage collatéral d’une situation proche-orientale contre laquelle personne en France ne pouvait rien. La gravité progressive des attaques contre les Juifs en France n’a rien changé. Plus les islamistes se sont montrés violents et meurtriers, plus les Français non-juifs ont considéré qu’il s’agissait là d’un conflit tribal contre lequel ils ne pouvaient rien. L’hostilité croissante des médias envers Israël et la diffusion d’une information biaisée érigeant le Palestinien en victime et le Juif en bourreau n’a pas arrangé les choses.
En 2015, avec l’assassinat simultané des journalistes et dessinateurs de Charlie Hebdo et des Juifs de l’Hypercacher de Vincennes j’ai cru que la donne allait changer. Eh bien, non ! La donne n’a pas changé, et la lutte contre l’ « islamophobie » mobilise comme au premier jour les énergies médiatiques et politiques. Et comme je suis obstiné et que je trouve cette situation anormale, j’ai entrepris d’essayer d’analyser plus à fond le contexte français. « Le Grand Abandon » est le produit direct de cette schizophrénie qu’on a infligé aux Juifs aujourd’hui en France. Et par extension aux non-Juifs.
Lph: En quoi consiste l’ouvrage que vous publiez?
Y.M.: Je ne comprenais pas comment il pouvait y avoir autant d’idiots utiles de l’islamisme en France. Je ne comprenais pas l’intérêt que certains trouvaient à s’associer à une idéologie politico-religieuse rétrograde, liberticide, intolérante, misogyne et antisémite. J’ai donc entrepris de faire la liste des « amis » de l’islamisme en France. Ça m’a pris presque trois ans. Et à la fin, je me suis aperçu que j’avais reconstitué le bottin du pouvoir en France. Presque tous les partis politiques, les grands corps de l’Etat, la Justice, l’Université, les Experts, les Artistes et les milieux de la culture, les Médias se retrouvaient aux côtés des islamistes. Même l’Eglise catholique était aux côtés des islamistes. Assez curieusement, l’Eglise pratique une politique de compassion sélective, puisqu’elle défend les migrants musulmans mais ne proteste pas contre le traitement réservé aux Chrétiens d’Orient, ni contre le génocide Yazidi. Les institutions juives aussi, par souci de conserver une proximité avec le pouvoir politique, sont enfermées dans un espace qui ne laisse aucune marge pour faire entendre une véritable critique de l’Islam et de l’islamisme en France.
Lph: Une des idées qui ressort de votre inventaire et analyse serait que ces élites ont volontairement fermé les yeux sur les dérives islamistes?
Y.M.: Une fois que j’ai procédé à cet inventaire, je me suis interrogé sur les raisons de cette préférence islamique des élites françaises. J’ai eu la chance de tomber sur les bonnes lectures tout de suite, à commencer par « La révolte des élites et la trahison de la démocratie » de l’américain Christopher Lasch. Très vite, je me suis aperçu que toutes les sociétés occidentales vivaient le même phénomène : à la traditionnelle opposition droite-gauche, avait succédé une coupure profonde et quasi infranchissable entre le haut et le bas de la société. Partout, la mondialisation a produit les mêmes effets : des élites qui volent loin de tout sentiment national et qui utilisent l’immigration musulmane à la fois comme un réservoir de voix automatique et comme un bélier pour reléguer les populations « de souche » à la périphérie du système, pour les appauvrir (en baissant le coût du travail par exemple) et les gommer de toute représentation culturelle ou médiatique.
Dans toutes les sociétés européennes, une nation musulmane a été fabriquée de toutes pièces. L’islamisation de cette société musulmane n’a sans doute pas été prévue, mais elle n’est toujours pas considérée comme un problème. Autant dire que chaque société européenne est devenue aujourd’hui une bombe à retardement.
Lph: De la même façon, aujourd’hui, on minimise les mises en garde contre un certain nombre de personnes potentiellement dangereuses parmi les migrants.
Y.M.: Avec l’islamisation des populations musulmanes, une politique du déni s’est progressivement instaurée. En France, en Allemagne et ailleurs, le traitement du terrorisme islamique est particulièrement révélateur : les terroristes ne sont pas considérés comme des tueurs au service d’une idéologie politique mais comme des ”déséquilibrés”. Ce déni de la violence islamiste s’accompagne d’une politique d’apaisement. Ce ne sont pas les islamistes et leurs outrances qui sont condamnées mais les quelques paroles malheureuses d’un intellectuel ou d’un journaliste « islamophobe ». Quand le ministre de l’Education Nationale décide, en plus, d’enseigner l’arabe à l’école primaire, alors que les populations immigrées ont du mal à maîtriser le français ; quand le Président français lui-même, déclare que la langue française s’est émancipée de son lien avec la nation française, que le berceau de la francophonie se situe aujourd’hui quelque part sur le fleuve du Congo, nous nous trouvons face à un délire politique qui ne peut que mal finir. Le déni se renforce au fur et à mesure que s’accroit l’insécurité physique.
Lph: Certains, pourtant, dénoncent cet état et on a l’impression que le discours ”politiquement correct” est mis à mal par certains observateurs. Pourquoi ne retrouve-t-on toujours pas cette évolution dans les décisions politiques?
Y.M.: Il n’y a aucune volonté politique. Récemment, j’ai discuté avec un député Les Républicains, il était d’accord sur le constat mais estimait qu’il était très difficile de fermer les frontières, de lutter contre le clientélisme politique et de s’attaquer au radicalisme islamique. Les pouvoirs publics commencent à avoir une claire conscience de la dangerosité de la situation, mais ils font tout pour repousser la solution du problème à plus tard.
Lph: Une des conséquences de la montée de l’islamisme est l’augmentation en flèche des agressions antisémites. Il y a quelques semaines, le ministère de la Culture a décidé de lancer le ”Prix Ilan Halimi” qui récompensera des projets portés par les moins de 25 ans pour lutter contre les stéréotypes racistes et antisémites. On pourrait y voir une prise de conscience et une volonté politique d’agir. Vous vous élevez contre cette démarche. Pourquoi?
Y.M.: Nous vivons dans un système étrange où le Musulman est érigé en victime, mais où les personnes qui meurent de mort violente sont juives. Pire, les assassins de Juifs sont généralement Musulmans. Il serait simple de dire les choses telles qu’elles sont. Mais ça ne l’est pas. Alors comme les politiques n’ont plus de pensée politique, ils demandent aux communicants de leur monter un spectacle. Le prix Ilan Halimi est un outil de spectacle. Ça permet de continuer à nier l’antisémitisme qui règne dans une partie de la communauté musulmane tout en faisant semblant de lutter contre l’antisémitisme.
Cela dit, le pro-palestinisme échevelé qui structure la pensée des médias français m’inquiète autrement plus que le prix Ilan Halimi. Le récent reportage d’Envoyé Spécial (France 2) sur « Les estropiés de Gaza », s’inscrit à la suite d’une longue liste de manipulations médiatiques concernant Israël. Cette diabolisation répétée, constante du minuscule Etat juif est la forme moderne de l’antisémitisme d’Etat qui sévissait sous Vichy.
Lph: La façon dont les médias français traitent le conflit israélo-palestinien mais aussi la diplomatie biaisée du Quai d’Orsay ne sont pourtant pas des phénomènes récents.
Y.M.: La Politique arabe de la France était autrefois dictée par la défense des intérêts français et notamment de ses intérêts énergétiques. Elle est aujourd’hui entièrement dictée par la politique intérieure. L’apaisement de la minorité musulmane oblige à la ghettoïsation de la minorité juive et à la rupture du lien d’amitié avec Israël.
Lph: Toujours dans le domaine de la prise de conscience, que pensez-vous du rapport qui a fuité de la DGSI sur le communautarisme à l’école?
Y.M.: Si les services de renseignements français ont attendu 2018 pour découvrir l’islamisation d’une grande partie des collégiens musulmans, c’est grave! Je rappelle dans mon livre “Le Grand Abandon” que ”Les territoires perdus de la République” en 2002 et le Rapport Obin en 2004 en faisaient déjà état. On peut certes accuser les politiques de déni et d’aveuglement, mais ils ne sont pas aidés par les services de l’Etat.
Lph: Ces rapports ne sont-ils pas à double tranchant pour la communauté juive de France? En effet, les Juifs sont les premiers concernés lorsque l’on montre du doigt certaines pratiques ou expressions religieuses dans l’espace public et par conséquent aussi pénalisés par les interdictions dans ce domaine.
Y.M.: Les Juifs sont aussi critiquables que les musulmans chaque fois qu’ils envahissent l’espace public de leurs pratiques religieuses. J’ai manifesté mon mécontentement au Beth Habad situé à côté de chez moi quand ils ont construit une souccah sur le trottoir. Certes, ils avaient une autorisation de la préfecture, mais comment ensuite se plaindre que la police demeure inerte face aux prières de rue des islamistes ? Les Juifs religieux ne doivent pas faire le jeu des islamistes. Eux aussi doivent avoir un comportement citoyen et laïc. La liberté de culte qui existe en France n’implique pas l’invasion de l’espace public par le signe religieux quel qu’il soit. La laïcité peut même se définir comme l’exclusion de l’espace public de tous les sujets qui ne se prêtent pas à la négociation. Si la foi n’est pas de l’ordre du négociable – on ne saurait demander à un Chrétien, à un Musulman ou un Juif de rogner tel ou tel aspect de sa foi ou de sa pratique religieuse – alors, elle doit demeurer une pratique privée, cantonnée au domicile et au lieu de culte. L’espace public doit demeurer un espace politique où les citoyens entrent en conflit, discussion et négociations les uns avec les autres.
La politique du président Macron est à cet égard particulièrement critiquable. Il donne le sentiment qu’il souhaite se débarrasser de la laïcité pour apaiser les islamistes. S’il le faisait, la France cesserait définitivement d’être une société laïque et républicaine pour devenir conforme au modèle multiculturaliste anglo-saxon, communautariste et anti-laïque.
Lph: Aujourd’hui, l’extrême-droite monte un peu partout en Europe. Les véritables soutiens des islamistes se trouvent à gauche voire à l’extrême gauche de l’échiquier politique. L’extrême-droite serait-elle devenue fréquentable et pour aller plus loin, le meilleur allié des Juifs et d’Israël, victimes de l’islamisme?
Y.M.: Les partis qui prennent le pouvoir en Europe, que ce soit en Hongrie, en Autriche ou en Italie, sont stigmatisés comme d’extrême-droite par la gauche. Mais en réalité, ils ne sont pas les héritiers des partis fascistes des années 30. Viktor Orban, par exemple, est un nationaliste et non un impérialiste. Ces partis défendent leur droit à une identité nationale. Dans cette optique, Israël représente la quintessence de l’Etat Nation, confirmée par la loi du même nom votée, il y a peu, à la Knesset. C’est le droit des Juifs de piloter le destin d’Israël, même si des non-Juifs peuvent monter à bord et bénéficier de tous les droits afférents à la citoyenneté.
Ce n’est pas la montée de cette fausse « extrême-droite » qui est un signe de violence. La violence politique est aujourd’hui du côté de l’extrême-gauche quand elle s’associe aux islamistes. La gauche européenne a fait alliance avec les Musulmans et l’extrême-gauche avec les islamistes.
Lph: Les principales voix qui alertent sur la perte l’identité nationale française, aujourd’hui, sont juives (vous, Eric Zemmour, Alain Finkielkraut). Faut-il y voir un symbole?
Y.M.: Les Juifs sont les meilleurs défenseurs de la laïcité et de la lutte contre le communautarisme parce qu’ils ont compris très vite qu’ils seraient les premiers à être évincés d’une société française communautarisée. Les sociétés multiculturelles sont des sociétés de guerre civile ou les différentes communautés entrent en compétition sournoise ou ouverte les unes contre les autres et luttent pour imposer leur suprématie. Dans ce cadre, en France, les Juifs ne font pas le poids. Leur seule chance de survie est dans le maintien d’une société de citoyens où la communauté n’a de sens que dans la sphère privée.
Lph: Toutes ces voix ont un autre point commun, on les accuse de nourrir le Front National et de promouvoir un discours fasciste.
Y.M.: En effet, on ne peut pas parler d’islamisme ou d’immigration en France sans risquer d’être traité de fasciste. Le Front National a contribué à la glaciation idéologique française. Les éructations d’un Jean-Marie Le Pen toujours à la limite du racisme et de l’antisémitisme ont admirablement servi la gauche antiraciste et islamisante. Marine Le Pen a bien tenté de nettoyer son parti de l’héritage de son père. Mais cela ne fonctionne pas. Il faudrait se débarrasser du Front National si l’on veut assainir le paysage politique et rendre possible des débats d’une meilleure teneur politique en France.
Mais lentement, les choses changent. Les livres de Zemmour se vendent par centaines de milliers d’exemplaires. L’interview que j’ai donnée au Figaro sur mon livre a été partagée 22 000 fois. Du jamais vu au Figaro. Petit à petit, les Français prennent conscience que l’Etat ne les défend pas face à l’islamisme. Et ils vont réclamer des comptes. Mais sagement. Ces « populistes » que l’ont traite de fascistes attendent les élections pour exprimer leur colère. Les élections européennes de 2019 le montreront, LREM subira une large défaite. A moyen terme, il faut que les partis de la droite républicaine sortent du carcan idéologique de la gauche antiraciste. Mais la route sera longue.
Lph: Dans ce contexte sombre que vous décrivez, quel regard portez-vous sur l’avenir de la communauté juive en France?
Y.M.: Les retraités qui avaient de bonnes situations ont fait, font ou feront leur Alya. Les jeunes bien diplômés sont dans la mondialisation. Ils partent travailler à New York, Londres ou Tel Aviv. Mais beaucoup des Juifs de France sont pauvres et n’ont tout simplement pas les moyens de s’installer en Israël. Des associations s’occupent de les reloger dans des quartiers moins sensibles, c’est ce qu’on appelle l’Alya interne. A terme, si la société française se communautarise, les Juifs vivront dans des ghettos, et avec un peu de chance, si l’Etat le veut bien, l’armée les protègera.
Lph: Voilà qui est peu réjouissant… Sur quelle note positive pourrions-nous finir cet entretien?
Y.M.: L’avenir n’est écrit nulle part. Il n’est jamais trop tard pour agir.
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Propos recueillis par Guitel Ben-Ishay – lphinfo.com