FIGAROVOX/CHRONIQUE – Gilles-William Goldnadel fustige l’ambivalence d’Emmanuel Macron sur la question migratoire. En fonction de son auditoire, le Président semble selon lui défendre tantôt un discours élitiste et déconnecté du réel, tantôt au contraire un discours ferme qui plaît aux classes populaires.
Gilles-William Goldnadel est avocat et essayiste. Il est président de l’association France-Israël. Toutes les semaines, il décrypte l’actualité pour FigaroVox.
Alors que Gérard Collomb a présenté son projet de loi sur l’asile et l’immigration mercredi au Conseil des ministres, il n’est peut-être pas inutile d’écrire les choses franchement.
Il s’agit de la question qui fâche le plus. Parce qu’elle est désormais existentielle. Raison pourquoi, la plupart du temps, on préfère parler d’autre chose, ce qui a été le cas pendant la période électorale.
Deux camps s’affrontent frontalement. Le parti médiatique et financier qui considère largement qu’il s’agit d’une question vulgaire à laisser au populisme. Et le peuple, dont il est aujourd’hui acquis aux débats par sondages interposés qu’il s’agit de sa première préoccupation.
Si le sommet médiatique en parle, il abordera la question par la face sud : les malheurs des migrants. Quand la plèbe terre à terre évoque le sujet, elle abordera avant tout les problèmes sécuritaires ou identitaires posés par l’immigration massive et illégale dès lors considérée logiquement comme invasive.
Encore faut-il ajouter qu’il ne s’agit que de l’apparence publique des choses. Quand l’élite se met à parler avec moins de coquetterie, elle peut se laisser aller à parler comme la plèbe.
C’est ainsi que l’ancien Président Hollande confiait à deux journalistes, lors de ses confidences vespérales, l’aspect désormais insupportable pour les Français de l’immigration, et que l’on risquait même «la partition». On remarquera que de tels propos n’ont provoqué aucune indignation et que la presse a plutôt préféré les passer sous silence…
Exactement comme si certaines vérités trop crues n’étaient pas bonnes à dire devant les petits enfants.
Au caractère massif et irrésistible de la migration, s’est ajoutée durant la dernière décennie la question islamiste et donc islamique. Il se trouve que c’est précisément l’origine des nouveaux réfugiés et migrants qui viennent s’ajouter à une précédente vague, quelquefois clandestine, qui cause déjà cruellement de profonds remous.
Parmi les raisons de la colère plébéienne, outre les problèmes inhérents rencontrés par les difficultés d’intégration d’une population importante et très différente de la population autochtone, le fait que la quasi-totalité des illégaux demeurent sur le territoire national est le plus compréhensible.
Pour le dire autrement, l’obstacle psychologique principal à l’accueil des réfugiés éligibles au droit d’asile est constitué par le maintien sur le sol français d’individus inéligibles dont la présence est considérée légitimement et légalement comme une offense.
Mais les développements qui précèdent ne sont que des observations d’ordre rationnel.
Malheureusement, et ainsi que je l’écris souvent, la question migratoire est, depuis un demi-siècle, posée de manière totalement irrationnelle.
Il fut un temps où le débat sur l’accueil tournait principalement autour de la notion de la générosité parfois excessive ou de l’égoïsme ou non sacré. Avant-guerre, pour des raisons purement économiques, le socialiste Marchandeau fut à l’origine d’une loi restreignant considérablement l’entrée sur le territoire national. Il fut critiqué, sans être taxé de raciste. Dans les années 60, Raymond Cartier, journaliste de bonne tenue, et père de la doctrine d’un «Cartiérisme» réticent à l’ouverture sur le monde, fut célébré pour sa formule «plutôt la Corrèze que le Zambèze».
Ce n’était pas très distingué dans les salons, et l’on pouvait parfaitement trouver le point de vue bien étriqué. Mais Cartier ne fut pas vilipendé pour son improbable racisme, mais plutôt pour son esprit de quartier.
C’est après le choc de 1968, dont j’ai toujours expliqué («CRS SS!») qu’il était mû par un fantasme post-schoatique, que tout débat autour de l’accueil de l’Autre, s’est transformé aussi inconsciemment qu’irrationnellement en mise en cause culpabilisante de l’occidental raciste ou, pour le dire autrement, du franchouillard vichyssois xénophobe.
En l’espace d’une guerre mondiale traumatisante, d’un excès, l’autre: du sentiment méprisant de supériorité occidentale à la dilection de l’altérité orientale.
Depuis, la question migratoire est devenue en creux la question française, et encore plus profondément enfouie, la question blanche.
C’est donc dans ce cadre psychologique collectif que le candidat Macron a fait une campagne rien moins qu’ambivalente – l’œil sur le second tour face à la candidate ultra-franchouillarde – à coups de formules transparentes sur la colonisation française nazifiée et l’absence de culture nationale.
Une fois élu largement, le président jupitérien semblait avoir donné des gages tant aux désirs de la plèbe qu’aux exigences prosaïques du réel: les vrais réfugiés oui, les migrants économiques non.
Et ceux qui n’ont rien à faire en France devront partir, et vite.
C’était compter sans les exigences du monde virtuel. Depuis des semaines, l’inquiétude pour l’Autre était grande du Monde jusqu’à Libération. Et tant pis pour la plèbe. Sur toutes les chaînes audiovisuelles du service public de France Inter jusqu’à Arte. Sans parler des associations, de ces forcément gentilles organisations non-gouvernementales qui s’opposent au gouvernement forcément méchant. Pas question de trier entre le bon réfugié et le mauvais migrant. Et tant pis, si dans la réalité, d’Oxfam jusqu’à Médecins Sans Frontières et l’Unicef, de grandes libertés ont été prises aux dépens des réfugiés, à commencer par les femmes.
Il n’était même pas question de voir l’État faire rentrer ses fonctionnaires dans les refuges pour recenser les déplacés. Pas question non plus de vérifier la réalité d’une minorité alléguée, sauf à se conduire en nazi comme suggéré par Moix sur le service public, en gamin attardé du gentil mois de mai.
Du coup, voici notre Jupiter un peu moins foudroyant. Non seulement le projet de loi est considérablement raboté: un article 3 prévoit que les réfugiés qui jusqu’ici pouvaient faire venir leurs parents pourront désormais faire venir aussi leurs frères et sœurs afin que «la réunification familiale ne se fasse pas au détriment de l’unité familiale».
Autrement dit, un regroupement familial bis, au moment où l’on s’interrogeait même sur l’éventuelle suppression de celui-ci… Mais en outre, le premier ministre a promis de reprendre les grandes lignes d’un rapport du député En Marche (ex-socialiste) Aurélien Taché. Celui-ci, et c’est manifestement son rôle, contredit la prétendue fermeté du projet du ministre de l’intérieur. Taché propose notamment d’établir une égalité entre les Français et les réfugiés «dans l’accès à l’emploi et au logement» contredisant ainsi le principe de citoyenneté. Son projet est un catalogue de droits sans devoirs.
Pour faire bonne mesure le député considère également que le délit d’aide aux clandestins est tombé dans l’obsolescence. À défaut de la vulgaire et impuissante plèbe, Cédric Herrou sera content.
La confusion règne dans les esprits. Au même moment, le premier ministre Édouard Philippe, homme respectable, déclarait: «La France ne se dérobera pas à son devoir d’hospitalité. Mais l’avenir des chrétiens d’Orient doit être en Orient.»
Dans ce cas, lui ai-je fait observer, l’avenir des réfugiés et des migrants d’islam n’est-il pas dans leurs pays islamiques?
La fermeté, et en même temps, le laxisme. Le réel et en même temps le virtuel.
Pauvre peuple français, ce n’est pas demain que ses lois républicaines sur la régulation des flux migratoires seront respectées.
Dans une récente chronique, je comparais Macron à la chauve-souris de la fable.
Ravi, dans la présente matière, de montrer ses ailes d’oiseau pro-migratoire en même temps que ses dents pointues de rat intransigeant. On peut malheureusement parier sans grand risque que l’aigle des hauteurs l’emportera sur le vulgaire rongeur.
La cote présidentielle n’atteint plus les sommets. Les Français sont dans le noir.
La chauve-souris est peut-être un oiseau sans grand danger, mais ne sera jamais un mammifère très populaire.
Source www.lefigaro.fr