LE FIGARO. – Vous commencez votre Journal de guerre le 7 octobre. En quoi cette date est-elle un tournant pour vous ?
GILLES-WILLIAM GOLDNADEL. – C’est un jour que je n’aurais jamais voulu connaître. Celui que je devais sans doute craindre en secret. Le retour de l’humiliation ancestrale de ne pouvoir empêcher son enfant d’être assassiné de sang-froid. La mémoire jaillissante des pogroms et de la Shoah. Moi qui étais sans doute l’un des Juifs les moins « shoatiques », détestant l’exhibition de la souffrance et le pathos, prônant le deuil pudique et surtout abhorrant la nazification de tous les événements dramatiques, cette Shoah s’imposait à moi, qui ne pouvais qu’employer le terme d’« islamo-nazi ». Ma vie s’est bâtie sur le bonheur conscient et assumé de disposer d’un fier refuge pour les miens. J’étais encore très heureux le 6 octobre au soir.
Votre livre a pour sous-titre C’est l’Occident qu’on assassine. En quoi l’Occident peut-il être concerné par une guerre qui se déroule au Proche-Orient ?
J’aurai passé une bonne partie de ma vie intellectuelle à décrire la détestation pathologique de l’Occident, y compris par une partie des Occidentaux eux-mêmes, issus de l’extrême gauche islamo-gauchiste et dans son dernier état woke. Mes Réflexions sur la question blanche, publiées il y a treize ans, se proposaient de montrer la réalité du racisme antiblanc. Il est encore aujourd’hui un peu inélégant de l’évoquer ; à l’époque, c’était suicidaire. Les prétendus antiracistes y voyant une invention fantasmatique de l’extrême droite. J’expliquais dans cet ouvrage que c’était cette détestation de l’Occidental qui lui interdisait moralement de pouvoir défendre ses racines culturelles et ses frontières nationales, sous peine d’être traité de colonialiste et de nazi. De même, je soutiens depuis mon Nouveau Bréviaire de la haine que l’Israélien est tout autant détesté comme un Occidental blanc qui défend bec et ongles son État-nation insolent de modernité que comme un Juif intemporel. Je concluais parallèlement que le petit Blanc des banlieues était à présent traité comme un Juif étranger dans son pays.
Le conflit israélo-palestinien est malheureusement obsessionnel. Il occupe une place disproportionnée dans l’attention médiatique, au détriment d’Israël comme des victimes innombrables des autres conflits de par le monde. Gilles-William Goldnadel
Les femmes des kibboutz assassinées et violées ont été ignorées par les féministes de la gauche extrême moins parce qu’elles étaient juives que blanches et parce que, surtout, leurs assassins violeurs n’étaient pas des mâles blancs totalement détestables. De même, la présidente de Harvard n’a pas fait montre d’une résistance opiniâtre contre les appels au génocide des Juifs pour la simple raison inconsciente qu’aujourd’hui, dans les universités américaines, le colonialisme occidental ou la traite esclavagiste sont considérés comme le mal absolu et non plus le génocide de ces Juifs qui ne font plus partie des peuples racisés mais des Blancs privilégiés. Ce génocide n’est aujourd’hui utilisé que pour le retourner contre ses victimes. Pour toutes ces raisons, je soutiens que les Israéliens comme les Français ont compris qu’ils étaient dans le même bateau au milieu d’un océan rien moins que pacifique.
Elle les a exacerbées pour les raisons identitaires qui précèdent. D’un côté, le vieux peuple affligé par le grand pogrom et sentant au moins confusément qu’il est l’objet d’une dangereuse aversion identique. De l’autre, une partie importante d’une population issue d’une autre culture, d’une autre religion en phase conquérante, à qui une extrême gauche s’étant affranchie de tous les faux-semblants a inculqué l’idée que la France et ses policiers, Israël et ses soldats étaient deux nations foncièrement racistes et brutales qui les détestaient. Après la preuve par Nahel, la preuve par Gaza.
Vous avez suivi au jour le jour les réactions à la guerre depuis la France. Le traitement médiatique du conflit vous a-t-il surpris ?
La réaction médiatique ne m’a rien moins qu’étonné. Je connais depuis toujours ses biais idéologiques pavloviens. Dans mon livre, je montre comment une manière de « plénélisation » du journalisme aura marqué deux générations, sur le fondement inconscient de voir ce Juif victime adoré en pyjama rayé se transformer en soudard abhorré en uniforme kaki. Globalement, on peut dire que les médias privés auront été infiniment moins sensibles à ce biais qu’un audiovisuel public largement influencé par la gauche extrême. Tous les matins, ses bulletins commencent par un bilan victimaire émanant du Hamas, jamais qualifié de terroriste, comme s’il s’agissait du Journal officiel. Ensuite viennent les « témoignages » de prétendus humanitaires, tels que l’UNRWA, Amnesty ou MSF, dont je montre dans mon journal documenté la partialité.
Quant à l’évolution de cette information, je l’avais prévue dès le début, dès lors que la victime juive en pyjama allait forcément muter en soudard et tuer dans des conditions tristement prévisibles au regard de l’exiguïté d’un territoire tenu par un Hamas utilisant sans vergogne des boucliers civils tout en bénéficiant de cette indulgence idéologique. C’est sous l’empire de ce biais que, dès le 10 octobre, j’écris dans mon journal : « J’entends ici prendre date. Le Grand Pogrom commis par les islamo-nazis a trois jours et la vraie riposte d’Israël n’a pas encore commencé. Je ne donne pas encore trois jours pour qu’Israël soit nazifié et les Arabes de Palestine peints en martyrs génocidés. » Je ne me suis pas cruellement trompé. De manière plus générale, on peut observer que l’occidental Israélien est examiné d’un regard acéré, parfois justifié, tandis que l’oriental Palestinien est regardé avec une coupable indulgence.
Depuis le 7 octobre, le ministère de l’Intérieur a enregistré une augmentation sensible des actes antisémites. Quels sont les ressorts de ce nouvel antisémitisme ?
J’avoue avoir été surpris par cette flambée soudaine dont je connaissais pourtant les deux ressorts : haine islamo-gauchiste et faiblesse d’État. J’avoue avoir été étonné par la radicalisation soudaine d’une partie de la communauté musulmane. Je n’avais pas prévu que 43 % de cette communauté tiendrait des gens qui découpent les bébés pour des résistants. Je n’avais pas prévu que la réaction de la « rue arabe » ne susciterait aucune réaction. Je n’avais pas prévu qu’un président de la République qui voulait au début du conflit constituer un front international contre le Hamas expliquerait qu’il n’avait pas marché contre l’antisémitisme pour préserver l’unité nationale et ne pas offenser la communauté musulmane. Je n’avais pas prévu que l’extrême gauche, que j’ai toute ma vie combattue comme vectrice principale de l’antisémitisme, me conforte à ce point et verse de l’huile gauchiste sur le feu islamiste. Bref, je n’avais pas prévu le 7 octobre.
La guerre est loin d’être finie en Israël. En France, va-t-on l’oublier ?
Il m’étonnerait fort que l’on oublie Israël. Le conflit israélo-palestinien est malheureusement obsessionnel. Il occupe une place disproportionnée dans l’attention médiatique, au détriment d’Israël comme des victimes innombrables des autres conflits de par le monde. Je ne prendrai qu’un exemple : le 26 janvier, Le Monde a publié un article intitulé « Au Soudan, la ville d’al-Geneina théâtre de massacres à grande échelle : “Ce qui s’est passé est un génocide” ». L’article évoque des massacres de masse de milliers de Noirs par des milices arabes. Il évoque des exactions innombrables et 7 millions de déplacés ! Qui en a parlé ? Je ne connais que trop bien les perverses raisons de cette focalisation sur le conflit judéo-arabe et l’indifférence parallèle pour ce conflit africain : dans le premier demeure la trouble fascination que suscite le Juif. Dans le second, aucun Blanc n’est responsable du malheur noir.