Parce que le monde ne veut pas en entendre parler, ou si peu, ou de si loin, les otages franco-israéliens, partiellement relâchés en échange de Palestiniens – détenus de droit commun – se rappellent à notre vigilance. Cette sortie de l’oubli, nous la devons à la parole d’une jeune femme, parcimonieusement diffusée par de trop rares médias, parce que le ton commun est au présentisme superflu des festivités de fin d’année.
Ce que rapporte cette jeune femme rescapée de la République islamique de Gaza comptera comme l’un des témoignages-phare de cette page d’histoire guerrière, marquée par la chosification de l’ennemi désigné. Le discours qu’elle tient à la journaliste qui recueille son propos est de ces éclairages simples, directs et concrets, qui aident à dissiper la mythographie d’une population palestinienne qui serait prétendument étrangère aux exactions des assassins du Hamas.
Mia Schem décrit avec le détachement des personnes traumatisées l’épisode au cours duquel son arrachement au monde normal des vivants qui vivent l’a projeté dans un espace/temps hors vie, un no man’s land situé entre l’attente sans but et la menace constante de payer d’un outrage fatal, chaque jour imminent, sa condition de femme juive et de femme kidnappée. Son propos sans fard livre sans détour ce qu’il en est d’une organisation hors la loi – étrangère au droit des gens comme à la loi symbolique -, à laquelle la “civilisation” fait tacitement allégeance, en refusant de se rappeler l’origine de la violence.
Plongée plus de cinquante jours dans le noir, interdite de parole, privée de nourriture, regardée comme un animal, captive au sein de la famille de son ravisseur, blessée au bras droit d’une balle sans recevoir de soins, moquée par les enfants de la famille, chosifiée par le sadisme moral de ses hôtes gavés de haine, puis opérée sans anesthésie par un vétérinaire, exhibée d’abord face caméra pour les besoins de la cause palestinienne, puis encore sommée face caméra, sur le seuil de la relaxe, de témoigner à ses derniers geôliers une gratitude de façade, rescapée du pogrom et instrumentalisée par la propagande des terroristes, celle qui se dit aujourd’hui coupable de vivre, bien qu’elle ait prié le D’ d’Israël de veiller sur elle, nous transmet une part de ses souvenirs. Les lambeaux de cette mémoire blessée, qu’elle détache pour nous dans une langue précise, mais d’un visage aussi résolu que doux, exhale un reste de la présence anxieuse des rares visages amis qu’elle a rencontrés, dans de rares journées de réclusion commune.
Ces autres visages aussi répondent à des noms – ils nous sont inconnus – et ce sont les noms de ces autres qu’elle a voulu sans doute protéger de son silence, mais dont nous voudrions aussi, malgré le long effroi auquel il est inévitable d’associer leur évocation, percer l’appel inaudible. Il suffit pourtant d’une voix, pour que l’écho de ces noms dans la nuit des tunnels sourde de l’inconnu. Résonneront-ils encore ? Seront-ils appelés, et par qui ?
La parole retransmise du témoin est une transmission qui agrège la solidarité souveraine de ceux qui gardent la mémoire de l’humanité offensée. Ici, sous nos latitudes d’exilés et d’isolés, il est encore possible de faire chorus. Cet appel à notre conscience vigile entre en résonnance avec les voix de celles et de ceux qui ne sauraient rien oublier, et surtout pas oublier que le peuple de la mémoire sait aussi vivre hors du temps pour rallier ainsi le point d’unité à l’horizon duquel se dessine le moment de la justice. En attendant le jour où cette clameur de la fin d’un temps prévaudra sur le mensonge, il est des rendez-vous dont le nombre permet d’entretenir l’idée de ce lendemain.
Sous les latitudes de la dispersion, consentie ou endurée, il reste possible de se manifester, pour faire entendre l’indignation qu’inspire tant d’indignité : celle de la voyoucratie du Hamas, cela va sans dire, mais surtout celle des gouvernements du “monde libre”, à commencer par celui de la France. Quel que soit leur sort, l’ensemble des victimes franco-israéliennes du 7 octobre 2023 ont été vouées aux oubliettes de la non-information. Et ils ont été ainsi repoussés par dizaines : que ces hommes, ces femmes, ces enfants, qui sont nos concitoyens aient été assassinés le jour même, ou qu’ils soient demeurés captifs… Si les principaux représentants de l’Etat, à commencer par la présidence, n’ont pas manqué un jour pour en appeler à un cessez-le-feu irresponsable, sans jamais mentionner les otages, ni même envisager une seule heure d’un hommage national, il se trouve cependant quelques citoyens qu’insupporte cette indignité. Leur protestation donne de la voix aux paroles de vérité de Mia Schem.
Mais pour les pouvoirs qui ont choisi l’impotence en face de la barbarie, la parole d’une seule rescapée qui témoigne est sans doute encore de trop… Que ne peuvent-ils s’exclamer, en leur for intérieur, ou bien à haute voix auprès de tous les indifférents: Une seule, passe encore, et qu’elle soit vite oubliée ; mais les autres, non ! Et ce n’est pas tout : nous savons aussi quel déferlement de haine et de réactions ignominieuses a valu sa prise de parole à la jeune victime, de la part de la lie des “réseaux sociaux”, si mal nommés. Mais il est heureux que, fût-elle minoritaire et culturellement très circonscrite, la parole publique se délie et qu’elle fasse régulièrement écho à celle de la jeune rescapée – en plein cœur de la capitale : Place du Trocadéro, sur le Parvis des droits de l’homme.
S’il ne s’était trouvé personne pour dire Non à l’Oubli, l’insolente violence de la vie politique aurait ajouté plus follement encore à la négation des autres noms.
© Tribune Juive, Georges-Elia Sarfati*
*Georges-Elia Sarfati est philosophe, linguiste, psychanalyste, co-fondateur du Réseau d’étude des discours institutionnels et politiques, directeur de l’Ecole française d’analyse et de thérapie existentielles (www.efrate.org), fondateur de l’Université Populaire de Jérusalem, lauréat du prix de poésie Louise Labbé.
L’Etat nazi français a pour politique de laisser massacrer ses propres citoyens puis fait tout pour bâillonner les rescapés ou ceux vivant sous la menace de subir le même sort. Il n’est pas très différent de l’Iran, sur le fond, et il s’en rapproche à grands pas. Vous pouvez remplacer « L’Etat nazi français » par L’Etat nazi anglais » : c’est la même chose. Je ressens une immense pitié pour les otages Israéliens et également pour tous les Français victimes de barbarie que L’Etat français tente de faire taire. De la plus ignomignieuse façon.