Navires de guerre, menaces, contrats de plusieurs milliards de dollars : la découverte de gaz en Méditerranée orientale fait naître de grands espoirs, mais génère aussi des tensions dans une région déjà explosive.
Au large de l’île divisée de Chypre, membre de l’Union européenne, un récent blocage par l’armée turque d’un navire de forage du groupe italien Eni a ravivé un conflit vieux de plusieurs décennies, Nicosie réclamant la médiation de Bruxelles. Parallèlement, les États-Unis tentent de désamorcer un contentieux entre Israël et le Liban au sujet d’une zone offshore disputée.
« Diplomatie de la canonnière »
Après une série de déceptions depuis le lancement, en 2011, d’opérations de forage au large des côtes de Chypre, le groupe français Total et Eni ont annoncé, ce mois-ci, la découverte d’importantes réserves au sud-ouest de l’île. Mais quelques jours plus tard, alors qu’un navire d’Eni se dirigeait vers un autre bloc offshore, plus à l’est – près de la partie de l’île occupée par l’armée turque -, il a été bloqué par la flotte turque. Raison invoquée : « Manoeuvres militaires » dans ce secteur. Vendredi, cinq bateaux de guerre turcs ont à nouveau bloqué le navire qui tentait d’avancer. D’abord considérées comme un facteur pouvant aider à un accord sur la réunification de l’île, les découvertes de gaz apparaissent aujourd’hui comme un obstacle majeur à la reprise des pourparlers entre les deux parties de l’île. Ankara réclame en effet la suspension de toute exploration par les dirigeants de la République de Chypre, reconnue par la communauté internationale, tant qu’une solution à la division n’est pas trouvée. Nicosie a réclamé à l’UE une médiation, affirmant que la Turquie avait « violé le droit international », et a lié la reprise des pourparlers de réunification au déblocage de la situation. L’Égypte a également été critiquée par Ankara, qui conteste un accord maritime la liant à Chypre.
« Je ne pense pas que la Turquie veuille provoquer une confrontation mais je ne crois pas non plus qu’elle puisse être complètement écartée », estime Andrew Neff du cabinet IHS Markit. Selon lui, « si l’un des bateaux de forage s’aventure trop loin » dans la Zone économique exclusive, près de la partie de Chypre occupée par l’armée turque, Ankara pourrait avoir recours à la « politique de la canonnière pour défendre ses intérêts ».
« Guerre du gaz »
Plus au sud, Israël a annoncé, le 19 février, la conclusion d’un contrat « historique » pour la fourniture de gaz naturel à l’Égypte, pays avec lequel il est lié par un traité de paix. Outre la perspective d’une plus grande indépendance énergétique, ces réserves gazières offrent à Israël l’opportunité d’exporter son énergie notamment vers l’Europe, voire de nouer de nouveaux liens stratégiques dans la région. La signature par le Liban voisin de son premier contrat d’exploration d’hydrocarbures offshore avec un consortium de groupes français, italien et russe a cependant contrarié l’État hébreu. En effet, l’accord concerne notamment un bloc dont une partie se trouve dans une zone maritime disputée avec Israël. Le puissant mouvement libanais Hezbollah, qui a été combattu par l’État hébreu en 2006 et qui possède des missiles pouvant atteindre les infrastructures offshore d’Israël, s’est dit prêt à défendre l’Etat libanais pour pouvoir remporter la « guerre du gaz ». Malgré ces intimidations, et au vu des besoins énergétiques du Liban et des contrats de plusieurs milliards de dollars espérés par Israël, aucune des deux parties n’a intérêt à s’aventurer dans un conflit, estime Eyal Zisser, directeur du département de l’histoire du Moyen-Orient à l’Université de Tel-Aviv. « Tout est une question d’argent, tout le monde peut perdre, tout le monde peut gagner ».
Source www.letelegramme.fr