Par Jacques BENILLOUCHE – Temps et Contretemps
Durant la campagne électorale, le Likoud n’a pas cessé d’attaquer Benny Gantz sur sa légèreté politique, sur son coté novice parmi les dirigeants israéliens, voire sur son incompétence, donnant l’impression que Tsahal ne formait que des rebuts politiques et que seule une caste privilégiée pouvait se prévaloir d’avoir le droit de gouverner le pays. On découvre petit à petit chez Gantz une personnalité qui fait peu de bruit mais qui ne s’en laisse pas conter. On l’a d’abord accusé de traîtrise mais, à la réflexion, certains sont revenus sur leur jugement en estimant qu’il avait agi pour le bien de ses compatriotes en évitant le chaos d’un nouveau scrutin inutile.
Ensuite, on n’avait pas compris sa volonté de se faire élire comme président de la Knesset, un poste auquel il n’était certainement pas voué alors que Meir Cohen, l’ancien maire de Dimona, avait été choisi par l’opposition pour le perchoir. Mais Cohen faisant partie du clan Yesh Atid de Yaïr Lapid qui avait décidé de se séparer du parti Kahol-Lavan, tous les plans ont dû être abandonnés.
Mais en fait, Gantz avait volontairement voulu accéder à un poste charnière pour pouvoir changer le cours des choses et peser sur Netanyahou. On avait assisté à l’impuissance de la cour suprême face à Yuli Edelstein qui refusait de procéder à l’élection de son successeur et qui a ralenti la procédure. En fait, il savait que des négociations étaient en cours et qu’il fallait qu’il tienne à son poste le plus longtemps possible. Benny Gantz et Gabi Ashkénazi ont négocié la répartition des ministères avant de donner leur accord final. Il n’était plus question pour eux de transiger. Certes la négociation initiale avait certainement porté sur la base de 33 députés Kahol-Lavan avec 2 ou 3 travaillistes justifiant certainement la parité. Mais Bleu-Blanc, réduit à sa portion congrue de 13 députés et cinq indépendants, sans les 13 sièges de Yesh Atid et les 5 de Telem de Moshé Yaalon, a maintenu son exigence pour les principaux ministères convenus, dont quelques ministères régaliens.
Or Netanyahou a fait beaucoup de promesses pendant sa campagne pour attirer à lui l’extrême-droite au point de leur proposer 3 ministères sans que cela ne suffise à lui donner une majorité à la Knesset. Mais cette nouvelle situation perturbe les dirigeants historiques de droite qui se voient privés des postes auxquels ils aspiraient. L’ex-général Yoav Galant, avait quitté le parti Koulanou, avec la promesse d’obtenir le ministère de la défense ; non seulement il a vu Naftali Bennett lui rafler ce qu’il considérait comme son dû, mais dans ce nouveau gouvernement le ministère a été offert à l’autre bord. Tous ceux qui au Likoud ont attendu patiemment, en faisant preuve d’une grande discipline vis-à-vis de leur leader, se sentent bernés car il ne leur reste que des strapontins.
La grogne sévit à l’heure actuelle à droite ; elle peut générer des frondeurs qui n’ont plus rien à perdre et dont on ignore la réaction face à ce qu’ils appellent un «coup d’État de Gantz». Netanyahou n’arrive pas à calmer cette grogne d’autant plus que ses nouveaux alliés ne sont pas prêts à lui faire de cadeau en sacrifiant une seule de leurs acquisitions. Cette situation constitue un test sur la capacité de Netanyahou à tenir ses troupes face à une levée de boucliers généralisée. Il n’a pas l’habitude d’être contesté au sein de son parti, ni d’être soumis à un ultimatum parce qu’en véritable homme politique, il tient à tenir ses engagements vis-à-vis de ses adversaires et nouveaux alliés.
Il n’est pas dirigeant à supporter tant d’ingratitude de la part de micros partis, qui lui doivent tout. Yamina et Ayelet Shaked en particulier, se permettent d’user de chantage en donnant l’impression que le roi est touché, un genou à terre. Elle a posé une condition à l’entrée de son parti au gouvernement : «Si le gouvernement en développement n’accepte pas d’appliquer la souveraineté dans un mois sans conditions, il n’a pas le droit d’exister. Nous n’avons pas l’intention de siéger dans un gouvernement de gauche sous Netanyahou». Il sait que ces exigences feront immédiatement capoter sa nouvelle coalition. Donc, c’est à Yamina de se soumettre ou de se démettre. Leurs six voix sont négligeables par rapport au nouvel apport extérieur de 18 sièges. Il semble d’ailleurs qu’Ayelet Shaked se soit fait une raison.
La contestation se développe au sein de son propre parti. La nomination du ministre de la justice devient un casus belli pour le Likoud qui voit d’un mauvais œil Avi Nissenkorn, le grand ordonnateur de la coalition, désigné par Bleu-Blanc. Gantz ne veut faire aucune concession. De même Yuli Edelstein y va de ses conditions, laissant entendre qu’il n’acceptera aucun autre poste que la présidence de la Knesset. Des députés loyalistes haussent le ton à l’instar de Miki Zohar qui critique l’accord avec Gantz : «Un gouvernement d’unité est important, mais pas à n’importe quel prix. Il est inconcevable que 19 députés reçoivent 17 portefeuilles et trois commissions». Son opposant habituel, Gidéon Saar, veut empêcher un gouvernement d’unité «gonflé» pendant la crise. Des informations ont laissé entendre que le gouvernement d’unité pourrait être formé de 36 ministres. Il souhaite donc un gouvernement non paritaire et resserré : «Tandis qu’il y a eu des gouvernements élargis dans le passé, dans l’histoire d’Israël, ce ne serait pas une bonne chose de mettre en place le gouvernement le plus élargi de l’histoire à un moment où le pays connaît sa pire crise économique».
Dans cette péripétie politique au lendemain du décès de Patrick Devedjan, alors secrétaire général de l’UMP, nous revient sa phrase célèbre qui avait voulu marquer sa mauvaise humeur face à la décision de Nicolas Sarkozy d’ouvrir son gouvernement à des éléments extérieurs au parti : «Je suis pour aller très loin dans l’ouverture, y compris jusqu’aux sarkozystes». Pour paraphraser Devedjan, le Likoud approuve l’ouverture y compris jusqu’aux partisans de Bibi.
Compte tenu des limites de portefeuilles ministériels dont le nombre n’est pas légalement extensible, Netanyahou se trouve face à la quadrature du cercle. Il a les mains liées avec Gantz au perchoir qui pourra à sa guise décider du programme de la Knesset et des lois mises au vote et même d’imposer un vote à bulletin secret pour libérer la parole de certains militants Likoud.
Si les négociations sont rompues, une majorité d’opposition pourrait s’exprimer à nouveau pour s’opposer à une dissolution de la Knesset, pire pour voter des lois excluant définitivement Netanyahou du poste de premier ministre. Le Parti Bleu-Blanc a menacé de faire avancer une législation qui empêcherait un député mis en accusation de former un gouvernement en cas de blocage. Netanyahou est fortement visé. C’est étonnant qu’un homme aussi prévoyant n’ait pas vu venir cette possibilité tant il était pressé de rester premier ministre et de s’opposer à un gouvernement minoritaire de Gantz, en donnant ses voix à l’élection de Gantz.
Le Likoud n’a plus le choix, soit maintenir l’accord en l’état, soit le rejeter avec des conséquences imprévisibles. Il s’élève contre le fait que Netanyahou et Gantz disposeraient du même statut en termes de bureau, de secrétariat, de consultants et de gardes de sécurité. Cependant deux issues incertaines sont à prévoir : soit la reconstitution d’une opposition majoritaire, qui se ressouderait si les négociations ne vont pas au bout. Soit alors le recours à un quatrième scrutin qui serait dramatique en pleine période de crise sanitaire et économique. Les Israéliens ont accueilli avec une opinion favorable un gouvernement d’union nationale ; ils comprendraient mal que des politiques les prennent en otages pour des questions de préséance, d’intérêt personnel ou de plan de carrière.
Il reste quelques jours à Gantz avant de remettre sa mission entre les mains du président de l’État qui n’aura d’autre solution que de recourir, à nouveau, à des élections stériles alors que des morts du coronavirus sont comptés chaque jour. Pendant que près d’un million de citoyens sont au chômage, que l’économie tousse, que le coronavirus risque d’être plus dévastateur, il devient indécent que les dirigeants politiques ne se ressaisissent pas pour mettre leur ego de côté.
À moins que Netanyahou, excédé par les exigences des membres de son parti, ne finisse par trancher en imposant ses vues en éliminant les contestataires. Ce sera le test qu’il reste le leader incontesté d’un parti en pleine turbulence. Mais s’il ne réussit pas à éteindre le feu au sein de la Droite, alors il n’aurait pas d’autre solution que de se retirer dramatiquement. Une issue qui n’est pas du tempérament du premier ministre mais la lassitude peut être parfois dévastatrice et mauvaise conseillère. Cependant le temps presse car Kahol-Lavan se sent en position de force pour fixer au 5 avril la date limite pour la constitution d’un gouvernement d’union.
Mise à jour
Le Likoud vient d’accepter la nomination d’Avi Nissenkorn (KL) au poste de ministre de la Justice.