L’ancien Premier ministre, qui a failli disparaître de la compétition pour cause de scandale, reste le candidat le mieux placé pour se qualifier au second tour avec Marine Le Pen. L’enviable position d’Emmanuel Macron dans les sondages est, elle, très fragile.
Les intentions de vote commencent à être parlantes, mais ce n’est pas une raison pour leur faire dire n’importe quoi. En ce début février, l’offre électorale de la présidentielle est enfin connue, à l’exception de l’incertitude mineure qui pèse sur la candidature de François Bayrou. Selon toute probabilité, l’opiniâtre président du Modem, d’une confiance insubmersible en son étoile, devrait s’engager dans la course élyséenne pour la quatrième fois.
L’électorat en attente
Pour autant, les sondages d’aujourd’hui ne mesurent que l’état des forces à l’aube d’une compétition qui promet bien des rebondissements. A trois mois du premier tour, la perplexité de l’électorat est manifeste. Le baromètre «en temps réel» de l’Ifop évalue à 38% le taux d’abstention dans sa dernière enquête (questionnaire soumis du 3 au 7 février), ce qui serait énorme pour le scrutin phare de la vie politique française. Seulement 20,5% des électeurs inscrits s’étaient abstenus le 22 avril 2012.
Tout se passe comme si les Français, aspirant à de profonds changements et heurtés par les comportements répréhensibles de leurs représentants, demeuraient en position d’attente. Seulement 57% des personnes interrogées se déclarent «sûres de leur choix» dans l’enquête Ifop publiée le 6 février. Une retenue qui varie énormément selon les candidats, ce qui en dit long sur la fragilité de certains d’entre eux.
La solidité de Marine Le Pen
A ce jeu de la sûreté du choix, la candidate du Front national est, de loin, la gagnante. Pas moins de 82% des sondés qui ont l’intention de la soutenir se disent, dès maintenant, certaines de leur vote. Ce pourcentage élevé se maintient au fil des enquêtes quotidiennes réalisées par l’Ifop.
La première place occupée par Marine Le Pen dans les enquêtes d’intentions de vote apparaît ainsi plutôt solide. Elle arrive nettement en tête avec 26% selon la dernière étude de l’Ifop, 25% pour OpinionWay (enquête du 4 au 6 février) et BVA (enquête des 1 et 2 février) , pour s’en tenir à trois instituts qui ont sondé avec l’offre probable actuelle.
La candidate du FN a, en outre, l’avantage d’être soutenue par une large fraction de l’électorat populaire – plus d’un tiers des ouvriers et employés – alors même que ces catégories sont les moins mobilisées au stade actuel de la campagne. Si l’on ajoute que la période – avec la crise migratoire et la menace terroriste – demeure favorable aux thèses de l’extrême droite, la probabilité est bien mince que Le Pen ne se qualifie pas pour le second tour de la présidentielle.
Le socle de Fillon
Cette donnée préélectorale constitue le principal atout de la stratégie de François Fillon. Le candidat de la droite, adoubé par plus de quatre millions d’électeurs de son camp mais affaibli par le scandale de ses emplois familiaux, a bien compris que l’essentiel, pour lui, était de conserver son socle électoral.
Les affaires qui marquent son début de campagne laisseront certainement des traces dans une opinion qui supporte de moins en moins les privilèges de la classe politique. Cette image détériorée l’empêchera probablement d’élargir sa base électorale, et notamment de reconquérir une partie des votants tentés par le FN.
Mais le candidat de la droite, en faisant preuve de résilience dans l’adversité, semble capable de conserver une surface électorale suffisante pour le hisser au tour décisif. Fillon a rapidement dévissé en pleine tourmente, passant en trois jours seulement, de 21% à 18,5% des intentions de vote, selon l’Ifop, mais ce socle électoral s’est ensuite stabilisé. OpinionWay évalue le candidat des Républicains à 20% de suffrages potentiels ces deux derniers jours. Le même chiffre était annoncé dans la dernière enquête BVA réalisée antérieurement.
La fragilité de Macron
Emmanuel Macron arrive en seconde position, derrière Marine Le Pen mais devant François Fillon dans toutes les dernières enquêtes précitées (21% pour l’Ifop comme pour BVA et 23% chez OpinionWay). On remarque ici que les sondeurs sont un peu moins d’accord entre eux. Les redressements et autres filtres qui leur permettent de passer des résultats bruts aux chiffres publiés ont plus d’incidence sur les candidats aux intentions de vote les plus fragiles.
Or c’est précisément le cas de Macron. Seulement 47% de ses électeurs sont aujourd’hui sûrs de leur choix d’après l’Ifop. Ceux qui se portent sur son nom sont les plus nombreux à avouer qu’ils appuient «le moins pire de tous», nous apprend la même enquête BVA. La ferveur suscitée dans certains milieux autour de l’ancien ministre de l’Economie tient à son indéniable charisme, mais cette séduction n’a pas encore produit un alliage électoral certain de résister au feu de la campagne.
L’épreuve de vérité de l’annonce de son programme s’annonce périlleux pour un candidat qui a, pour l’heure, les faveurs de l’électorat centriste, d’une grosse part de l’électorat socialiste mais aussi d’une fraction moindre de l’électorat de droite. L’inévitable clarification idéologique lui fera forcément perdre des soutiens ici ou là.
C’est d’ailleurs un des grands classiques d’une campagne présidentielle: le candidat le plus situé au centre de l’échiquier perd beaucoup de plumes sous la mitraille après avoir fait figure de favori dans les sondages. Raymond Barre et Edouard Balladur ont connu ces mésaventures. Parti de moins haut, Bayrou avait également vu son potentiel électoral réduit de 12% début février à 9% le jour du premier tour de 2012.
On rétorquera, à raison, que le phénomène Macron n’est sans doute pas réductible à ces précédents. La configuration des candidatures de 2017 semble exceptionnellement favorable à l’émergence d’une force centriste.
Le candidat LR restera handicapé à la fois par les «affaires» et par la brutalité de son programme libéral. Le candidat PS, de son côté, peut se révéler incapable d’unifier la famille socialiste et de convaincre sur son projet post-matérialiste. Deux mauvais candidats de droite et de gauche peuvent faire le bonheur d’un candidat du centre.
Le plus probable reste cependant que l’effet conjugué des attaques croisées qui vont s’abattre sur lui et de la clarification de son projet fasse perdre à Macron son avantage actuel sur Fillon. La concurrence de Bayrou pèsera en ce sens et devrait lui faire perdre de précieux points.
Compétition ouverte Hamon-Mélenchon
A gauche, les jeux apparaissent très ouverts en ce début de campagne. Sa victoire à la primaire socialiste a dopé, selon un processus habituel, la candidature de Benoît Hamon. Mais l’effet n’est pas forcément durable.
En cinq de sondages quotidiens Ifop, le candidat socialiste est retombé de 18% à 14,5% des intentions de vote. Il est stable à 14% selon les deux premières mesures du baromètre OpinionWay. Et BVA l’évaluait à 16% au tout début février.
Hamon est encore loin d’avoir cristallisé son électorat. C’est parmi ses soutiens d’aujourd’hui qu’on trouve le plus grand nombre de sondés prêts à «changer d’avis». Seulement 40% d’entre eux sont sûrs de leur choix, d’après l’Ifop.
Mélenchon demeure un concurrent très sérieux pour Hamon. Le candidat des «insoumis» est à la hausse dans les dernières enquêtes. OpinionWay le donne à 12% des intentions de vote, soit seulement deux points derrière le candidat socialiste. Ifop l’estime à 10,5% soit quatre points en-dessous de Hamon. Cette équivalence relative et l’indétermination qu’elle implique sur l’issue finale vont aiguiser l’affrontement entre ces deux candidats qui font, pour l’heure, mine d’envisager un rapprochement.
Le tableau d’ensemble est ainsi beaucoup plus favorable à Fillon qu’une lecture hâtive des sondages ne le suggère. Face à une gauche divisée en trois candidature principales, la mobilisation d’un électorat de droite désireux d’alternance suffirait à le mener à un duel final contre Le Pen où Fillon aurait toutes les chances de l’emporter. C’est le camp le plus cohérent qui l’emportera à cette présidentielle.