France : le Jihad par les tribunaux

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par Yves Mamou – Gatestone

Photos : Salah Abdeslam (gauche), membre du commando islamiste qui a assassiné 130 personnes le 13 novembre 2015 à Paris, a intenté un procès au député (LR) Thierry Solère pour « atteinte à la vie privée ». Solère avait raconté à deux journalistes le détail des conditions de détention d’Abdeslam. (Source de l’image : Wikimedia Commons)

 

  • L’objectif de ce procès est de créer une jurisprudence : faire en sorte qu’à l’avenir, toute critique ou insulte contre l’islamisme soit considérée comme du « racisme ».
  • Valentina Colombo, professeur à l’Université européenne de Rome, a signalée la première le djihad par les tribunaux. En 2009, elle a écrit : « Le procès lancé par l’Union des organisations islamiques de France et la Grande Mosquée de Paris contre le magazine satirique Charlie Hebdo pour la publication des caricatures danoises de Mahomet est l’un des exemples les plus récents de ce type de djihad ». Personne à l’époque n’a relevé. Et quand les djihadistes ont assassiné huit journalistes et caricaturistes en 2015, personne n’a compris que le « jihad par les tribunaux » n’était qu’un premier pas.
  • « L’action judiciaire est devenue un pilier des organisations islamistes radicales qui cherchent à intimider et à faire taire leurs critiques ». — Steven Emerson, fondateur et président du Investigative Project on Terrorism.

Un jihad silencieux s’exerce actuellement en France. Des intellectuels, des médias en ligne, des hommes et femmes politiques, des souverainistes, des écrivains, des journalistes, des chercheurs, des laïcs, … font l’objet de procès à répétition. A chaque fois qu’ils ont trouvé juste d’exercer leur droit à la critique publique de l’islam ou de l’islamisme, ils ont été poursuivis pour racisme, diffamation, racisme antimusulman. Ceux qui les assignent relèvent soit d’une nébuleuse d’organisations musulmanes (Collectif contre l’islamophobie – CCIF), Parti des Indigènes de la République (PIR), Indivisibles et même des organisations propalestiniennes…, soit les grandes associations antiracistes (non musulmanes) qui ont fait de la lutte contre « l’islamophobie » (Ligue des droits de l’homme, Licra, SOS racisme, MRAP) leur cheval de bataille. Parfois les deux groupes mettent leurs forces en commun pour mettre en péril la liberté d’expression.

Ce jihad judiciaire n’est pas spécifique à la France. Valentina Colombo, professeur de géopolitique à l’Université européenne de Rome, spécialiste du monde musulman, a décrit le jihad des tribunaux comme une stratégie « moderne, non-violente, mais agressive (…) pour terroriser l’ennemi d’Allah ». Elle ajoute : « Le jihad des tribunaux est l’outil favori des organisations et des personnes qui ont un lieu idéologique avec les Frères Musulmans dans les pays occidentaux ; il est régulièrement connecté à l’accusation d’islamophobie ».

Valentina Colombo a repris la définition du jihad des tribunaux donnée par « The Legal Project », aux Etats Unis : « De tels procès sont prédateurs, lancés sans espoir sérieux de victoire, mais menés dans le but de pousser à la faillite, de détourner l’attention, d’intimider et démoraliser les accusés. Les plaignants cherchent moins à l’emporter dans la salle d’audience qu’à détruire des chercheurs et des analystes. Même lorsque ceux-ci sortent vainqueurs, ils acquittent une facture élevée en temps, en argent, et en courage moral ».

Le Djihad judiciaire a commencé en 2002

En 2002, des organisations musulmanes et la Ligue des droits de l’homme ont poursuivi l’écrivain Michel Houellebecq, pour « incitations à la haine ». Houellebecq avait déclaré au mensuel Lire et au Figaro Magazine : « La religion la plus con, c’est quand même l’islam. Quand on lit le Coran, on est effondré ». Les plaignants ont été déboutés.

Mais l’incitation à la haine ou la tentative d’imposer une pénalisation du blasphème ne pouvaient aboutir. A partir de 2007, une nouvelle stratégie a été élaborée : traiter la critique de l’islam comme du racisme. Cette année-là, la Grande mosquée de Paris, l’Union des organisations islamiques de France (UOIF) et la Ligue islamique mondiale, ont poursuivi Charlie Hebdo pour la publication des caricatures danoises du prophète. « Nous acceptons que l’on puisse caricaturer le prophète, mais nous n’acceptons pas leur caractère raciste », expliquait alors Francis Szpiner, l’un des avocats de la Grande Mosquée de Paris.

Les plaignants de Charlie Hebdo seront déboutés mais depuis, la ligne n’a pas dévié d’un pouce : toute critique, moquerie, injure, blasphème contre l’islam devra tentée d’être pénalisée comme du racisme. En 2012, la représentation par Charlie Hebdo de Mahomet en fauteuil roulant, poussé par un rabbin, sous le titre « Intouchables 2 », incitera plusieurs associations musulmanes (Association syrienne pour la liberté, l’Association des musulmans de Meaux et sa région, le Rassemblement démocratique algérien pour la paix et le progrès et l’Organisation arabe unie) à porter plainte. Sans succès encore.

En 2013, la Ligue de défense judiciaire des musulmans (LDJM) a assigné Charlie Hebdo devant le tribunal correctionnel de Strasbourg – l’Alsace et la Lorraine sont les seules régions de France où le délit de blasphème existe encore, même s’il n’est plus appliqué depuis 1918 -. Sans succès.

On connait la suite : en novembre 2011, Charlie Hebdo sera incendié. En 2013, Charb, directeur de Charlie, sera inscrit sur la liste des personnes recherchées mortes ou vives d’Al-Qaida. Le 7 janvier 2015, deux islamistes assassineront 12 personnes dont 8 membres de Charlie.

De 2002 à 2015, les procès se sont multipliés contre des écrivains, des journalistes, des essayistes, des experts, des hommes et femmes politiques.

Persécution des journalistes et intellos « islamophobes »

Eric Zemmour. Entre 2011 et 2016, Eric Zemmour a fait quasiment l’objet d’un procès par an. Le plus souvent à l’initiative du Conseil représentatif des associations noires (CRAN) mais aussi de SOS Racisme, la LICRA ou le MRAP voire des groupuscules comme CAPJPO-EuroPalestine. Tantôt parce qu’Eric Zemmour a établi une corrélation entre délinquance et couleur de peau, ou parce qu’il a comparé les Barbares qui ont envahi Rome aux « bandes de Tchétchènes, de Roms, de Kosovars, de Maghrébins, d’Africains, qui dévalisent, violentent ou dépouillent » en Europe aujourd’hui, ou encore parce qu’à l’occasion d’une interview, le Corriere della Sera lui fait dire qu’il prônait la « déportation » des musulmans de France.

Pascal Bruckner. En décembre 2015, Pascal Bruckner écrivain et essayiste, a comparu devant la 17e chambre pour avoir déclaré sur le plateau de 28 Minutes (Arte), qu’il fallait « faire le dossier des collabos, des assassins de Charlie ». Et l’écrivain de citer, Guy Bedos, le rappeur Nekfeu, les associations Les Indivisibles de la militante « antiraciste » Rokhaya Diallo (qui n’en est plus membre) et Les Indigènes de la République d’Houria Bouteldja qui, par leurs écrits et leurs actions militantes, ont « justifié idéologiquement la mort des journalistes de Charlie Hebdo ». Les Indivisibles et Le Parti des indigènes de la République ont déposé plainte pour diffamation contre l’intellectuel.

Pascal Bruckner a été relaxé.

Georges Bensoussan : Le 25 Janvier 2017, toutes les organisations « antiracistes » de France – y compris la LICRA juive (Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme) – se sont associées au CCIF (Collectif contre l’islamophobie), pour intenter un procès en racisme contre Georges Bensoussan, historien connu pour ses importants travaux sur l’histoire des Juifs dans les pays arabes. Que reprochaient-ils à Bensoussan ? D’avoir déclaré, paraphrasant une déclaration du sociologue Smaïn Laacher, que « dans les familles arabes, en France, et tout le monde le sait mais personne ne veut le dire, l’antisémitisme, on le tète avec le lait de la mère ».

Le tribunal n’a pas suivi et a estimé que « téter avec le lait de la mère » n’était pas une expression biologisante, ni raciste. Georges Bensoussan a été acquitté le 7 mars 2017 mais, le Parquet de Paris a fait appel.

Persécution de la « fachosphère »

A côté des procès intentés aux intellectuels en vue, la « fachosphère » est harcelée au plan pénal. Entre l’arrivée de François Hollande au pouvoir en 2012 et le début de l’année 2017, « pas moins de 43 plaintes ont été déposées contre le site internet Riposte Laïque » a affirmé à Gatestone, Pierre Cassen, fondateur du site. Ce média d’opinion créé en 2007 a successivement suscité l’ire de la LDH, de SOS-Racisme, du MRAP, de la LICRA et du CCIF, mais aussi d’Anne Hidalgo, maire de Paris et Bernard Cazeneuve, ex-ministre de l’intérieur, sans parler des associations islamistes comme « L’Aube du Savoir », ou de la Ligue de défense judiciaire des musulmans (LDJM) fondée par Karim Achoui, avocat pénaliste radié de l’ordre des avocats en France, mais néanmoins autorisé à plaider en France en tant qu’avocat algérien inscrit au barreau d’Alger… Ces procès à répétition, ces dommages et intérêts qui vont de 5000 à 40 000 euros sans parler des frais d’avocat ont évidemment eu pour but d’assécher financièrement ces médias.

Persécution de personnalités politiques

Laurence Rossignol, ex- ministre de la Famille, de l’Enfance et des Droits des femmes. Le 30 mars 2016, au micro de Jean-Jacques Bourdin sur RMC, Laurence Rossignol, ministre du droit des femmes laisse échapper que pour elle, les femmes voilées sont assimilables à ces « nègres américains qui étaient pour l’esclavage ». La ministre regrettera publiquement son utilisation du mot « nègre », mais le CCIF et la Fondation Frantz Fanon annoncent dans la foulée le lancement d’une action juridique de groupe, une plainte devant la Cour de Justice de la République pour « injure publiques à caractère racial », assortis d’une procédure devant le Tribunal correctionnel pour injures publiques à caractère racial le tout couronné par une plainte devant le tribunal administratif de Paris.

Véronique Corazza, principale du Collège Elsa-Triolet de Saint-Denis. Majid Messaoudene, élu France Insoumise de Saint Denis (93), a porté plainte en juin 2017, contre Véronique Corazza, principale du Collège Elsa-Triolet de Saint-Denis, qui a relayé sur sa page Facebook une série de tweets du sieur Messaoudene qu’elle jugeait anti laïques, pro BDS. Majid Messaoudène après les meurtres de Mohamed Merah, préconisait de ne pas avoir d’ « indignation sélective » en s’apitoyant sur les seuls meurtres d’enfants juifs.

Le député Thierry Solère. Salah Abdeslam, seul membre encore en vie des commandos jihadistes du 13-Novembre 2015, a porté plainte contre le député LR Thierry Solère pour atteinte à sa vie privée en prison. Thierry Solère s’était rendu le 29 juin 2016 à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, où Salah Abdeslam, est détenu. Thierry Solère avait rendu compte de sa visite à deux journalistes du JDD qui l’accompagnaient mais n’avaient pas été autorisés à le suivre jusqu’à la salle de vidéosurveillance.

Pierre de Bousquet de Florian, patron de l’anti-terrorisme. Nommé à la tête de la fameuse task-force anti-Daech voulue par Emmanuel Macron, Pierre de Bousquet de Florian a été poursuivi en justice et condamné le 23 juin 2017, à 500 euros d’amende avec sursis pour avoir, en 2015, lorsqu’il était préfet de l’Hérault, « diffamé » Mohamed Khattabi, imam assigné à résidence.

Persécution des musulmans laïques

Soufiane Zitouni. Le 6 février 2015, Soufiane Zitouni, professeur de philosophie, a publié dans Libération une tribune signalant l’antisémitisme qui règne au lycée musulman Averroès de Lille ou il a exercé en tant que professeur de philosophie. Il a décrit l’établissement comme un « territoire ‘musulman’ sous contrat avec l’Etat ». Il sera poursuivi en diffamation mais relaxé.

Mohamed Louizi. Entre 2015 et 2017, Mohamed Louizi, auteur de « Pourquoi j’ai quitté les Frères Musulmans », aura eu à subir quatre procès en diffamation principalement de l’UOIF ou de ses alliés. Deux procès en 2015 pour avoir commenté et analysé l’affaire Soufiane Zitouni (voir ci-dessus). Et deux autres en 2016 et 2017 pour avoir évoqué certains arrangements entre Jacques Parent, ex-maire socialiste de Merville, ex-conseiller général du Nord et conseiller du « garage solidaire du Hainaut » dirigé par Soufiane Iquioussen, islamiste notoire de la région Nord. Louizi a gagné les deux premiers procès.

Ahmed Meguini. Le magazine Causeur a parfaitement résumé le procès intenté par les salafistes à Ahmed Meguini. « Dans le contexte post-Bataclan et sur Twitter, Ahmed Meguini, activiste laïque et président-fondateur de l’association LaïcArt, s’est emporté et a traité, une personnalité islamiste qu’il exècre « d’enfant de putain de salafiste » et de « petite merde ». L’objet de ses mots fleuris, Marwan Muhammad, directeur exécutif du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) et professionnel des plaintes en série devant les tribunaux, a intenté une énième action en justice. Mais pas pour n’importe quel motif : injure à caractère racial ! (…) L’enjeu du procès est essentiel (…) si les juges décident de condamner la critique du salafisme et la qualifier d’injure raciale, c’est bel et bien la critique de l’islam qui sera visée de manière sous-jacente. C’était le sens du procès qui a eu lieu au tribunal de grande instance (TGI) de Nanterre le 6 juin 2017 ». L’acquittement a été prononcé le 4 juillet 2017.

Cette liste des procès intentés dans le cadre du djihad des tribunaux n’a bien sûr rien d’exhaustif. Mais elle est suffisamment longue pour nous apprendre une chose : les intellectuels français, les journalistes, les fonctionnaires doivent comprendre qu’ils doivent s’organiser, recueillir des fonds et élaborer des stratégies avec des avocats pour contrer cette menace. Si une contre-stratégie n’est pas élaborée, la prédiction de Yusuf al-Qaradawi, clerc islamique égyptien et président de l’Union internationale des savants musulmans – « Nous allons vous coloniser avec vos lois démocratiques » – se réalisera.

 

Yves Mamou, auteur et journaliste, basé en France, a travaillé pendant deux décennies en tant que journaliste pour Le Monde. Suivez Yves Mamou sur Facebook.

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